En ce 19 avril, les Hauts-de-France offraient un dilemme aux fans de metal. Fallait-il se rendre au Black Lab pour le deuxième jour de l’anniversaire des 40 ans de LOUDBLAST ? Devait-on se laisser tenter par la belle affiche, avec notamment AKIAVEL et KARRAS, du troisième Furious Cirkus à Lomme ? Ou l’appel d’un marathon death metal à Saint-Omer pour un alléchant Brutal Swamp Fest serait-il le plus fort ?
C’est la troisième option qui l’a emporté... et je n’ai pas été déçu de ce choix tant le plateau et l’organisation étaient de qualité. Surtout, les maîtres d’œuvre proposaient un large panorama de la scène death metal. Les différents groupes ont ainsi révélé la richesse et la variété de cette musique aussi extrême que passionnante.

INFERN, venu de Bretagne, lance la journée dans la bonne humeur, à l’image de son chanteur toujours prêt à s’adresser au public, à remercier les fans et les bénévoles. Parler c’est bien mais jouer, c’est mieux... et les cinq gaillards, à l’image de leur bassiste énervé, assènent avec un plaisir évident les compositions de leur premier album, « Turn Of The Tide », sorti en octobre. Leur death old-school, dans la lignée de la scène britannique, BOLT THROWER en tête, mise sur la lourdeur ("Victim Of The Doom"), des breaks pesants et des accélérations subites. Le groupe s’aventure aussi dans les marais floridiens d’un OBITUARY, à l’image du puissant et rampant "Undertow" inaugural ou de "Tormented Paranoïd". L’efficacité, à l’image des refrains basiques, est au rendez-vous pour une mise à feu réussie au rythme de headbangings irrépressibles ("Gaining Ground"). Les 40 minutes du concert écoulées, détour immédiat par le stand Dolorem Records pour se procurer le LP jouissif d’INFERN... et commencer à mettre à mal notre compte en banque.

Les Néerlandais latinophile CAEDERE ("tuer", dans la langue de Néron) appartiennent eux au côté rapide et technique de la force. Marcel, le chanteur, crane rasé – et oui le groupe existe depuis 1998 ! – et bière souvent à la main, dégage une intense énergie. Il court, pratique le air guitar et s’adresse au public même si « my french sucks ! » ; peu importe, l’anglais fera l’affaire ! Ses comparses, eux, sont moins expansifs, concentrés sur leurs parties souvent complexes. Dès "Iconoclasm", l’intelligente violence des Bataves jaillit, magnifiée par des vocaux variés, du growl au cri torturé. On retrouve ce savoir-faire sur le long, quasi-épique "Union of Substitutes". Une prestation... de tueurs !

Les locaux TRI[BALLES], portés par deux chanteurs, envahissent la scène avec rage et envie. Leur death penche vers un hardcore incisif, colérique ("Les Donneuses") et s’offre de rares parenthèses apaisées pour célébrer, sous des lights bleus, des amis partis trop vite. Les frontmen, à grandes rasades de hurlements, tentent de sortir la fosse d’une certaine léthargie et y parviennent presque avec un wall-of-death dopé aux lumières stroboscopiques sur "Osmose" et un circle-pit un poil poussif sur leur tube – façon de parler – "Le Choc des Viandes". De retour sur scène après une longue absence et dans la foulée de la sortie de l’album « Déshumaniser », les Audomarois sont, espère-t-on, repartis pour une longue aventure.

Les Hauts-de-France restent à l’honneur avec les Lillois SKELETHAL. A l’inverse des groupes qui l’ont précédé, le quartette opte pour la philosophie verlainienne de « la musique avant toute chose ». Pas de communication mais des instrumentistes qui vivent pleinement leurs morceaux, qui headbanguent au rythme de leurs compositions... mais qui donnent l’impression de plus jouer pour eux-mêmes que pour le public. Old-school, ils naviguent entre la suède de GRAVE ou ENTOMBED ("Antropomorphia", riffs efficaces assénées par des guitares rugueuses, rythme quasi punk) et les Etats-Unis de DEATH ou MORBID ANGEL. Leurs titres bien construits brillent de soli remarquables – "Spectrum Of Morbidity" – de breaks costauds et d’une batterie riche en double grosse caisse ("Mesmerizing Flies At The Doors Of Death") ; ils sont de plus enrichis de passages mélodiques. En 35 minutes, SKELETHAL a récité sa leçon comme un bon élève, studieux et appliqué. Reste maintenant à ajouter un peu de folie dans l’expression live.

RECTAL SMEGMA, remplaçant de INHUME, est l’excellente surprise de cette 3e edition du Brutal Swamp Fest. Les Néerlandais, outre des compositions gore/grind efficaces, s’appuient sur un frontman hors norme. S’il aborde en début de set un look bien sage, il met vite à nu son torse bodybuldé couvert de tatouages dont un "grindcore" au-dessus du nombril qui sonne comme une profession de foi. Son énergie, sa gouaille, ses rictus, ses yeux exorbités entraînent la fosse – dont les membres les plus jeunes connaissent les paroles des morceaux – dans un tourbillon de furie bon enfant, dans un déchaînement ludique, sautillant et croustillant. Les chansons aux titres typiques du genre et riches en clins d’œil – "Double D Deathpunch", "Fingerbang Orang-Utan", "Slow Deep and Extra Hard"... – sont redoutables comme ce "Ballsnack" où le chanteur pose cris stridents et hurlements profonds sur un lit de double grosse caisse et de guitares acérées. Le batteur, adepte bien sûr des blast beats, se régale et lorgne vers BOLT THROWER sur un "Living In The Itch" aux teintes death. Reste juste à aller acheter « To Serve And Protect », le dernier album des Bataves, et à chercher la définition de "Smegma" pour s’immerger avec délice dans l’univers de RECTAL SMEGMA.

Changement radical d’ambiance quand MERCYLESS prend possession des lieux. Les Français, Max Otero cou tendu derrière son micro surélevé, défendent avec trois titres leur solide dernier album, « Those Who Reign Below ». Le death caractéristique des vétérans – le groupe a été fondé en 1987 – offre toujours un rythme rapide, des riffs violents saupoudrés de breaks bienvenus et de soli traditionnels ("Extreme Unction" ou un "I Am Hell" thrashisant). Il sait aussi miser sur la lourdeur comme l’illustre le réussi "Crown Of Blasphemy".
Le leader s’adresse à la foule : « Comment ça va Saint-Omer ? Vous êtes chaud ? »... tandis que ses acolytes prennent plaisir à multiplier les poses metal sous des lights dominées par le rouge. Le public est attentif... et nostalgique quand jaillissent les classiques de la formation. « Abject Offerings » (1992) est ainsi mis à l’honneur avec le titre éponyme aux riffs variés et les salyeresques "Without Christ" et "Substance Of Purity", témoignages d’une époque où le death naissant nageait dans les eaux maléfiques du thrash... mais commençait à en sortir à grands coups de blast beats. Les 45 minutes s’achèvent sur le furieux "I Vomit This World" et sur Max donnant rendez-vous derrière les portes de l’enfer...

...Portes que NECROWRETCH s’empresse d’ouvrir. Le t-shirt DARKTHRONE du bassiste révèle les aspirations black d’un groupe dont la musique, baignée d’un rouge sang, suinte de haine et de vice. Les compositions malsaines et sataniques de l’excellent « Swords Of Dajjal » brillent d’un éclat noir, d’une obscurité sordide qui n’est pas sans rappeler les débuts de MARDUK. Qu’elles soient rapides et riches en blasts, comme le "Ksar Al-Kufar" qui ouvre la messe païenne, ou tout en menaces rampantes, tel le "Numidian Knowledge" qui clôt la cérémonie déviante, leur aura sinistre et leurs mélodies sulfureuses se répandent sur la salle, transformée en un temple impie. Et ce n’est pas l’invocation à Cthulu juste avant un "Even Death May Die" aux vocaux démoniaques qui va apaiser les âmes tourmentées. Un concert comme un rituel.

Après une attente un peu longue suite à un changement de matériel, l’orage résonne dans la Salle Vauban. Les lights vertes éclairent un pied de micro tout en chaîne et orné d’une croix renversée.
Les cinq gaillards de VADER arrivent et, d’entrée, nous déclarent "This Is War" avant de nous envoyer, plus tard en enfer ("Go To Hell").
Les Polonais, emmenés par un Peter toujours aussi vindicatif, mais souriant, se promènent dans les bois inquiétants de leur épaisse discographie. "Dark Age" ou "Sothis", vieux chênes thrashisant plantés dans la première moitié des 90’s, y côtoient l’incontournable mid-tempo "What Colour Is Your Blood?" au refrain jouissif, vicieux comme un renard prêt à vous mordre.
La tempête souffle sur la forêt avec "Carnal". L’imparable paire "Wings"/"The One Made Of Dreams" s’apparente à une horde de loups lancés au galop, prêts à dévorer quiconque croisera leur chemin.
Spider, ébouriffé et headbangant, balance ses soli comme à la parade sous le regard complice d’un Mauser revenu depuis peu au bercail.
Cette balade sous un déluge de riffs redoutables conclut en beauté un Brutal Swamp Fest qui a été à la hauteur des attentes et qui confirme, comme chaque année, que le death, genre aux mille visages, est bien vivant.

Vader © Christophe Grès