
Peut-être vous en souvenez-vous – nous oui. C’était en plein COVID : l’homme nous avait invité pour tout un après-midi d’histoires, un régal de précisions autour de légendes. Comme un rendez-vous avec un vieil oncle britannique qui, il y a cinquante ans, aurait certainement préféré nous refiler un peu de benzédrine ; mais le temps de cette sombre journée d’hiver, il s’était contenté de nous préparer un thé, dans le petit salon feutré de sa tanière de Montmartre.
Pendant quelque trois heures sans interruption, il nous avait raconté son amitié avec un certain Lemmy Kilmister, ainsi que la genèse du groupe qu’il montât avec lui – MOTÖRHEAD. Abasourdi par de tels récits, que nous nous empressions de retranscrire sans en louper la moindre nuance typically british, on avait dû lui suggérer, expressément, naïvement, de songer à immortaliser toutes ses mémoires dans un livre autrement plus intime. Et tout, absolument tout dévoiler. Il avait bien entendu acquiescé, futé : c’est exactement ce qu’il comptait faire, en en ayant même largement entamé le processus. Quatre ans plus tard, nous y sommes : notre rencontre est restée inscrite dans le code génétique des entrailles de HARD FORCE (à re-relire ICI !), mais ses récits, bondissants de vie, sont bien sortis de sa plume, à travers les pages de ce bouquin, qui plus est magnifiquement dédicacé, avec attention et élégance, par l’homme qui manie aussi bien l’art de la calligraphie, gothique évidemment, après avoir suggéré un temps un umlaut judicieusement bien placé sur le logo de leur petit groupe de bouffeurs d’amphets londoniens.
MOTÖRHEAD donc – mais pas que : Lucas Fox s’emploie ici à nous narrer ses histoires "exubérantes", tout du moins ses épisodes les plus marquants de sa vie de musicien, sans oublier de mettre en perspective sa fascination pour la seconde guerre mondiale, héritée de ses parents officiers dans l’armée, ainsi partagée avec son nouvel ami rencontré au Speakeasy, un soir d’été 1974, près d’un an avant qu’il ne se fasse éjecter du groupe dans lequel il s’épanouissait tant, HAWKWIND. C’est autour de ce moment-charnière que non seulement une amitié est née, mais que s’est surtout développé l’un des groupes les plus fameux de la galaxie rock, à l’origine resserré autour de ce duo de potes qui écumaient ensemble les bars du Londres interlope, avec un accent particulièrement porté sur Ladbroke Grove, jadis le village des communautés hippies, des contestataires, des squatteurs, des groupes anarcho-libertaires, ou encore des immigrés jamaïcains qui embrassent également Notting Hill dans le même périmètre. C’est aussi le quartier qu’occupaient alors des artistes tels que les PINK FAIRIES, HAWKWIND donc, ou encore le musicien-journaliste-gourou-agitateur Mick Farren : Lucas Fox, qui maîtrise notre langue avec une incroyable versatilité, digne d’un véritable écrivain tant le verbe est affûté, a fréquenté le Lycée Français et connaît surtout parfaitement sa ville, au point de nous embringuer dans une véritable visite d’un Londres qui n’existe plus – notamment à bord de sa 4L fourgonnette qui a tant de fois servi de carrosse réfrigéré à son pote, Lemmy.
Bien sûr, le livre, si élégamment romancé, insiste en profondeur sur les incroyables détails qui ont pimenté cette première année d’existence du groupe en 1975. Mais il ne s’arrête pas qu’à ces quelques mois d’aventures folles, puisque le batteur aguerri nous emporte avec émotion et humour dans sa vie de jeune homme à travers la fin des années 60, dans ce Swinging London qui va peu à peu laisser place aux années glam d’une Angleterre qui se technicolorise enfin. Il revient également sur toute sa carrière après les désillusions de sa succincte participation au groupe (mais toutefois fondamentale puisqu’il est à l’origine même de son impulsion), et émaille son récit de rencontres toutes plus surprenantes les unes que les autres. Ainsi MÖTORHEAD - IN AND OUT se lit comme un roman d’aventure vraiment sex, drugs & rock’n’roll, ponctué de scènes cocasses et pavé de descriptions qui se découvrent donc comme un enchaînement de chansons des KINKS sous amphétamines. Alors les kids, même si oui la drogue c’est maaaaaal, Lucas Fox, qui s’est quand même partagé de bonnes fièvres de ligne blanche avec son ami, mentor et héros, a encore bien toute sa tête puisque, contrairement à bon nombre d’autres, ahem, "autobiographies" signées par des stars du rock, il ne s’est lui guère fait aider par un assistant rédacteur / historien, mais a bien puisé dans sa propre banque de souvenirs, intacts et toujours florissants – au point que la précision des scènes décrites donnent l’impression de plonger dans un véritable carnet intime rédigé la veille, encore dans l’émotion et l’excitation de l’action. Ses histoires sont en effet tellement riches, et ses nombreux dialogues incroyablement retranscrits, que l’on a véritablement l’impression de (re)vivre sa vie de bohème à ses côtés, aux toutes premières heures – et surtout aux toutes premières loges – de l’enfantement de MOTÖRHEAD.
C’est de très loin le meilleur livre rock publié ces dernières années, une oeuvre intime et honnête à ranger bien devant bon nombre d’autres livres attendus, mais au final si souvent aseptisés et muselés par l’auto-censure. Aux éditions Hors Collection.