22 juillet 2025, 09:00

HEAVEN SHALL BURN

Interview Maik Weichert


Il aura fallu attendre cinq ans pour que les Allemands HEAVEN SHALL BURN livrent le successeur du très bon « Of Truth and Sacrifice ». Le 27 juin a donc été marqué par la sortie de "Heimat". Maik Weichert, le guitariste, parolier et maître à penser du groupe, répond à nos questions.
 

Cinq ans ont passé depuis le précédent album, et à l’heure où l’occupation du terrain médiatique ou des réseaux sociaux devient une norme, est-ce que c’est un choix de votre part de prendre le temps au contraire ?
Maik Weichert : Je crois que nous ne réfléchissons pas du tout en fonction de ces schémas-là, parce que nous ne considérons pas HEAVEN SHALL BURN comme un projet professionnel. Nous avons tous des métiers en dehors de la musique, même si nous travaillons à mi-temps, et nous ne sommes pas musiciens à temps plein. Nous ne jouons pas 200 concerts par an mais plutôt 50, et nous faisons peut-être deux petites tournées par an, et c’est peut-être pour ça que ça nous prend plus de temps pour écrire un album. Nous ne sortons de la musique que quand nous nous estimons prêts à le faire, et pas dans le but de justifier une tournée. Ce n’est pas la manière dont HEAVEN SHALL BURN fonctionne, et peut-être que le prochain opus arrivera plus vite… Nous ne savons pas ! Nous ne dépendons pas du timing du monde de la musique, et si nous ne faisons pas de musique nous remplissons le frigo avec nos boulots. Cela nous apporte une grande liberté, et nous avons pu le constater pendant la pandémie quand nous ne pouvions pas jouer de musique sans être financièrement impactés. Cela nous garde dans un état permanent de fraîcheur et d’inspiration aussi, parce que si je rentre frustré du boulot, je peux attraper ma guitare et me mettre à composer des riffs. A l’inverse, si je m’ennuie en tournée, dans des coulisses pourries où tu n’entends rien du show en cours, tu peux retrouver tes collègues le lundi et ça fait du bien aussi. Tout cela s’équilibre et c’est aussi grâce à ça que nous restons cinq amis qui jouons de la musique ensemble. Je pense que le monde de la musique en professionnel c’est bon pour les gens stupides, et ceux qui sont intelligents et s’y font happer sombrent parce que c’est une industrie difficile. Jouer de la musique en tant que hobby est plus riche en émotions et te donne de la force. Tu ne peux plus ressentir la même chose quand tu fais ça en tant que métier.
Ce qui est étrange, c’est que c’est pile au moment où nous avons décidé de ne pas être un groupe professionnel que nous sommes devenus un des plus gros groupes en Europe germanophone. C’est dingue et on ne comprend toujours pas ! Peut-être que c’est parce que nous avons justement cette attitude en mode “fuck you, on veut rester nous-mêmes”. Et la meilleure c’est que plus le groupe grossit, plus tu as de temps pour ton métier à côté, puisque nous avons dépassé l’époque où nous devions nous plier à l’emploi du temps des autres. Maintenant nous décidons de quelles tournées nous voulons faire, de quel jour nous jouons en festival… Plus le groupe est gros, plus tu as le temps de faire de la musique ton hobby (rires).

"J’ai appris à l’école que quand j’écrivais dans le journal interne, personne n’en avait rien à foutre, mais que si je m’asseyais autour d’un feu de camp avec ma guitare, alors là les gens m’écoutaient !"


Pouvons-nous parler de l’artwork pour “Heimat”, est-il directement connecté à celui de l’album précédent, au-delà la similitude de style ? Sur “Heimat”, plus d’humain, juste la nature et les animaux...
Non ! Enfin, c’est une bonne question, et bien sûr le lien c’est que c’est Eliran Kantor l’artiste à l’origine des deux pochettes. Il est très réputé dans le monde du metal pour ses pochettes d’album, c’est un peu le nouveau Dan Seagrave, qui reste super. Mais je ne suis pas sûr qu’il y ait une connection pour autant, parce que nous n’avons pas évoqué l’ancien artwork quand nous avons discuté du nouveau. Mais c’est une vision très intéressante: il n’y a plus d’humains, l’artwork se concentre sur la nature et les animaux et alors que l'arrière-plan était plutôt flou sur “Of Truth and Sacrifice”, là il est détaillé… Oui ce sont vraiment des pensées intéressantes, mais nous n’en avons jamais vraiment parlé. Au final, là d’où nous venons, tu trouves les animaux que nous avons voulu faire apparaître sur la pochette.
L’album s’intitule “Heimat” que tu peux traduire par la patrie ou le foyer, et nous voulions avoir sur la pochette les animaux qui vivent dans les bois de là d’où nous venons, le Land de Thuringe en Allemagne. C’est un lieu où tu n’as pas de grande ville, juste des montagnes et des forêts, et tu y trouves des lynx, des cerfs.. Ce qui est marrant quand même c’est qu’au départ, je voulais que le cerf soit en feu, et Eliran m’a dit “oh non, n’utilise pas l’idée du feu, c’est cliché et on a déjà 200 covers d’albums de metal avec du feu dessus”. J’ai réfléchi, je lui ai dit qu’il avait probablement raison et de ne pas utiliser le feu, juste l’idée du cerf, et il y a trois semaines est sorti le nouveau KATATONIA et sur la pochette tu as… un cerf en feu (rires). Eliran m’a dit “ok, ne me remercie pas”. L’artwork de KATATONIA est sublime comme toujours, ils ont fait ça très bien, mais je suis content que nous n'ayons pas un cerf en feu nous aussi !


On pourrait être tenté de faire le lien aussi entre les albums par rapport aux thématiques abordées, avec la notion d’expatriation ou de faits marquants de l’humanité, mais c’est peut-être tout simplement lié à l’essence même des messages d’HEAVEN SHALL BURN ?
Oui, totalement ! Nous avons toujours utilisé HEAVEN SHALL BURN pour transmettre nos opinions, nous n’avons pas commencé à jouer de la musique parce que nous étions de super musiciens avides de montrer notre talent à la terre entière. J’ai appris à l’école que quand j’écrivais dans le journal interne, personne n’en avait rien à foutre, mais que si je m’asseyais autour d’un feu de camp avec ma guitare, alors là les gens m’écoutaient ! Et c’est pour cela que nous avons fondé le groupe, pour exposer nos points de vue. HEAVEN SHALL BURN est en fait un groupe ultra politisé, notre but n’est pas d’être des artistes, mais de faire réfléchir les gens et amener un changement. Cela paraît un peu ambitieux, mais c’est comme ça que tu vois les choses quand tu as 16 ans. Et tu as raison, toutes les chansons que nous faisons sont une forme de manifeste, et c’est aussi pour ça que si tu me demandes où “Heimat”, mon foyer, se trouve pour moi, je te répondrai que ce n’est pas un lieu et que je conçois plutôt le foyer comme quelque chose de spirituel ou mon état d’esprit, ou même d’où je viens et qui j’ai rencontré, tout ce qui a construit ma vision actuelle. Et en conséquence, je dirais que ma patrie est plus formée d’un faisceau de convictions. 

L’album offre toujours votre son reconnaissable, mais en même temps il est dense et sombre. Gardez-vous foi en l’avenir ou en l’Humanité malgré tout ?
Il est vrai que nous aimons prendre notre auditoire à la gorge et le secouer. Mais nous apportons aussi une énergie positive en plus de cette violence, comme par exemple avec le morceau “Empowerment”. Évidemment, nous évoquons des faits graves avec une forme assez agressive, mais pour nous il est important que cette agressivité soit transformée en énergie positive pour aller de l’avant. Le but n’est pas de regarder en arrière avec colère, c’est contre productif et destructeur.

"C’est terrible comme des gens dérangés peuvent détruire le monde. C’est ce dont parle le morceau, à savoir la banalité de cette mégalomanie et les raisons minables derrière cette folie."


Tu parles de ”Empowerment”, est-ce que vous créez vos morceaux en anticipant de les jouer en live ?
C’est vrai que ce morceau comporte un riff qui secoue, il est presque dansant et clairement si tu le joues chez toi tu vas de suite te dire qu’il sera génial à jouer en live. Mais à l’inverse, un morceau comme “A Whisper From Above” par exemple contient un riff qui ne m’a pas évoqué la scène. J’étais plus touché par le thème du morceau qui est très émouvant puisqu’il parle d’une jeune Polonaise, Irena Gut, qui a sauvé beaucoup de juifs pendant la seconde guerre mondiale. J’ai été très impressionné par son histoire et j’ai essayé de retranscrire ça dans la ma musique, donc je n’ai pas pensé au live pour ce morceau là, même si nous la jouerons très certainement aussi. 

Une autre chanson qui m’a beaucoup plu c’est “Dora”, peux-tu m’en parler ?
“Dora” traite de la Seconde Guerre Mondiale, et c’est le nom du plus gros canon jamais construit. C’était un projet fou, tu peux trouver une photo d’Hitler posant devant cet énorme canon. Il devait vraiment avoir un tout petit pénis pour vouloir construire ce canon, cet énorme pénis d’acier… c’est juste dingue. C’est terrible comme des gens dérangés peuvent détruire le monde. C’est ce dont parle le morceau, à savoir la banalité de cette mégalomanie et les raisons minables derrière cette folie. C’est l’une de mes chansons préférées de l’album parce qu’il y a ce côté très engagé et j’aime la manière dont elle se joue à la guitare avec ce riff qui envoie.

"Mike de KILLSWITCH ENGAGE a dessiné notre premier logo et s’est occupé de l’artwork de notre premier album il y a plus de 25 ans"



J’ai aussi beaucoup aimé le single “Confounder”, il a presque un côté djent et même une ambiance à la MESHUGGAH, il est très moderne...
Oh merci beaucoup ! C’est exactement ce que nous voulions faire avec ce morceau, qu’il ait un côté moderne. Pour le début, j’ai en tête l’idée de RAMMSTEIN qui jouerait un riff de MESHUGGAH ou de FEAR FACTORY, mais tout en ayant un son moderne. Il y a énormément de groupes qui jouent des riffs djents mais qui ne savent pas écrire un morceau pour autant, et je trouve ça dommage parce que pour moi un morceau doit toujours raconter une histoire. Il doit rentrer dans ta tête et la mélodie doit t’obséder pendant que tu te douches. C’est pour cela que nous avons essayé de combiner cette manière moderne de composer des morceaux avec la méthode traditionnelle d’écriture que tu peux trouver chez IRON MAIDEN ou IN FLAMES, ou des super groupes mélodiques comme ceux-là.

On découvre sur l'album une reprise de KILLSWITCH ENGAGE, “Numbered Days”. Pourquoi avoir choisi ce morceau ? Est-ce que ça a été un défi pour vous de vous l’approprier ?
Cela a été un défi parce que KILLSWITCH ENGAGE sont d’excellents musiciens, et il a été plutôt difficile d’enregistrer les guitares de la manière dont ils les jouent. Avec HEAVEN SHALL BURN nous sommes un peu plus directs et primitifs, là où KILLSWITCH ENGAGE proposent des guitares très élaborées avec beaucoup de production. Mais ça a toujours été un groupe que nous admirons, en tant que pionniers du metalcore. Quand je repense à ce morceau, je me rappelle l’avoir entendu au stade de démo quand Adam le jouait et d’avoir pensé de suite que ça allait devenir quelque chose d’énorme. Assembler ces riffs metal brutaux et ce superbe chant clair, c’était quelque chose qui n’avait jamais été aussi bien fait. Personne ne joue ce morceau aussi bien que KILLSWITCH ENGAGE, donc le reprendre est une forme d’hommage à ce grand groupe. Ce sont aussi de très bons amis, avec qui nous entretenons d’excellentes relations depuis des siècles. Par exemple, Mike de KILLSWITCH ENGAGE a dessiné notre premier logo et s’est occupé de l’artwork de notre premier album il y a plus de 25 ans. L’an dernier, nous nous sommes vus au Wacken Festival, et on s’est dit qu’on devrait faire quelque chose ensemble. Nous avons fini par inviter Jesse aussi sur le morceau, et KILLSWITCH nous a donné l’absolution pour cette reprise (rires). Le but était aussi de montrer aux gens nos influences au niveau metalcore. 

En écoutant les deux versions, on remarque que vous avez su respecter le morceau d’origine tout en apportant votre touche.
Nous n’avons pas ruiné le morceau, mais si tu écoutes il y a effectivement ça et là des ajouts de synthés, ou des riffs joués un peu différemment… Les gens qui connaissent les deux groupes sauront trouver les différences.

En parlant d’influences, vous mettez à nouveau un “disque 2” avec l’album, sur lequel figure des collaborations avec des artistes plutôt orientés punk rock ou hardcore, c’est aussi pour montrer une autre de vos facettes ?
Oui, on est plus sur des influences idéologiques, la scène punk partage ce côté politique avec nous.  

Si on se tourne vers l’avenir, que peut-on vous souhaiter ?
Eh bien, cela fait des années que nous nous étonnons de tout ce qui nous arrive, et à chaque fois qu’on se dit qu’on ne peut pas faire plus, les choses continuent de prendre de l’ampleur pour nous. Je pense que l’enjeu, maintenant, c’est d’arriver à rester à ce niveau de manière saine, et si ça ce ne se fait pas, et bien on s’en fout ! (rires) Notre seul but c’est de faire plaisir à nos fans en gardant la recette qui leur plaît, même si certains vont juger ça ennuyeux. D’autres nous adorent pour ça. Tu es française, je peux te parler de nourriture : si ta grand-mère a l’habitude de te cuisiner un plat que tu adores, tu ne voudrais pas qu’elle y incorpore un nouvel ingrédient du jour au lendemain. Pareil pour notre musique, nous ne la changeons pas, nous apportons juste un petit dessert en plus. (rires)

Blogger : Carole Cerdan
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