Si l’on sait depuis 1988 que la vie n’est pas un long fleuve tranquille, FISHBONE l’a appliqué à son propre cas. Une carrière en dents de scie, une valse non pas à mille temps mais à mille musiciens et une discographie peu féconde sur le nombre d’années (seulement 8 albums en près de 40 ans, ne prenant cependant pas en compte les divers EP et albums live qui ont jalonné ces quatre décennies). Un constat fait jusqu’à l’arrivée de cet inespéré « Stockholm Syndrome » qui débarque après 19 ans d’absence dans les bacs. Pour y parvenir, la formation menée par l’indéboulonnable chanteur-saxophoniste Angelo Moore a dû composer (logique pour écrire de la musique, me direz-vous) avec le départ peu serein de membres historiques et fondateurs, à savoir le bassiste John Norwood Fisher et le trompettiste/chanteur Walter Kibby et un remplacement derrière le kit de John Steward. Vade retro Closer et autres TMZ, pour le cancan et les détails, cherchez vous-même. Pour faire le lien, on se souviendra d’une prestation catastrophique au Hellfest en 2023 pour des « raisons techniques », les mêmes semble-t-il qui déboucheront ensuite sur ces remaniements internes. A titre de réflexion personnelle, je trouve toujours triste d’en arriver là après quasiment 50 ans de vie commune… Un mal pour un bien ? Il va sans dire – mais je le dis ! – que le remplacement d’une section rythmique n’est jamais une sinécure, qui plus est dans un groupe qui repose autant sur la nécessité d’avoir un groove en béton armé estampillé Saint-Gobain. Depuis quelques mois, bienvenue dans la famille donc à James Jones (basse), Hassan Hurd (batterie) et JS Williams (trompette/chant) qui a des initiales super chouettes, faut bien le dire.
On causait groove et il est bien là dès l’ouverture des réjouissances et "Last Call In America", funk bien balancé à la face du monde et des fans qui ne demandaient que ça. L’ADN du groupe californien est unique et le gang entend bien faire valoir son pedigree et abattre toutes les cartes qu’il a en main. C’est ce qui amène ensuite à "Adolescent Regressive Behavior", fanfare ska Fishbonesque en diable et dont le titre est à l’image de notre attitude durant 2mns 30 : comportement régressif d’adolescent. Et de nous remémorer alors les belles heures d’un « Truth And Soul » (1988) ou du définitif « Give A Monkey A Brain… » (1993) avant d’enchaîner sans transition sur "Suckered By Sabotage", morceau ska-punk échevelé venant se vautrer dans une vibe reggae sentant fortement la weed – Angelo en est un prosélyte, l’ambiance jamaïcaine se poursuivant plus loin dans l’écoute avec "Why Do We Keep On Dying". Les terres ska et 2 Tone ont toujours été quelque chose que FISHBONE a apprécié cultiver et on ne s’étonnera pas de les fouler sur "Hellounds On My Trail" et "Racist Piece Of Shit". A prendre littéralement comme un « Allez mes petits, bougez vos petons et remuez du popotin ! ». Dont acte. Plus décalés dans l’ambiance de l’album, les titres "Secret Police" en mode new wave anachronique qui trouve pourtant sa place grâce à l’éclectisme du groupe ou "Gelato The Clown" et son piano-bastringue flanqués d’un assemblage voix/cuivres façon Cotton Club. Il faut toujours se prévaloir d’être objectif dans l’écriture d’une chronique ou du moins modérer son enthousiasme, ce que l’on fera pour "All About Us", titre dispensable sauvé par son trompettiste et la section cuivres et la surprenante balade "Love Is Love" qui referme cette nouvelle page de leur discographie avec amour et douceur. Love is all nous dit Ronnie, All you need is love enchérissent John et Paul. Nous ne voyons pas d’autre explication.
Il est à noter enfin que « Stockholm Syndrome » est une autoproduction et que c’est un peu le quitte ou double pour FISHBONE qui a mis un bon paquet de dollars sur la table pour s’offrir une production décente et couvrir les frais de fabrication de ce nouveau disque en ne se moquant pas du monde. On en obtient confirmation par la possibilité aux acheteurs potentiels de se le procurer en version digitale, en CD ou vinyle (limité pour ce format en raison d’un tirage loin de ceux des locomotives de genre) ou en format ultra-limité CD gravé avec instrumentaux mais celui-là, ne le cherchez plus. Ecoulé uniquement via un réseau d’indépendants aux Etats-Unis, aucune chance de le trouver en rayons en France. Il faudra a minima se rabattre sur un site anglais pour l’Europe ou implorer votre revendeur préféré d’en acheminer un exemplaire à grand frais. Une dynamique entravé et c’est bien dommage car ce retour en début d’été arrive à point nommé pour donner du baume au cœur avant la dernière ligne droite pour les congés estivaux. Et, cela ne gâche rien, la production est excellente signée du groupe, d’Aryon Davis et Chris McGrew avec, cerise, un mastering confié à Cameron Webb (MOTÖRHEAD, SUM 41, MEGADETH, LIMP BIZKIT figurent sur son CV). Autant de bonnes raisons de faire un petit effort pour ranger « Stockholm Syndrome » dans sa CD-thèque ou profiter de l’édition splatter rouge/noir du vinyle. FISHBONE nous kidnappe ? On ne fera rien pour s’échapper. Le fameux syndrome de Stockholm…