
Un nouvel album de GREEN CARNATION est toujours le bienvenu. Mais avec « A Dark Poem Part I: The Shores Of Melancholia », on sait déjà que le plaisir va perdurer au-delà de la sortie de cette année car il s’agit du premier d’une trilogie à paraître sous deux ans. Alliant metal progressif, mélodies envoûtantes et passages black agressifs, il allie à merveille esthétique et profondeur. Kjetil Nordhus, chanteur et compositeur du groupe, répond, comme à son habitude, avec bonhommie à nos questions sur ce projet de longue haleine.
Salut Kjetil, c’est toujours un plaisir de t’avoir en interview. Parlons un peu du nouvel album de GREEN CARNATION. Tu dois être vraiment fier de ce « A Dark Poem Part I: The Shores Of Melancholia » ? C’est la première partie d’une trilogie. Quel travail !
Merci beaucoup ! Oui, c'est vrai. C'est un projet qui dure depuis quelques années déjà en interne, car tout composer a demandé beaucoup d'énergie et de temps. On voulait terminer les trois albums avant de commencer l'enregistrement. Et bien sûr, oui, le travail jusqu'ici a été vraiment, vraiment incroyable. On a donc hâte de le partager bientôt avec tout le monde. On en est effectivement vraiment fiers. Mais tu verras aussi que, quand on écoute les 3 albums ensemble, on sent qu'il y a une autre signification, plus profonde, à chaque chose. Pas forcément que l'histoire commence avec le premier album et se poursuit avec le troisième. Mais je pense que tous les trois s'harmonisent parfaitement. Mais je suppose qu'aujourd'hui, nous sommes surtout ici pour parler du premier album.
Oui, pour le moment, on va se contenter de celui à venir. A-t-il changé entre le moment où vous avez décidé d'écrire cette trilogie et la sortie des trois albums ?
Oui et non, je dirais. Non, car nous sommes restés fidèles à l'idée originale de ce que nous voulions faire. Nous n'y avons absolument rien changé. Donc, tout correspond plus ou moins à l'idée principale que nous avions. Mais comme on écrit l’album depuis 2018 et que, bien sûr, il y a eu des changements dans nos vies, certaines chansons ont pu être influencées, mais je ne pense pas qu'on trouve quoi que ce soit sur les trois disques qui ne s'y intègre pas, car nous sommes restés fidèles à l'idée principale depuis le début justement.

Donc, vous aviez déjà l'idée de cette trilogie avant « Leaves of Yesteryear » ?
Oui. Quand nous avons signé le contrat de cinq ans et cinq albums avec Season of Mist, la trilogie en faisait partie, plus un nouvel album, « Leaves of Yesteryear » (2020). On l'a sorti, en quelque sorte, pendant qu'on travaillait encore sur le gros projet, parce qu'on avait besoin de temps et qu'on voulait dire aux gens qu'on était toujours là. Il était logique de faire à la fois « Leaves of Yesteryear » et « Acoustic Verses » l'année suivante (NDR : il s'agit d'une réddition, ce dernier étant sorti à l'origine en 2006). Cela faisait aussi partie du contrat avec Season of Mist. On a aussi composé, enregistré et sorti un single, "The World Without a View", en 2021, dans la foulée mais c'était surtout, je dirais, un bonus qu'on a fait nous-mêmes. Même si Season of Mist nous a aidés pour la promotion, c'était surtout un travail du groupe. Je pense que sur le nouvel album, si vous connaissez la chanson "The World Without a View", vous entendrez que c'est une sorte de transition entre « Leaves of Yesteryear » et les nouveaux morceaux. Elle aurait peut-être pu s'intégrer à la trilogie, en fait, mais nous avons décidé de la garder pour nous, de la sortie de façon indépendante.
Merci d'ailleurs d'avoir choisi Season Of Mist en France…
Oui, c'étaient de vieux amis. Nous travaillons avec eux depuis début 2004 et quand j'ai rencontré Michael, à notre retour pour la tournée de « Light of Day, Day of Darkness » en 2016, il m'a demandé si nous envisagions de faire autre chose, de nouveaux morceaux, et nous a dit de le contacter si nous décidions de le faire. Season of Mist était l'un des rares labels avec lesquels nous avons discuté, mais il a été assez facile pour nous de le choisir car ils connaissaient le projet, ils voulaient travailler avec nous et c'est devenu un label de plus en plus solide d'année en année. On les connaît bien, Michael, Sabine et tout le monde, et ils semblaient s'intéresser à ce qu'on voulait faire. Ça a donc été facile, travailler avec eux nous a semblé naturel. Et c’est bien sûr une chance pour nous.
Pour parler de musique, cet album a beaucoup d'influences. Il est parfois très groovy, parfois très jazzy, parfois très black metal. Et bien sûr, très progressif aussi. Comment l'avez-vous composé ? Dans quel état d'esprit avez-vous composé toutes ces différentes ambiances ? Et quel est le fil conducteur de ce premier album de la trilogie ?
Je pense que le fil conducteur est le même pour tout le projet, pour les trois albums. Avec les paroles, nous abordons les problèmes, tant personnels qu'externes, liés à l'acceptation des choses telles qu'elles sont. C'est comme une aliénation du monde et parfois de sa propre position en tant qu'individu. Et les difficultés d'adaptation au monde, qui évolue extrêmement vite, avec la révolution technologique et tout ce qui se passe, avec l'incapacité à distinguer la vérité de certains mensonges et l'utilisation de ces éléments pour accéder au pouvoir. On se sent parfois un peu désespéré. Et c'est à la fois personnel et plus large. Je dirais donc que c'est le thème des trois albums, et aussi du premier, du coup. Si tu considères les deux premières chansons, la première est assez personnelle, la deuxième est plus politique, je suppose, tu sais, "In Your Paradise", qui est aussi le premier single. Pour répondre à ta question, on ne réfléchit par trop aux influences données à nos titres, cela vient naturellement.
On travaille beaucoup avec Stein Roger Sordal, le bassiste, qui aime beaucoup les vieux BLACK SABBATH et ce genre de trucs. Mais il écrit aussi de la pop et du rock incroyables, avec des refrains extraordinaires. Et son sens des mélodies, qu'on entend dans notre musique, est assez accrocheur et parfois assez spontané. Parfois, j'essaie de supprimer toutes les parties des chansons et de voir si l'on pourrait y mettre autre chose à la place, si ça rendrait le truc plus intéressant… On a travaillé énormément sur les compositions. Et nous avons essayé de ne faire aucun compromis sur l’atmosphère. Par exemple, la chanson numéro quatre, qui se démarque par sa lourdeur : il fallait absolument que ce soit comme ça. Et donc, on n’a fait aucun compromis. Et même si nous n'avons pas fait beaucoup de chants agressifs, nous pensions que la chanson en avait besoin. J'ai donc d'abord essayé de le faire moi-même. Et tous les membres du groupe étaient plutôt satisfaits du résultat. Mais nous voulions quelqu'un de classe mondiale pour le faire. Nous avons donc invité Grutle Kjellson d’ENSLAVED, car il n’a pas son pareil. Et je dois admettre que je ne fais pas le poids ! Ce n'est qu'un exemple. Nous avons essayé de faire tout ce dont les chansons avaient besoin pour s'épanouir dans différentes directions. Et aussi, comme tu l'as dit, avec les parties jazzy. Nous avons essayé d'oser tout sur cet album et sur les deux autres. Et je pense que la plupart des gens, après avoir écouté les trois, reconnaîtront qu'il n'y a eu aucun compromis.
Et il y a une surprise sur le troisième album, que je ne peux pas encore vous dévoiler, où nous faisons quelque chose qu'aucun groupe comme nous n'a jamais fait auparavant, j'en suis sûr. Parce que nous collaborons avec quelqu'un d'extérieur au groupe sur le troisième album. Il y aura plus de nouvelles à ce sujet prochainement.

J'ai entendu dire que vous sortirez la trilogie dans les deux années à venir. C'est prévu ?
Oui, les deux prochains albums sortiront l'année prochaine, donc c'est beaucoup de travail en peu de temps, même si nous en avons fait la plupart. Comme je l'ai dit, nous avons terminé tous les enregistrements. Il reste encore un peu de mixage, mais après avoir enregistré et sorti, ou enregistré, mixé et masterisé un album, c'est là que le plus dur commence, tu sais, à cause des répétitions live, de toute la promo,. Ce qui est très sympa, mais ça prend beaucoup de temps. Et il faut tout répéter, bien sûr. Pendant que je suis assis ici au milieu de nulle part, le reste du groupe répète. On a besoin que ce soit le meilleur projet qu'on ait jamais fait, aussi en live, parce que les chansons exigent qu'on soit au top. Donc tout le monde dans le groupe est assez occupé, comme la plupart des groupes, je suppose. On essaie donc d'optimiser le temps avant le premier concert, en présentant l'album en entier en live aux Etats-Unis, à Atlanta, au Prog Power Festival en septembre.
OK, ce sera le premier concert ?
Oui, ce sera deux jours avant sa sortie, et on jouera l'album en entier en live pour le public. Ils ne l'ont jamais entendu, ils ont de la chance.
Allez-vous tourner en Europe et en France ?
J'espère. Le deuxième album sortira avant l'été prochain et ça pourrait être intéressant pour certains festivals. Et puis on fera probablement le best-of des deux premiers albums, ou quelque chose comme ça, ça dépendra de la durée du concert et de la date de notre participation au festival. Mais oui, on veut faire ça. Il y a de beaux festivals en France. J'espère que certains nous inviteront.
Pour revenir un peu sur votre carrière, ça fait 25 ans déjà que vous existez… Vous êtes toujours fidèles à vos origines, mais en constante évolution. Quand on entend GREEN CARNATION, c'est toujours nouveau, mais on sait que c'est vous aussi. Avez-vous trouvé l’identité propre à votre musique et à vos personnalités respectives ?
Je le pense oui. Je ne crois pas que ce soit seulement ma voix qui soit reconnaissable. Je pense aussi qu'on pourrait entendre, même sans que je parle, que c'est GREEN CARNATION. Et je ne sais pas exactement comment ni pourquoi, mais je le ressens aussi parfois. Et il y a beaucoup de ces moments-là sur le premier album, sur « Shores of Melancholia ». Même si, bien sûr, comme je l'ai dit, on essaie d'orienter la musique dans des directions différentes. Mais bon, nous avons toujours fait ça, avec notre son distinctif, qui nous rend facilement identifiables.
Je pense qu'avec GREEN CARNATION, on a trouvé une recette qui fonctionne vraiment bien pour nous en ce moment. Et on voulait en tirer le maximum pour la trilogie. C'est un projet extrêmement ambitieux, vu la quantité de travail, bien sûr. Et je ne sais pas si l'on aurait décidé de le faire, si on avait su combien ça représentait. On est allés dans une petite maison dans les montagnes norvégiennes, à quelques heures de chez nous, et il n'y avait personne d'autre. Il ne se passe rien là-bas. Du coup, on pouvait être un peu seuls, éteindre nos téléphones et se plonger dans la musique pendant un, deux, trois ou quatre jours, jour et nuit. C'est un peu comme ça que ces albums et la trilogie ont été créés. On part en voyage, on est juste nous-mêmes et la musique pendant plusieurs jours. On se concentre sur la musique.
Vous avez aussi un nouveau claviériste, Endre Kirkesola…
Oui, un nouveau et un ancien, je suppose. Il a déjà fait partie du groupe à deux reprises. Et c'est le producteur de la trilogie. Il a aussi produit « Light of Day, Day of Darkness » il y a de nombreuses années et « Leaves of Yesteryear » ; il fait partie de la famille GREEN CARNATION, c'est sûr. Il jouait donc des claviers quand nous avons enregistré « Light of Day, Day of Darkness » en concert au début des années 2000. Et il jouait aussi des claviers quand nous avons enregistré « Light of Day, Day of Darkness » lors de la tournée de retour en 2016. Il a été producteur de la trilogie et il connaît tous les morceaux. C'est un grand musicien. Il joue de tous les instruments, toutes les mélodies en fait. Il a accepté de participer à ce projet. On s'en réjouit. Mais ce n'est pas une nouvelle personne pour nous.
Vous semblez former un groupe très sympathique. Plus qu'un groupe, vous formez une véritable équipe.
Absolument. Et maintenant que Tchort (NDR : le guitariste Terje Vik Schei) est de retour après quelques années de pause, il est très ambitieux et concentré, ce qui est vraiment agréable. Et puis, avec la gestion du groupe, que j'assume seul depuis trois ou quatre ans, il est de retour et s'occupe de plein de choses. C'est donc indispensable. Et c'est très agréable pour moi aussi de le retrouver, pour tout le monde.
Peux-tu nous en dire plus sur la pochette ? Parce que c'est Niklas Sandin, je crois, qui l'a conçue. Elle est très belle. Elle est très symbolique et je pense qu'elle reflète l'album dans son ensemble. Toutes les chansons y sont incarnées. On y retrouve l'essence de chacune d’elles.
Je pense que oui. C'est très agréable à entendre. Et c'est ça, l'avantage de travailler avec Niklas. Il connaît tellement bien le groupe, il est passionné par la musique et il comprend très facilement ce que nous voulons faire. Nous travaillons avec lui depuis 25 ans maintenant. Pas sur tous les albums, mais nous sommes en contact permanent avec lui. Et quand nous l'avons contacté pour lui expliquer ce que nous voulions faire avec les trois disques, tout étant lié, il a tout compris. Nous lui avons envoyé toutes les démos et toutes les paroles de tous les albums. Et il s'y est plongé à fond et il n'avait pas beaucoup de temps à passer dessus. Il a donc travaillé très dur et avec une efficacité redoutable. Et dès ses premières idées, on s’est dit : « On voit bien que ça va être génial. Il comprend ce qu'on veut faire ». C'est vraiment beaucoup de travail pour lui, car il y a les pochettes des premier, deuxième et troisième albums, les pochettes des singles, puis le coffret vinyle et tout. Il est donc un élément essentiel de ce projet, Niklas. Il a traversé une période difficile, car sa maison a été détruite. Il vit aux Etats-Unis et il y a eu un typhon ou quelque chose comme ça qui a détruit sa maison en plein milieu du processus. Et maintenant qu’il a déménagé au Canada, il a beaucoup de choses à faire. Mais heureusement pour nous, il a réussi à se concentrer pleinement sur ce qu'on voulait faire. Et comme toujours, il nous a concocté la pochette parfaite.
A-t-il conçu les trois albums en entier ?
Non, il a conçu la pochette du premier album pour le moment. On connaît les idées pour le deuxième et le troisième. Et elles auront le même style. Tout sera lié, que ce soit au niveau des couleurs, du style, etc. Et bien sûr, en plus de la première pochette, il a aussi fait celle du premier single. Je ne sais pas si tu l’as vue, mais elle est sur Spotify. Donc oui, on n'a pas encore tout vu, mais on a vu la maquette du coffret, qui est vraiment, vraiment, vraiment géniale. Ce sera un objet agréable à avoir chez soi, des objets physiques et lourds. C'est toujours agréable de les sentir dans sa main. Je pense que la musique, ce n'est pas seulement une question d'écoute, c'est une véritable expérience. Il faut donc l'écouter. Il faut la ressentir. Il faut regarder les pochettes, les paroles.
En effet, c'est important. C'est un tout, surtout pour vos albums...
Je le pense aussi. Ça dépend, je suppose, du genre de musique. Mais encore une fois, lorsque nous sortons un album entier, qui fera partie d'un projet de trois albums, c'est plus qu'un simple single de 3 minutes en ligne. Il faut, pour les fans, du matériel physique en conséquence.