Cette année, comme une transitions de l’ancien Bassin Minier vers la métropole lilloise, le Tyrant Fest se tient dans deux lieux, le Métaphone, le samedi, et L’Aéronef, le dimanche.
En ce premier jour, le 9-9 bis de Oignies se limite à la salle de concert principale. Les autres lieux, qui contribuent à l’âme spéciale du festival noir, ne sont pas accessibles. La foule est ainsi dense dans le hall d’entrée, les stands de merchandising et le bar difficilement accessibles. Heureusement, à l’extérieur une pompe à bière est installée ; elle tient compagnie à deux foodtrucks au tarifs prohibitifs.
Mais peu importe les à-côtés, pénétrons dans l’antre obscur pour découvrir ALKERDEEL. Après une intro hypnotique, le chanteur arrive sur scène en toute décontraction, une bière à la main... avant de livrer une prestation énergique, entre chant puissant et cris possédés. Les Belges, 20 ans d’existence, offrent une mixture où copulent, souvent dans l’obscurité, en un cri d’amour BDSM les musiques extrêmes dans leur expression la plus crue, la plus crade. Le rage crust et la colère punk côtoient le doom le plus lugubre, le black le plus malsain. Dans un maelstrom haineux, nourri de la profondeur d’une basse très présente, le quartette assène ses compositions avec une efficacité redoutable, concluant son set par un titre qui ressemble, de loin quand même, à une version enroulée de barbelés du fameux "Rime of The Ancient Mariner".

Changement d’ambiance radical pour SANG FROID avec une plongée glaciale dans ce que les années 90 ont offert de plus triste. PARADISE LOST et TYPE O NEGATIVE embrassent DEPECHE MODE en un baiser glacé et synthétique. Le groupe, sans batteur mais équipé de claviers omniprésents ("Proudly Ruining Yourself") est mené par Thomas, le charismatique chanteur de REGARDE LES HOMMES TOMBER, accompagné de JJS, quant à lui guitariste de l’épatante formation black metal. Dans un océan de grisaille gothique, le quartette décline nostalgie ("Eternal Night") et regrets, pleurs lancinants et peurs rampantes ("Grace & Doom", mortuaire). Bienvenue en automne...

Seul sur les planches, Guillaume Galaup, membre unique de LIMBES, se présente sur scène avec sa guitare, son ordinateur et son jeu de pédales. Sont diffusées sur écran des images de vitraux, de fleurs fanées, de cimetières, de cathédrales comme hantées de fantômes, de formes indistinctes, d’une femme mystérieuse. La poésie de ces projections contrastent avec le black hypnotique craché, toute haine et toute la(r)me dehors, par un musicien qui semble vivre une catharsis, expulser ses démons par la grâce maléfique de ses cris, de ses riffs. Il se dégage du jeune homme une étrange impression de timidité, de mal-être traduite en flammes froides, en violence intense. 35 minutes belles et dérangeantes, comme passées en équilibre sur un fil de désespoir...

La peur et la furie, la rage et l’angoisse. Telle est l’essence de THE GREAT OLD ONES, groupe qui transcrit merveilleusement, et horriblement, bien les mots de HP Lovecraft en notes d'une indicible beauté. Des antarctiques terreurs bleutées des Montagnes hallucinées (« Non je ne suis pas fou ! » hurle Benjamin à l’entame de ce morceau) à la cité onirique de Kaddath ("Under The Sign Of Koth" tiré du dernier album des Bordelais, « Kaddath ») le groupe offre un voyage d’une puissance rare où rodent démons et merveilles, blasts frénétique et mélodies aériennes. Les musiciens, encapuchonnés tels des prêtres de l’ignoble, sont entourés d’artefacts à la gloire de Cthulhu. L’immersion dans l’univers du Maître de Providence est ainsi totale, renforcée par des lights qui épousent à merveille les variations musicales, jouent avec le dessin du backdrop.

Avec un léger retard et après une fausse pub ("Goldstar") en guise d’introduction, IMPERIAL TRIUMPHANT, en robe et masque doré, décline son amour des Années Folles et de l’Art Déco en un concert... douloureux. Comment entrer dans une musique si déstructurée où les lignes directrices sont des lignes de fuite vers un horizon invisible ? Le trio convoque un jazz désolant ("Industry Of Misery"), du death/thrash/black ultra technique mais froid, voire parodique ("Eye Of Mars" ou "Lexington Delirium"), une mélodie des BEATLES ("Industry Of Misery") pour rendre – inutilement ? – complexe des compositions sans âme. Et ce ne sont pas les gesticulations incessantes des Américains ou leurs "temps forts" avec trombone enflammé et aspersion de la fosse au champagne qui rendent leur prestation plus digeste...

Visiblement fatigués, voire harassés, les musiciens d’ALCEST livrent toutefois une prestation haut de gamme dans leur somptueux décor inspiré de la pochette de « Les Chants de l’Aurore ». Joncs et hérons ornent les planches dans une ambiance tamisée, dans une atmosphère apaisée d’inspiration japonaise. Une lune le surplombe ; elle se drapera au fil du concert de douces couleurs en harmonie avec les morceaux joués – cette description, les plus fidèles des fidèles de HARD FORCE l’auront noté, est reprise du report du concert donné par le groupe de Neige, ce soir en t-shirt à l’effigie de Björk, au BetizFest.

L’âme du groupe et Zéro unissent leurs voix et leurs jeux de guitare pour dessiner des paysages changeants, oniriques et fluides. Cette sensation de timide liquidité ("Flamme Jumelle") est renforcée par des bruits de vague mais rompue par des embruns de houle black. Ainsi tombe sur le Métaphone une bien trop brève ondée nostalgique, au rythme de gouttes mélodiques et entêtantes ("Sapphire", dont jamais on ne se lasse, comme du joyau "Écailles de Lune, Part 2") en écho au poème de Verlaine :
Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville ;
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon cœur ?
Ô bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits !
Pour un cœur qui s’ennuie,
Ô le chant de la pluie !
Il pleure sans raison
Dans ce cœur qui s’écœure.
Quoi ! nulle trahison ?...
Ce deuil est sans raison.
C’est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi
Sans amour et sans haine
Mon cœur a tant de peine !
