25 novembre 2014, 18:25

FOO FIGHTERS : "Sonic Highways"

Album : Sonic Highways

8.
Huit morceaux. A l'heure du gavage industriel, ce symbole d'éternité vertical parait comme un affront : on peut incarner l'un des rares albums les plus fébrilement attendus de 2014 et faire plutôt court ! Un petit CD dans une modeste pochette en carton : on est loin du coup d'éclat tonitruant.
Et pourtant. Si c'est dans ses éditions vinyles que le visuel est MAGNIFIQUE (HUIT pochettes différentes disponibles, et venant donc former l'idée globale une fois assemblées !), "Sonic Highways" est aussi le huitième album des FOO FIGHTERS, effectivement bien disposés à frapper d'un très grand coup. Une fois que Dave Grohl a achevé la construction, l'expérimentation, la rentabilité puis la renommée de ses propres studios 606, il s'est essayé à davantage de spontanéité et de simplicité en enregistrant son précédent LP "Wasting Light" dans son garage perso après l'avoir déblayé des vélos des mini-Grohls et des cartons prêts pour la prochaine brocante de San Fernando. Et enfin de rendre son hommage personnel aux Sounds City Studios en rachetant la fameuse console historique et en invitant un paquet d'artistes, amis ou idoles, pour assembler un disque suintant l'âme de ces studios d'enregistrements mythiques de Los Angeles, ainsi qu'à travers un documentaire absolument remarquable.

Et c'est donc dans le même esprit qu'il aborde ce nouveau projet si ambitieux. En huit épisodes diffusés sur HBO (et sur Canal+ chez nous), Dave Grohl produit, commandite et dirige une série télévisée ayant pour thématique la (re)découverte, l'analyse et l'hommage aux grands studios d'enregistrements encore en activité sur le sol américain. Laboratoires fertiles et mythiques pour des centaines et des milliers d'artistes non moins légendaires les ayant fréquenté pour accoucher de chefs d'oeuvre intemporels et historiques, ces studios dévoilent ici leur âme, leur histoire, leur son, leurs vibrations, leurs secrets et anecdotes. Austin, La Nouvelle-Orléans, Chicago, New-York, Seattle, Washington, Joshua Tree, Los Angeles... c'est TOUTE l'histoire de la musique contemporaine nord-américaine qui est ici honorée à travers mille portraits. Blues, jazz, soul, funk, pop, rock, metal, punk, hardcore, hip-hop : point de discrimination ni d'élitisme, la culture musicale est ici magnifiée et éclairée au sens large. Et "Sonic Highways" en est bien évidemment la bande-son, l'illustration toute personnelle. Chacune des huit chansons raconte une histoire particulière, illustrant la thématique générale mise en avant dans ce colossal projet né de la fascination de Grohl pour la culture de son pays et ses propres racines d'éternel kid, humble et passionné.
Singulièrement enregistrés dans ces studios et produits par le fidèle Butch Vig, ces huit morceaux dégagent tous une force évocatrice importante, et affichent parfois quelques astuces, couleurs et arrangements propres aux studios qui les ont ainsi vu naître et élaborées.

Introduit par un air forcément inspiré par son amour pour les Beatles et ici emprunt de toute une mélancolie John-Lennonesque, "Something From Nothing" s'impose d'abord comme un morceau classique ne tardant pas à gronder et à muter en quelque chose qui nous interpelle, nous forçant d'abord à répéter sans arrêt le passage en question : et si le riff principal n'était finalement qu'une relecture du riff, DU RIFF, du "Holy Diver" de DIO, certes amputé, mais si reconnaissable... Nous avons beau être fans et n'avons toujours pas fait notre deuil, mais nous n'entendons pas systématiquement ni de manière obsessionnelle du Ronnie James Dio partout. Mais là... coïncidence ? OK le morceau n'est semble-t-il pas un hommage déguisé, encore moins une reprise non-assumée du fameux titre, mais la ressemblance est trompeuse, d'autant que "Something From Nothing" incarne d'emblée l'un des meilleurs titres de l'album : ultra-dynamique et accrocheur, déjà choisi comme un bien court "teaser" officiel depuis des mois, ce single est un nouveau joyau des FOO FIGHTERS. Le riff est doublé au piano électrique, façon funk à la Stevie Wonder, avant de s'énerver grave dans une déflagration assez grandiose, maitrisée, canalisée comme seul notre Dave Grohl sait le faire - un final d'une robustesse, d'une splendide sauvagerie qui devrait déjà très fortement ébranler les prochains stadiums anglais...
Difficile d'égaler l'assaut derrière : pour autant "The Feast And The Famine" redouble d'intensité, chargé d'une électricité statique redoutable, une salve punkoïde forcément propre mais franchement animée de cette authenticité et de ces origines si honnêtes... Dave Grohl peut seul se permettre de retrouver son énergie brute et adolescente, et de la reformuler comme si elle ne l'avait jamais quittée depuis ses débuts cahoteux et sales dans l'underground hardcore de la région de Washington, capable d'en faire un brûlot de stade complètement écoutable sans piétiner ses racines.
Première légère grimace, "Congregation" se montre sensiblement plus classique et téléphonée : de n'importe quel autre groupe, on applaudirait aveuglément la science évidente d'un song-writing simple, éloquent, accrocheur et sans faille - pour autant, on retrouve ici des ficelles maintes fois éprouvées chez le groupe depuis vingt ans, même si le morceau évolue avec plus d'allure et de verve, allant crescendo en intensité et en fureur sur son dernier tiers, sauvant de justesse la composition d'une hâtive évocation de remplissage éventuel...
A vouloir être un brin trop ambitieux sur ce "What Did I Do ? / God As My Witness" à tiroirs, on se surprend à bailler quelque peu sur ce morceau un peu trop longuet et mollasson, s'étirant dans des territoires certes aventureux, superbement produits et épiques, mais qui font hélas systématiquement retomber l'attention. Aussi jolie, éprise de bons sentiments, animée d'un certain lyrisme racoleur, elle ne fonctionne qu'à moitié et provoque malgré nous un petit début de lassitude, confirmé par un "Outside" démarrant de manière relativement insipide, mais évoluant fort heureusement avec davantage de peps' et de convictions, avant de se laisser aller à quelques expérimentations psychédéliques que ne renierait pas PINK FLOYD, portées par une ligne de basse hypnotique et donc des éclairs de guitare stellaire rappelant quelque peu Gilmour, après des parties furieuses et harmoniques à la tierce. 
Derrière, "In The Clear" s'affiche comme un titre émotionnel et surpuissant, un de ces hymnes de stade taillés dans le platine, du pur hard-rock inébranlable, solide, fier et colossal, agrémenté de cette touche pop qui plaque la marque de fabrique du groupe. A nouveau, les FOO FIGHTERS brillent par leur force et leur facilité écoeurante à l'écriture de tubes fédérant toutes les âmes présentes et massées dans des stades, bondissant tel un seul homme sur ces refrains bonjoviens gorgés de mille "woooooooh-ho-hooooo" ici appuyés de cuivres rutilants.
Plus mélancolique, introduite à la guitare sèche et d'un effet mellotron qui servirait idéalement une récente compo de David Bowie, "Subterranean" est porté par une douce mélodie et une orchestration nous laissant aller à la rêverie le temps de cette jolie ballade mid-tempo éclairée et subtile qui annonce le grand moment de "Sonic Highways", "I Am A River". 
Venant clore ce grand disque, cette power-ballade riche et hautement émotionnelle risque de vous titiller le canal lacrymal et de vous tirer le derme en une chair de poule irrépressible, faisant gonfler cette drôle de boule au fond de vos amygdales. On connait bien sûr Dave Grohl comme ce grand copain potache mais inaccessible, vieux kid de 45 balais éternellement habité par sa fougue, son amour immodéré pour la musique, le fun et le rock'n'roll à haute teneur en décibels, son humour contagieux, sa propension à vouloir jammer avec tous les survivants de l'histoire du rock, et humble hôte des toutes les arènes du monde, mâchant frénétiquement ses chewing-gums en haranguant les foules... et aussi ce mec sensible capable de pondre des morceaux épiques et gorgés de sentiments nobles et humains. "I Am A River" est une splendeur, un bijou éclatant, constellé des arrangements symphoniques de Monsieur Tony Visconti, s'il vous plait. 

L'un des innombrables grands points positifs ici observé est que "Sonic Highways" se bonifie d'écoutes en écoutes, décelant ci et là des astuces, arrangements et accroches si parfaites qu'elles nous poussent à remettre inexorablement la galette - l'effet FOO FIGHTERS assez classique, somme toute. Un excellent disque, par moment imparfait, mais animé d'intentions tellement nobles et si profondément honnêtes qu'on ne peut que le respecter, l'adopter, et se laisser séduire sans crainte par le pouvoir si redoutable des FOO FIGHTERS pour pondre des disques aussi sympathiques, puissants et mémorables. Pas toujours forcément exempts des mêmes recettes, mais "Sonic Highways" ose au moins en dévoiler de nouvelles, et suscite quelques effets de surprise bienvenus.

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
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