2 juillet 2015, 19:44

LINDEMANN : "Skills In Pills"

Album : Skills In Pills

Marketé comme l'album solo de Till Lindemann, chanteur costaud obscène et controversé de RAMMSTEIN depuis vingt ans, LINDEMANN est avant tout un projet à deux faces, la rencontre inédite mais cohérente entre l'allemand et Peter Tägtgren, producteur de mille albums de black, death et extreme metal, mais aussi guitariste, chanteur, frontman et multi-instrumentiste chez HYPOCRISY et surtout PAIN. Mais il était évident pour le label, depuis la trop longue absence de RAMMSTEIN dans les bacs et dans les arènes, qu'il fallait complètement miser sur la présence du chanteur comme figure vendeuse de ce premier album très attendu.
Un "Skills In Pills" très attendu, donc. Trop, peut-être. S'il ne se substitue aucunement à une production du SEXtette berlinois, il ne revêt pas non plus l'éventuelle incarnation personnelle de ce que pouvait créer Till Lindemann dans une autre dimension artistique. La première écoute s'avère en cela quelque peu décevante : "tout ça pour ça ????". Si le buzz généré autour de la rencontre a parfaitement fonctionné, le premier choc, aussi fort soit-il, ne semble pas tout à fait à la hauteur des prétentions. Et pourtant... Comme une bonne petite came glissée dans une innocente  pilule, "Skills In Pills" ne demande qu'à être renfourné : malgré quelques doutes, on se surprend à le réécouter, à le réécouter encore... et à l'aimer. Et à le trouver finalement assez terrible, cru, prétentieux, accrocheur, puissant et redoutable. Seulement dix chansons, mais assez génialement et insidieusement troussées pour séduire les plus retords des sceptiques...

Ce premier album (que l'on parierait toutefois bien rester le seul en tant que tel...) ressemble en tout point à un album de PAIN, tant il affiche sans scrupule toute la palette exhaustive des formules prodiguées par Tägtgren dans son coin lorsqu'il se consacre exclusivement à la création de ses délires. Car si Tägtgren fait indéniablement moins vendre qu'un LINDEMANN bien mis en avant, on a bien affaire ici à la panoplie complète du suédois : si son propre "tanz" metal propulsé par une prod' signée la NASA et gonflée par des overdoses de stéroïdes peut en effet séduire les fans de RAMMSTEIN, on retrouve dans ces dix compositions la folie exubérante de PAIN : trouvailles électro, mélodies aux synthés, claviers atmosphériques, rythmes martelants et martiaux, murs de guitares, mais surtout la grandiloquence de ces orchestrations symphoniques, souvent artificielles et kitsch, mais toujours colossales, avec choeurs vigoureux, virils ou lyriques, faux violons virevoltants, emphase totale dans les arrangements peu fins prodigués par un musicien/compositeur/producteur absolument sans limites. TOUT est ici musicalement au crédit de Peter Tägtgren, qui semble encore plus se lâcher que lorsqu'il est tout seul à tout faire dans les confins de ses Abyss Studios, là haut, au milieu du grand nulle part suédois, à guetter les UFOs entre deux partitions et deux aurores boréales.

Rassurez-vous, la caution Till Lindemann s'affiche elle dans les textes, seules exclusivités du chanteur qui, outre l'originalité de s'exprimer en anglais sur la totalité de ses chansonnettes, semble lui aussi pousser plus loin son goût immodéré pour la provoc' gratuite et les mots qui tachent. Chaque morceau possède en effet sa thématique, à apprécier selon le degré d'humour de chacun : amour inconditionnel aux formes féminines généreusement adipeuses ("Fat"), escortes travelos ("Lady Boy"), prosélitisme sarcastique sur l'avortement ("Praise Abort"), etc... mais la palme revient indéniablement à l'ode aux douches dorées, hymne urophile par excellence, "Golden Shower" : petit, si tu ne comprends pas, une golden shower c'est une nana qui te pisse dessus pour prendre du plaisir ensemble, vu ? A côté, le "Pussy" de RAMMSTEIN c'est intello et RADIOHEAD, hein... Ou la bande son idéale pour accompagner une cascade ou fontaine de Champagne lors du prochain mariage de votre cousine.

Mid-tempos metal indus épiques, bastons rythmiques au pilon, refrains de l'Armée Rouge, épilepsies de claviers techno, épaisseurs de grattes staliniennes : si l'empreinte PAIN est omniprésente, on renoue aussi ci et là avec les deux premiers albums élémentaires et basiques de RAMMSTEIN ("Herzeleid" et "Sehnsucht"), comme sur ce "Children Of The Sun" qui ravira aux nostalgiques des débuts... tout comme ce "Home Sweet Home" (qui n'est PAS la power-ballad de MÖTLEY CRÜE !!!), seule aération rafraîchissante de l'album comme à l'époque des "Klavier", où malgré tout la poésie et l'accalmie apparente prennent des envolées lyriques.

Enfin, un mot tout de même sur toutes les déclinaisons possibles de l'album, disponible en de nombreuses versions, du simple digibook toutefois fort élégant à la box Deluxe. Rarement les illustrations accompagnant chaque texte des morceaux n'auront été aussi soignées, les deux compères se mettant tous les deux en scène dans des situations aussi grotesques que fantasques, ne lésinant aucunement sur l'auto-dérision. Designée et retouchée numériquement, ces photos aux décors grandioses et cinématographiques rappelleraient presque la démesure mégalomane du grand David Lachapelle dans ses tableaux. 

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
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