29 janvier 2021, 22:00

SOEN

• Interview Joel Ekelöf

Le groupe SOEN a sorti ce 29 janvier « Imperial », son nouvel album produit une nouvelle fois par David Castillo et Iñaki Marconi déjà aux commandes sur le précédent album « Lotus », paru en 2019. Nous nous sommes entretenus avec Joel Ekelöf, chanteur et véritable tête pensante du groupe, indissociable de Martin Lopez, batteur et duo créatif depuis toujours.
 

Bonjour Joel, comment vas-tu ?
Tu sais, au vu des circonstances actuelles ça peut aller, ça va plutôt bien.

Toi qui composes à l’instinct et aux émotions, cette année 2020 lourdement perturbée par la pandémie de la COVID-19 a-t-elle eu une influence directe sur tes textes et sur les compostions ?
Je te dirais non car la plus part des morceaux ont été écrits et composés avant la pandémie et pareil pour ce qui est des paroles, elles ne traitent pas directement de ce qui se passe depuis l’arrivée du virus. Les sujets que j'aborde sont plus intemporels même si je parle de temps en temps de choses plus communes et concrètes. Je suis plus dans une réflexion sur la société moderne en général, sur ce qu’il se passe depuis plusieurs années, mais sinon, je n’ai pas parlé de ce qui se passe directement avec l'épidémie. On a besoin de parler d’autres choses.

C’était le bon moment pour s’éloigner de toute cette agitation et cette ambiance stressante. S’isoler en studio t’a fait du bien ?
Oui, on peut dire ça. C’est toujours une bonne chose de composer car c’est comme un exutoire, un peu comme une thérapie et quand tu joues de la musique, tu te sens mieux. C’est une bulle confortable, comme un refuge et en ces temps-ci, c’est plutôt important. On a dû annuler tous nos concerts et tout ce qui avait été prévu pour cette année, comme les festivals. Pouvoir composer et jouer entre nous était très important, pouvoir travailler sur ce nouvel album, entrer en immersion et continuer à avancer.

Malgré ces temps anxiogènes, il y a toujours une lueur d’espoir dans tes textes. Gardes-tu toujours cet état d’esprit aujourd’hui ?
Absolument ! J’ai toujours écrit de cette manière, mes paroles, les thèmes abordés sont globalement sombres, je parle de sujets parfois graves, mais je fais en sorte qu’il y ait toujours une lumière au bout du tunnel, une solution, pour que l’on puisse faire quelque chose pour s’en sortir et régler chaque problème. C’est un peu ma philosophie, tu dois toujours utiliser ces épreuves et les transformer en quelque chose de constructif.

A nouveau, est-ce que cet album est une œuvre à quatre mains avec Martin Lopez ou est-ce que les autres musiciens ont pu s’impliquer dans le processus de composition ?
Tout le monde a pu contribuer à la réalisation de cet album. Cependant, on garde toujours le même processus : Martin compose les structures et les idées musicales et ensuite, on travaille tous les deux dessus pour en faire des démos et puis chacun des autres musiciens apporte sa contribution. Cody (Ford, le guitariste) compose ses solos, Zlatoyar (Kobel) ajoute ses pistes de basse avec son jeu bien à lui et Lars (Ahlund, le claviériste), qui est un excellent arrangeur, nous aide beaucoup dans le rendu général et final des morceaux, il écrit les parties des instruments à cordes. Donc, on n’a pas changé notre façon de faire, c’est comme ça qu’on travaille. On ne le contrôle pas vraiment, mais ça se passe comme ça, le résultat nous plaît et c’est juste génial. Il y a aussi une partie spirituelle sur laquelle on n’a aucune prise et on est respectueux envers cette énergie créatrice qui nous accompagne depuis le début.

"Antagonist" est un témoignage direct de ce que tu ressens face au monde d’aujourd’hui et des choix désastreux que l’homme fait malgré les conséquences ?
Exactement, c’est une sorte d’appel d’urgence, un besoin immédiat d’agir et aussi lorsque les gens font face à l’oppression ou à l’injustice, quand les gens abusent de vous et du fait qu’il faut réagir. Aujourd’hui, les gens se divisent, se renferment et d’autres se marginalisent ou se mettent à se haïr les uns les autres au lieu de joindre leur colère contre certains dirigeants. Ce sont ces personnes qui abusent de nous et face à ça, il faut qu’on fasse front commun.
 

“On est revenu à un son plus metal, on reconnaît qu’on a ces racines en nous et c’était important pour nous de le faire entendre”

 

Vous avez travaillé une nouvelle fois avec David Castillo, mais uniquement pour enregistrer et produire les voix et la batterie,. Pourquoi avoir scindé votre travail avec le reste des instruments qui ont été supervisés par Iñaki Marconi ?
Principalement parce que je travaille avec David depuis de nombreuses années. Il est vraiment doué et aujourd’hui, c’est une référence dans l’univers du metal progressif, il travaille avec beaucoup de groupes de metal prog et il est juste excellent pour créer ce genre de son. Mais on a aussi ressenti le besoin d’insuffler autre chose en plus pour développer le genre, le faire évoluer et nous faire évoluer également de manière à ne pas se retrouver coincés dans un son et un genre limité à force de faire la même chose à chaque fois. Après quelques albums, tu pourrais suivre simplement la recette du succès des sorties précédentes, mais quand tu ressens ça, il faut que tu changes un peu ta vision, il faut que tu te remues et que tu te pousses à créer quelque chose de nouveau.

Justement, selon toi, quelle est la principale nouveauté avec « Imperial » par rapport à « Lotus » ?
On est revenus à un son plus metal, on reconnaît qu’on a ces racines en nous et c’était important pour nous de le faire entendre. Depuis quelque temps, pas mal de groupes de progressif s’éloignent du metal, ils vont plus vers le jazz ou le hard rock, ils veulent calmer cet aspect ou modérer les parties metal. Peut-être font-ils ça par peur d’une image péjorative du metal aujourd’hui et qu’ils ne se sentent plus à l’aise avec ça, mais je pense qu’il faut au contraire défendre ce lien qu’on a avec ce genre de musique. Sur cet album, on s’est dit que ça devait s’entendre et qu’on devait en être fiers, c’est dans notre sang, c’est le point le plus important de cette nouvelle réalisation. Un autre point aussi, c’est qu’on a œuvré pour le bien des chansons. La technique, c’est bien, mais ça ne fait pas forcément un bon morceau Les musiciens attendent le bon moment pour montrer leur talent, tu ne le fais pas tous le temps, tu dois respecter la totalité de la chanson, pas juste le passage où tu déballes ta technique.

C’est l’album de l’équilibre entre la technique et l’inspiration, le metal et la pop.
Oui, c’est ça, il est très progressif et quand tu écoutes attentivement, tu entends tous ces petits détails. Les morceaux ont été élaborés dans ce sens, tout est dans les détails.

L’arrivée de Cody Ford a-t-elle apporté une stabilité sur le poste de guitariste au sein du groupe ? Vous en avez changé de nombreuse fois, tu as le sentiment que cette fois-ci, c’est la bonne ?
Oh oui, complètement, il s’est très bien intégré au groupe. Il nous avait accompagnés pendant plusieurs tournée, il s’est amélioré au fil du temps et son jeu fonctionne vraiment bien avec la musique de SOEN. Je suis sûr qu’il sera là avec nous pendant encore très longtemps et j’espère même pour toujours. Pour cet album, il a ajouté ses idées de solo et normalement, dans des circonstances habituelles, on se retrouve tous ensemble à Stockholm pour travailler. Mais cette année, Cody et Zlatoyar n’ont pas pu prendre l’avion pour nous rejoindre et ils ont dû travailler depuis leur pays, chacun dans un studio à enregistrer et à nous envoyer leur prises par mail. Mais à l’avenir, ça sera plus facile de collaborer de la sorte si ça devait continuer comme ça. Martin, Lars et moi habitons pas loin les uns des autres, on est tous les trois à Stockholm et on peut toujours trouver un moyen de jouer ensemble. Mais ça devient bien plus compliqué quand tu dois prendre l’avion.


 


“Quand j’ai découvert ALICE IN CHAINS, Layne Staley m’a complètement subjugué, c’était juste incroyable. « Facelift » et « Dirt » ont clairement été de grosses inspirations pour moi”


La production est une nouvelle fois très bien réalisée et on monte même d’un cran avec « Imperial ». Vous avez pris le temps nécessaire pour ne pas revivre la déception de « Lykaia » ?
Oui (rires), on n’était pas vraiment satisfait du son pour cet album en effet, on a beaucoup appris durant cet enregistrement et la manière dont on voulait que les choses se déroulent. Avec « Lykaia » (le troisième album sorti en 2017), on pensait qu’il fallait suivre un certain dogme tacite pour faire un bon album, utiliser certains matériels et pas d’autres, une manière d’enregistrer et pas une autre. Mais en fait, on a réalisé que ce n’était pas comme ça que ça devait se passer, tu n’as pas à suivre de règles dans ce que tu entreprends en musique : tu dois utiliser tes oreilles, ton jugement et tu prends tes décisions en fonction de ce que tu ressens. Tu dois te faire confiance, c’est primordial, et aujourd’hui, on a énormément confiance en ce qu’on aime et ce qu’on apprécie en musique. C’est ce qui en ressort sur nos deux derniers albums.

Avez-vous utilisé des idées mises de côté durant l’enregistrement de « Lotus » et pour lesquelles vous souhaitiez un peu plus de temps pour quelles mûrissent ?
Non, pas vraiment, on avait des chansons misent de côté de la période « Lotus », mais lorsqu’on a commencé à composer pour « Imperial », on a eu tellement de nouvelles idées qu’on n’a pas eu envie d’en recycler d’anciennes, on a préféré partir sur de nouvelles bases. On n’a pas vraiment l’habitude de revenir sur d’anciennes idées, on jette beaucoup, on compose beaucoup de démos et ensuite, on fait le tri. Martin a composé 70 démos, ce qui est énorme, ensuite il fait une sélection, j’ajoute des voix dessus, parfois certaines idées ne fonctionnent pas, mais en tout cas, beaucoup de titres évoluent durant ce processus entre nous deux.

Parle-nous de la superbe pochette réalisée par Enrique Zabala et le photographe Mark Laita.
Le thème du serpent est très stylé je trouve, c’est simple, mais cet animal a quelque chose d’élégant et sophistiqué, mais également de mauvais, méchant et dangereux et on se retrouve dans cette illustration. Beaucoup de chansons et d’idées pour cet album traitent de l’anxiété face aux structures de pouvoir et de la hiérarchie au sein de notre civilisation, d’où le titre « Imperial ».

Dans certains passages, on retrouve une similitude avec OPETH dans les rythmiques, les riffs de guitares techniques, mais également dans ta voix. C’est une part intégrante de la créativité de Martin qui faisait parti du groupe pendant presque dix ans.
C’est naturel de comparer et évidemment, ça serait étrange si personne n’avait remarqué des similitudes dans le jeu de batterie de Martin entre les albums d’OPETH, lorsqu’il jouait avec eux, et ceux de SOEN. Pour ce qui est des voix, je pense que ça s’explique par le fait qu’on a à peu près le même âge, on vient du même pays, on vit dans la même ville et on a sûrement écouté les même groupes quand on était plus jeunes. Cependant, je ne le connais pas personnellement, mais tu peux entendre un accent similaire et certaines similitudes en effet.

Remontons dans le temps. Te souviens-tu du moment exact où tu as réalisé que tu voulais devenir musicien ?
Quand j’étais à l’école, j’étais certain de vouloir devenir musicien et rien d’autre. Mais ça, c’est quand on est jeune et naïf. La musique a pris une part très importante dans ma vie quand j’avais 9 ou 10 ans, mais je ne savais pas encore que je voulais être musicien ni même chanteur. Je n’ai réalisé que je pouvais réellement chanter qu’à l’âge de 15 ans. Avant ça, je n’avais pas vraiment d’idée précise de ce que je voulais faire dans la musique. Ce sont plus les gens qui m’ont dit que j’avais une bonne voix et que je devais essayer de chanter et au fur et à mesure, j’ai pris conscience de mes capacités. Et puis j’ai découvert ALICE IN CHAINS et Layne Staley m’a complètement subjugué, c’était juste incroyable. « Facelift » et « Dirt » ont clairement été de grosses inspirations pour moi et ma première en tant que chanteur. Mais après quelques années, j’ai réalisé que je n’avais pas la même tessiture que lui et ça a été autre chose d’apprendre à chanter avec ma propre voix. Je me suis beaucoup amélioré quand j’ai appris à la travailler en fonction de ma physiologie et non pas en voulant ressembler à un autre. C’est la chose la plus importante pour chaque chanteur ou chanteuse, accepter sa propre voix et laisser ses idoles de côté, se focaliser sur sa voix uniquement et trouver comment la faire sonner. Aujourd’hui encore, je la travaille pour la développer, j’adore chanter et j’aime essayer de nouvelles techniques ou sonorités. Je chante constamment et j’essaie toujours de nouvelles choses pour m’exprimer et exprimer mes idées. Et puis avec le temps, on apprend aussi à accepter sa voix, accepter de l’entendre dans une chanson, à aimer l’entendre. Ma voix ne m’effraie plus désormais.

Quelle est la chanson de ton artiste préféré que tu aurais aimé composer ?
On parlait d’ALICE IN CHAINS, alors je te dirais sans hésiter "Down in a Hole", cette chanson est juste parfaite, je l’adore.
 

Blogger : Benjamin Delacoux
Au sujet de l'auteur
Benjamin Delacoux
Guitariste/chanteur depuis 1991, passionné de musique, entré dans les médias à partir de 2013, grand amateur de metal en tous genres, Benjamin Delacoux a rejoint l'équipe de HARD FORCE après avoir été l'invité du programme "meet & greet" avec UGLY KID JOE dans MetalXS. Depuis, il est sur tous les fronts, dans les pits photo avec ses boîtiers, en face à face en interview avec les musiciens, et à l'antenne de Heavy1, dont l'émission MYBAND consacrée aux groupes indépendants et autoproduits.
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