24 août 2021, 17:00

JINJER

"Wallflowers"

Album : Wallflowers

S’il y a bien un groupe qui ne cesse d’étendre sa notoriété depuis presque dix ans maintenant, tant dans la sphère metal européenne et américaine (il n’y a qu’à voir la vitesse à laquelle les dates des futurs concerts outre atlantique sont sold-out) que sur les réseaux sociaux (explosion du nombre de vidéos "react" face aux prouesses vocales de sa frontwoman entre autre avec la vidéo studio de "Piscies" tiré de « Cloud Factory » sorti en 2014, réédité en 2018, et qui a dépassé les cinquantes million de vues), c’est bien JINJER, véritable OVNI musical du metal-djent-progressif-hardcore-alternatif à l’ascension irrésistible, tout droit venu d’Ukraine.

D’un point de vue personnel ce groupe a sérieusement commencé à titiller mes esgourdes à la sortie de « King Of Everything » en 2016 avec son titre "I Speak Astronomy". Je découvrais alors un nouvel acteur de la scène metal où la chanteuse envoyait du pâté de poney à l’instar d'ARCH ENEMY, mais là où Alissa White-Gluz officie uniquement dans le registre scream typé death metal, ici avec JINJER, Tatiana Shmailyuk montrait une incroyable versatilité vocale qui forçait déjà le respect et offrait une porte d’entrée alternative dans l'univers tant technique que puissant du groupe. Même les professionnels (aussi bien du côté des coachs autoproclamés comme des grands noms de la scène metal internationale) admettent qu’on a affaire à du lourd quand on voit la frêle demoiselle faire usage de ses cordes vocales. Avec l’arrivée de ce quatrième album studio et la découverte du premier single "Vortex" (déjà un million huit cent mille vues sur Youtube) à avec une intro de guitare qui n’est pas sans nous rappeler "The Silver Cord" de GOJIRA, on aurait pu croire que le quartet allait réduire la voilure et vouloir lisser son style pour gagner un public plus large mais à l’écoute des onze titres, on réalise que JINJER offre un album qui reste fidèle aux convictions de ses débuts dans la lignée de « Macro » sorti en 2019, avec du pur hardcore progressif et ce dès l’ouverture avec "Call Me a Symbol" et "Colossus" où la guitare de Roman Ibramkhalilov enchaîne les plans heavy djent syncopés et où Tatiana pousse d’entrée de jeu son chant scream au plus profond du style death à la manière d’un Johan Hegg d’AMON AMARTH, et va en un instant se promener en voix claire et envoutante avec cette facilité déconcertante qu’on lui connait et qui, même si l’exercice en studio serait plus facile à réaliser par le truchement de prises multiples (je ne parle évidemment pas de bloc électrique) n’est pas un problème pour elle à en juger par la qualité des prestations live où là aussi le groupe montre qu’il excelle à tous les niveaux. Et si vous en doutez encore, allez jeter un œil sur la vidéo de "Tati" en mode tranquille, chat en main, réalisée en plan séquence où elle chante "Jugement (& Punishment)" d’une traite et sans aucune difficulté, disponible sur la page Youtube du groupe et qui a dépassé les quatre million et demi de vues en moins d’un an, les chiffres parlent d’eux-mêmes.

Côté production, si JINJER est entré en phase d’enregistrement aux Kaska Records Studios dans son Kiev quasi natal au printemps 2021 une nouvelle fois sous la houlette de Max Morton qui avait déjà produit « Cloud Factory » et « King Of Everything », les onze titres n’ont pas pris beaucoup de temps pour être mis en boîte tant le groupe est efficace. Au final la qualité est clairement au rendez-vous, le mixage est équilibré, la section rythmique est juste énorme et très bien détaillée, la batterie de Vladislav Ulasevich mariée au groove de la basse d’Eugene Abdukhanov créent les fondations de ce mur du son puissant mais en aucun cas brouillon, et ce même dans les passages les plus rageurs et techniques. On notera un peu plus de chant clair par rapport aux productions précédentes ce qui ajoute un contraste bienvenu et qui empêche une certaine indigestion à la longue, que provoquerait un déferlement continu de décibels, de growls et de plans techniques.
La formation joue habilement entre phases djent et passages plus thrash comme avec le titre "Copycat" qui en fin de morceau flirt avec ses aïeux du metal californien et qui ici aussi permet de faire respirer le morceau et on se laisse à penser que cette formation pourrait devenir dans les années à venir la relève d'une scène metal qui voit ses têtes d’affiches prendre sérieusement de l’âge, tout en gardant à l’esprit que les compositions de JINJER sont moins faciles à digérer pour l’amateur de metal moyen. Mais il semblerait que le groupe arrive à un certain équilibre comme sur "Disclosure!", "Pearls And Swine" et "Sleep Of The Righteous" en parfait contraste entre furie, technicité, plans mélodiques et légers, tant vocal qu’instrumental. "Wallflower", chanson-titre de l’album et 3e single, montre là encore l’envie du groupe d’offrir des titres à l’intro calme et mélancolique évoluant à mi parcourt dans un mix entre death écrasant et ligne de chant aérien accompagnée de chœurs pour un final explosif, voire atomique, exercice dans lequel les Ukrainiens s’en sortent à merveille, véritable valeur ajoutée et au final réelle signature du groupe.
"Dead Hands Feel No Pain" reprend d’une certaine manière cette même recette mais attention, il ne faudrait pas trop user du procédé sous peine de lassitude, d’ailleurs je trouve que les deux titres auraient mérité d’être éloignés, séparés l’un de l’autre dans la track-list afin qu’ils puissent apporter un peu plus de relief à l’album. Les deux dernier titres "As I Boil Ice" et "Mediator" (deuxième single sorti en juillet) livrent leurs lots de plans de guitare aux lignes mélodiques dystopiques et progressives sur toute la durée des couplets pour en suite bombarder ses riffs en power-chords secondés par une section rythmique tranchante et à la précision chirurgicale avec ici aussi des passages au chant clair et des blast de pur growl.

Au final, l’album « Wallflowers » va un peu plus loin dans ce que JINJER nous avait offert jusqu’à présent (était-ce possible de faire plus ?) en repoussant ses propres limites, que ce soit en apportant un peu plus de plans mélodiques comme de déchainer des enfers plus apocalyptiques ou nous faire montre d’une technicité augmenté et sans faille. Le point d’orgue revient sans nul doute à Tatiana qui pousse une nouvelle fois sa voix dans ses retranchements et au-delà. Elle met la barre une nouvelle fois un cran au dessus et on ne peut s’empêcher d’écarquiller les yeux à plusieurs moments tant elle nous scotche sur place de part son ambivalence et sa maîtrise dans ses deux registres vocaux aux antipodes l’un de l’autre. Pour parfaire tout ça, il ne restera plus qu’à profiter de la maîtrise d’exécution des ukrainiens sur scène de retour prochainement en Europe (leur prestation au Hellfest From Home nous ayant déjà donné un joli aperçu de “Vortex” en live), pour témoigner derechef de l’indéniable talent de ce groupe toujours aussi complexe et dense mais qui sait aussi faire les yeux doux, à l’image d’une sirène, où nous autres pauvres matelots, nous laissons attirer par ses mélodies enchanteresses avant de se faire dévorer, une fois pris dans ses filets, par cette hydre à quatre têtes déversant sur nous toute sa bestialité.

Blogger : Benjamin Delacoux
Au sujet de l'auteur
Benjamin Delacoux
Guitariste/chanteur depuis 1991, passionné de musique, entré dans les médias à partir de 2013, grand amateur de metal en tous genres, Benjamin Delacoux a rejoint l'équipe de HARD FORCE après avoir été l'invité du programme "meet & greet" avec UGLY KID JOE dans MetalXS. Depuis, il est sur tous les fronts, dans les pits photo avec ses boîtiers, en face à face en interview avec les musiciens, et à l'antenne de Heavy1, dont l'émission MYBAND consacrée aux groupes indépendants et autoproduits.
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