18 octobre 2021, 17:30

KK'S PRIEST

"Sermons Of The Sinner"

Album : Sermons of the Sinner

« Sermons Of The Sinner », en V.O.... "Les sermons du pécheur", en V.F. Forcément un impur que ce prédicateur... mais qui est ce Judas, ce Prêtre qui cherche à exhorter les fidèles et à se les approprier ? L’histoire ne nous le dit pas vraiment, mais dans le clip de la chanson-titre (kitschissime à souhait : attardez-vous sur les gants de la créature maléfique !), Kenneth "K.K." Downing le met à terre, à grands coups de Flying V immaculée (des notes qui s’en échappent, tout du moins). La guitare est blanche et ornée d’une croix noire. Une sorte de trident, à y regarder de plus près (mettez donc en pause à 1’11’’). Le même que celui qui pendait au cou de l’ange déchu, tombé dans les bas-fonds de l’Enfer. C’était en 1976, sur la pochette du bien-nommé « Sad Wings Of Destiny », le deuxième album de JUDAS PRIEST. Première apparition du symbole pour le "Prêtre" ; ce ne sera pas la dernière.

Pas un hasard que Downing, membre fondateur de JUDAS PRIEST avec son ami Ian Hill (à la basse), n’emporte avec lui quelques souvenirs de ce qu’il a patiemment construit durant plus de 40 ans, de 1969 à 2011. Avec son trident, il est même parvenu à harponner un plus gros poisson. Enfin, la moitié seulement ; l’autre est retombée à l’eau. Il conserve donc le "Priest", laissant le "Judas" à ses anciens camarades. Ainsi nait KK’S PRIEST... ce qui n’aurait pas plu aux membres de JUDAS PRIEST, seuls apôtres légitimes – à leurs yeux – pour endosser le costume et dispenser la foi ? Quitte à faire appel à la loi pour dissuader Downing d’apposer la marque déposée à ses initiales, semble-t-il. Pas très chrétien, me direz-vous... à se demander si cette histoire ne sentirait pas un peu le KK ? Imaginez BLACK SABBATH interdire toute utilisation du "Black", devenu préfixe de bien des formations...

Amorcé en 2011, tandis que JUDAS PRIEST s’apprêtait à entamer son "Epitaph World Tour" – alors présenté comme sa tournée d’adieu – le divorce entre KK Downing et le groupe prend sa source dans une lettre de reproches du guitariste à ses acolytes (management défaillant, manque de précision sur scène, addictions diverses et variées des uns ou des autres), qui acte son départ du vaisseau amiral. Et puis, les choses se sont enchainées : Kenneth Downing a été remplacé par Richie Faulkner pour ladite tournée qui, de "dernière tournée" s’est muée en "tournée tout court" (un classique !). Ce qui laisse Downing dans l’incompréhension, le groupe étant – plus ou moins – censé cesser ses activités après ce "farewell tour"... ce qui avait grandement influé sur sa décision de partir ! Une seconde lettre succède alors à la première, forcément plus assassine. Et JUDAS PRIEST d’enregistrer deux nouveaux albums : « Redeemer Of Souls » (2014), puis « Firepower », en 2018. C’est au début de cette même année que Glenn Tipton décide de se mettre en retrait et de ne pas prendre part à la tournée, trop affecté par la maladie de Parkinson. KK Downing, pas vraiment remis de la séparation avec "son" groupe, pensait être rappelé en renfort... c’est Andy Sneap, producteur de l'album (et guitariste, quand même !) qui épaulera Richie. Fin des espoirs de Downing. Le divorce est définitivement prononcé.

Si elles restent douloureuses, les choses ont au moins le mérite d’être claires : s’il veut à nouveau faire de la musique, enregistrer des albums et jouer en live, Downing doit monter son propre projet. Ça tombe bien : l’histoire de la musique est riche de ces séparations qui ont donné lieu à de grands moments de créativité... Souvenez-vous de David Lee Roth, qui voulait faire la nique à Sammy Hagar comme à Eddie Van Halen et s’était acoquiné, pour ce faire, au fécond Steve Vai pour accoucher du protéiforme « Eat ’Em And Smile ». Une petite perle ultra jouissive ! Et Dave Mustaine ? N’a-t-il pas fait de MEGADETH l’un des plus grands groupes de metal au monde, après son éviction de METALLICA (en n’ayant plus à composer avec d’autres points de vue... que le sien) ? Sans Vince Neil, MÖTLEY CRÜE s’était totalement réinventé, en exfiltrant John Corabi de THE SCREAM...

Pas de kidnapping ni de mariage contre-nature pour KK’S PRIEST, qui aurait plutôt des accointances consanguines. Outre Downing, le groupe réunit en effet deux autres ex-JUDAS PRIEST : le chanteur Tim "Ripper" Owens et le batteur Les Binks. Le premier a suppléé au départ de Rob Halford entre 1996 et 2003, tandis que le second a enregistré deux albums studio avec le groupe : « Stained Class » et « Killing Machine / Hell Bent For Leather ». C’était en 1978. Il y a donc un certain temps. Trop, peut-être, puisque Binks est victime d’une fracture de fatigue du poignet avant l’enregistrement de « Sermons Of The Sinner ». Plusieurs mois ont été nécessaires pour recouvrer la forme, c’est donc Sean Elg (CAGE, DEATHRIDERS) qui le remplace et prend place aux côtés du bassiste Tony Newton (VOODOO SIX) et du six-cordiste A.J. Mills (HOSTILE). Cinq membres, une paire de guitaristes : une formule déjà éprouvée... comme au bon vieux temps ! Reste à savoir si KK’S PRIEST constitue l’essence même de JUDAS PRIEST – un "Priest plus vrai que le vrai", à supposer que le groupe originel se soit dévoyé – ou s’il n’en est qu’une pâle copie ? Une sorte d’équipe B qui courrait désespérément pour rejoindre la A... sans jamais la rattraper. Un ersatz, pour le dire clairement. The clone Wars aura-t-elle lieu ?

En réalité, la question ne se pose pas en ces termes. Le "problème" se situe ailleurs : KK Downing ne sait faire que du JUDAS PRIEST ! Contrairement à Rob Halford, qui a quitté le navire une douzaine d’années (1991 - 2003) pour fonder FIGHT, TWO, puis HALFORD, contrairement à Glenn Tipton, qui a sorti deux albums solo et s’est même essayé au micro (« Baptizm Of Fire » et « Edge Of The World », sur lequel figurent notamment John Entwistle et Cozy Powell), le guitariste blond n’a jamais fait d’infidélité à SON groupe. Préférant lui réserver ses meilleures compos et ne voyant pas de sens à les "dilapider" ailleurs. Alors, l’accuser d’hérétique, ça n’a pas de sens ! N’est-il pas le (co)auteur de quasi tous les morceaux de JUDAS PRIEST ? "Victim Of Changes", "Breaking The Law", "You've Got Another Thing Comin", "Freewheel Burning", "Painkiller" et des dizaines d’autres... Des joyaux au royaume du Prêtre.

Si la rancœur n’a probablement pas totalement disparue, KK’S PRIEST n’a pas vu le jour pour crier vengeance (« Screaming For Vengeance »), mais bien plutôt pour perpétuer l’héritage et se positionner en « Defenders Of The Faith » du heavy metal. Un prolongement de ce qu’il a accompli quatre décennies durant, plutôt qu’un nouveau départ. À 70 ans, Downing n’entend donc pas tout reconstruire et révolutionner sa manière de composer. Ni mener une quelconque compétition revancharde avec ses anciens camarades de JUDAS PRIEST. Il n’y a plus assez de temps pour cela. « Sermons Of The Sinner » n’a qu’une raison d’être : donner du plaisir. À ceux qui le font comme à ceux qui l’écoutent. Et comme l’ont fait MÖTLEY CRÜE ("In The Beginning"), W.A.S.P. ("The Big Welcome") and Co. il y a quarante ans de cela, tout commence par l’incontournable préambule... "Incarnation" et son orage-qui-donne-envie-de-se-mettre sous-la-couette-avec-sa-copine, sa grosse-voix-qui-fait-très-très-peur et ses obscurs-cantiques-sortis-d’on-ne-sait-où : on y est ! Comme plongé au cœur des 70’s et des 80’s...

Dix ans que Downing patientait. Autant dire que c’est la furie, lorsque "Hellfire Thunderbolt" déboule ! Un coup de foudre, des guitares qui grondent puis rugissent, l’alarme se déclenche : c’est le chaos ! La batterie engage le combat, les riffs cavaliers chargent l’adversaire, la quatre-cordes envoie ses projectiles aussi loin que possible et le corps des fantassins hurle sa volonté de vaincre. En quelques notes, on comprend que l’infanterie, la cavalerie et l’artillerie ne font plus qu’un. Derrière le rouleau compresseur, KK Downing et AJ Mills jouent les équilibristes et tentent quelques percées solitaires. Les solos pleuvent, sous l’orage ; les Flying V qu’ils chevauchent hurlent. Des hennissements qui se mêlent aux cris d’Owens, aussi puissants que stridents. Au bout de 3'50'' d’uppercuts, on comprend que KK’S PRIEST vient de remporter sa première bataille. La guerre n’est pas pour autant terminée...

Les chants liturgiques de "Sermons Of The Sinner" ne durent pas suffisamment longtemps pour que les blessures puissent cicatriser que, déjà, Sean Elg nous plante ses baguettes dans le dos... non sans s’inspirer d’un tempo déjà vu sur un certain "Painkiller". Tu parles d’un anti-douleur ! Branché en mode vocalises acérées, Owens est comme possédé, tandis que Newton nous prouve que la gravité passe aussi par les basses, particulièrement soignées sur ce titre. Tout en variations de tempo, le morceau voit les breaks succéder aux accélérations, les soli aux riffs, les chants lyriques aux cris sur-aigus, mais l’ensemble reste cohérent et très efficace. Juste le temps de passer le panneau "Round 3" que le combat reprend entre le Prêtre – une obsession ! – et le Diable. Ça shredde à fond sur "Sacerdote Y Diablo" et la densité de notes au cm² n’est pas sans rappeler "l’Invasion" d’un certain Vinnie Vincent, au milieu des 80’s... Tant pour l’aspect "pyrotechnique" qu’au niveau du son lui-même, auquel il manque parfois un peu "d’épaisseur". Comme si Downing et Mills jouaient leurs solos en 2D plutôt qu’en 3. Longueur, largeur... mais de hauteur, que nenni ! Sans doute que la logorrhée de notes serait inaudible, si le potard "gain" était trop poussé. Ça sonne donc parfois un peu toc, presque "plastique"... un comble pour des métallurgistes !

Mais c’est bien le metal que l’on célèbre tout au long de l’album. L’héritage de JUDAS PRIEST, bien sûr... mais pas seulement. "Raise Your Fists" ne peut pas ne pas évoquer l’IRON MAIDEN des premières années, avec son refrain fédérateur et son "Ooooooooh Ooooooh Ooooh Oh" qui devrait galvaniser les foules, lors des concerts. Que dire du tonitruant "Wild And Free" ? Speedé au possible, le titre aurait très bien pu figurer sur le sous-estimé « Dream Evil » de DIO, publié en 1987. Et ses dernières notes, qui s’évanouissent dans la table de mixage, ne sont pas sans évoquer le toucher de Tony Iommi... Mais le voyage dans le temps ne s’arrête pas là, puisque les 8'13" du superbe "Metal Through And Through" marient autant les influences que les émotions. L’ordre et le chaos y coexistent constamment. La voix de Tim Owens, hargneuse au possible, creuse le sillon et fixe le cap, insensible à l’émeute qui gronde, car les guitares hurlent et les joutes s’enchainent, entre Downing et Mills. La batterie virevolte, aussi puissante que délicate et les lignes de basse appuient juste là où ça fait mal... et ça fait du bien ! Et puis, à 5'00'', il y a cette parenthèse. Les premiers accords nous plongent – très – furtivement dans la "Civil War" des GUNS N’ ROSES, avant que "The Ripper" ne prenne des airs de Blackie Lawless, période « Crimson Idol ». Puis W.A.S.P. s’évapore, laissant place à une guitare aérienne, toute "gilmourienne"... Une pièce-maîtresse du KK’S PRIEST, incontestablement.

Si "Brothers Of The Road" constitue un interlude pas véritablement indispensable - ce mid-tempo n’apportant rien qui n’ait déjà été vu... ou entendu - "Hail For The Priest" (une idée fixe !) et plus encore l’épique "Return Of The Sentinel" valent le détour. Suite du redoutable "The Sentinel", qui concluait la face A de « Defenders Of The Faith » il y a 37 ans de cela, le morceau qui clôture l’album est aussi le plus long (9 minutes). Mais on ne s’y ennuie pas une seconde. Solide et viril, le titre est parfaitement exécuté. Du pur heavy metal et toutes les émotions qui s’y rapportent. Les ingrédients, aussi : des guitares qui illuminent et mettent à jour la voie à emprunter, une batterie qui balise le chemin, une basse qui met en évidence la moindre aspérité du relief et une voix qui crapahute sur ce terrain difficile, fermement décidée à aller au bout. Et puis, bien sûr, il y a ces plages de guitares qui feraient passer l’armée de six-cordistes qui se succèdent sur le "We’re Stars" du HEAR ‘N AID pour des éjaculateurs précoces. Une "petite mort" qui est aussi un instant de plaisir. Alors, comme pour le savourer et le faire perdurer, la sentinelle contemple et retourne au calme. Les notes s’égrènent en mode acoustique, juste ce qu’il faut de réverbération, les chœurs se font ouatés, tout est devenu tellement doux. Au loin, on entend les derniers roulements de tambour militaire, perdus dans la brume. Quelques cris de douleur percent, aussi. La bataille est terminée... mais qui a véritablement gagné ?

Probablement KK Downing lui-même. Comment, en effet, ne pas se réjouir de le voir afficher – "dissimuler" serait plus juste – sa longue chevelure blonde sous la capuche de sa soutane, sur la pochette de son album, 10 ans après son départ de JUDAS PRIEST ? Les quatre clips diffusés sur le net, avant la sortie de l’album, ne rendaient pas véritablement compte de la valeur de « Sermons Of The Sinner ». Parce qu’on ne savait pas trop s’il fallait les prendre au premier ou au second degré, parce qu’ils ne donnaient qu’une vision imparfaite d’un album pensé comme un ensemble. Comme si on donnait à lire dans le désordre quatre chapitres d’un livre qui en compte 10... Or, contrairement à la bande-annonce d’un mauvais métrage (où l’on ne trouve que le meilleur et où l’on est fatalement déçu par le film), l’album de KK’S PRIEST est une bonne surprise. Et le groupe se révèle très efficace, pour qui aime un genre né voilà quelques décennies. Ce qui ne signifie en aucun cas qu’il faille être coincé dans une faille temporelle pour l’apprécier comme il se doit.

Hasard (ou pas) du calendrier, JUDAS PRIEST célèbre ses 50 ans d’existence ; la sortie de « Sermons Of The Sinner » constitue une formidable occasion de rappeler tout ce que KK Downing a apporté à la formation anglaise. Elle n’aurait évidemment jamais été la même, sans lui. Alors, bien sûr, quand une histoire d’Amour prend fin, il est quasi-impossible d’être mesuré ou pondéré, entre frustration, incompréhension, rancune, haine, parfois, et souvenir de tous les merveilleux moments partagés ensemble. Sans compter les regrets. Chacun fait comme il peut, selon le degré des blessures infligées. Et la manière dont l’égo est affecté. Espérons que les membres historiques de JUDAS PRIEST sauront se retrouver et faire évoluer leurs relations. Pourquoi pas regarder dans la même direction ? Les problèmes de santé de Rob Halford comme de Glenn Tipton ne font que souligner la nécessité de ne pas trop attendre pour se serrer à nouveau la main. Peut-être même de se prendre dans les bras. Seule véritable alternative pour être en paix, les uns avec les autres, avant que tout ne prenne définitivement fin.
Amen.

Blogger : Stéphane Coquin
Au sujet de l'auteur
Stéphane Coquin
Entre Socrate, Sixx et Senna, impossible de faire un choix… J’ai donc tenté l’impossible ! Dans un mouvement dialectique aussi incompréhensible pour mes proches que pour moi-même, je me suis mis en tête de faire la synthèse de tout ce fourbi (et orbi), afin de rendre ces éléments disparates… cohérents ! L’histoire de ma vie. Version courte. Maîtrise de philo en poche, me voilà devenu journaliste spécialiste en sport auto, avant d’intégrer la valeureuse rédaction de HARD FORCE. Celle-là même qui prit sauvagement part à mes premiers émois métalliques (aïe ! ça fait mal !). Si la boucle n’est pas encore bouclée, l’arrondi est désormais plus que visible (non : je ne parle pas de mon ventre). Preuve que tout se déroule selon le plan – savamment – orchestré… même si j’aimerais que le tempo s’accélère. Bon, et sinon, qu’est-ce que j’écoute comme musique ? Du bon, rien que du bon : Platon, Nietzsche, Hegel et Spinoza ! Mais je ne crache pas non plus sur un bon vieux morceau de Prost, Villeneuve ou Alonso… Comment ça, Christian, faut tout réécrire !?!
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1 commentaire

User
Mandon Claude
le 07 nov. 2021 à 17:54
Agréablement surpris par ce disque ,kk ne révolutionne pas le style mais quelle classe, du pur heavy metal avec ripper,, qui sied à merveille ,c'est rapide, nerveux, son très clair, un de mes héros de jeunesse reviens et ça s'entend, HAIL TO THE METAL GODS FOREVER
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