26 novembre 2021, 16:28

LOÏS X TWAN TEE

"Crossing (Metal Version)"

Album : Crossing (Metal Version)

Une fois n’est pas coutume, je vais faire une digression personnelle pour entamer la chronique de cet OMNI (Objet Musical Non Identifié). Pendant longtemps, j’étais persuadé être l’un des seuls sur cette planète  à aimer autant le metal et toutes ses chapelles que le reggae et le dancehall. Or, je n’étais bien évidemment pas seul dans l’univers, vous vous en doutez. Pourtant, en y regardant de plus près, j’aurais dû le deviner plus tôt. Premier indice pour resituer un peu les choses : le label qui sort ce disque, Baco Records, distribue les albums de DANAKIL, un des plus gros groupes de reggae francophones. Second indice : leur guitariste, Fabien Giroud, se permet d’arborer un t-shirt d’IRON MAIDEN dans l’un des clips du groupe. Troisième indice : on a même pu croiser celui-ci au Hellfest en 2018, ayant spécialement fait le déplacement dans l’unique but d’assister au concert de la Vierge de Fer en grand fan du groupe qu’il est depuis toujours, c’est dire. D’un autre côté, nous avons Twan Tee, autre artiste signé par l’écurie, qui a fait de Loïs Daïri, un guitariste au background "énervé", son compagnon de route depuis un moment, les deux collaborant ensemble sur tous les projets du chanteur. Alors au final, est-ce vraiment étonnant  de découvrir ce « Crossing (Metal Version) » sur un label reggae ? Si l’on ajoute à cette conjecture astrale bienveillante l’adjonction des talentueux Morgan Berthet (MYRATH, ADAGIO, entre autres) à la batterie et du bassiste Geoffrey "Shob" Neau, (ETHS, KEISHAH, KUBIAC) pour une rythmique en béton, la boucle est bouclée et les plus ouverts d’entre vous (si tu aimes SKINDRED, viens chercher bonheur ici mon ami,  c’est l’orgie...) vont se régaler à l’écoute de ces dix morceaux du plus poussé des crossover, au sens littéral du terme.

Et si d’ordinaire je ne suis pas féru – loin de là – des chroniques titre à titre, une telle audace musicale se doit d’être mise en lumière par le détail, chaque chanson ayant une atmosphère particulière, pour ne pas dire parfois singulière. Ainsi, les agapes commencent par "Rocknesty", premier titre qui prend le temps de poser les bases et démarre réellement après deux minutes. Une entrée en matière dans laquelle on relèvera le côté très mélodique du refrain. On poursuit avec "Hard Grade", un hymne à la Marie-Jeanne (« High grade man a bun’, from sun up to sundown! »), sujet que l’on retrouve très souvent sur les albums reggae et dancehall, et dont le gimmick à trois minutes est juste jouissif. "Rockin’ Rockin’" elle, conserve l’intro reggae de sa version originale avant de partir au triple galop. Si elle s’avère moins percutante, elle trouve un second souffle dans ses parties où Twan Tee est secondé par des arpèges et une mélodie doublée d’un rapide solo. "All I Rock" permet d’alterner un rythme saccadé sur certains couplets et un autre se voulant plus mélodique sur les refrains de par la différence de chant. "Put Metal First" commence comme un morceau de THE POLICE avant de faire de l’œil à un metal speedé. Dommage car si la suite avait continué comme son intro, cela aurait pu être à mon avis un truc destiné à se faire par les médias généralistes, trop souvent hermétiques aux genres que sont le metal et le reggae. On en arrive à "Rock To Yourself" avec son intro au mélodica qui rappellera le regretté Augustus Pablo, chantre de ce jouet-instrument, qui a donné dans les années 70 ses lettres de noblesse dans le milieu reggae. Soufflant le chaud et le froid, "Try Gwan Hard" bénéficie de parties chantées d’un flow ultra-rapide, permettant aux musiciens derrière d’appuyer un peu plus sur l’accélérateur ou d’écouter des arrangements travaillés qui permettent de passer d’une ambiance à une autre au sein du même morceau. Rajoutez à cela un peu de trompette (MEGADETH l’a bien fait, pourquoi pas eux ?) et vous obtenez une sacrée hybride à dominante indica. "Irie Metal" : LA tune de l’album ! Grosse claque sur ce morceau où les étoiles ne peuvent être mieux alignées, dotée qu’elle est en sus d’un gros solo pas piqué des hannetons et d’une fin lourde comme le plomb. Pas étonnant que cette chanson ait été choisie comme premier extrait du disque. On conclut ces réjouissances par "On The Rock" (big up à ISRAEL VIBRATION au passage), la ballade de l’album se parant d’une superbe orchestration où la délicatesse de la mélodie vocale se marie à merveille avec le côté rugueux de la musique. D’une durée de sept minutes, on pourra la qualifier d’épique de par la longue partie instrumentale qu’elle renferme lors de son final.

A l’arrivée, on ne peut nier l’audace qu’ont eue les deux artistes et leur label de dire banco à un projet aussi singulier et risqué commercialement parlant, le milieu musical n’étant pas composé de philanthropes, on le saurait déjà sinon. Et encore, on ne parlera pas de la conjoncture de l’industrie du disque en 2021, Covid-19 included!  Mais justement, en en étant consciente, toute cette équipe s’est fendue d’un carpe diem bienvenu qui, à l’époque et dans le monde dans lesquels nous vivons, est une formidable bulle de fraîcheur. Les seuls bémols que je pourrais éventuellement opposer à ce très bon album/essai est le fait d’avoir simplement transposé les voix de l’album reggae sur les instrumentaux metal, sans qu’elles soient traitées plus que cela, le tout manquant de certains effets pour que musique et chant ne fassent plus qu’un et ne donnent pas l’impression d’une sorte de copié/collé. D’autant plus que Twan Tee n’aurait certainement pas eu de mal à plier à nouveau ses parties en ayant les versions metal dans le casque. Pareil pour les guitares qui conservent un son uniforme tout au long du disque qui finit un peu par lasser par moments (alors que l’on peut en avoir une vision différente, justement, sur l’intro de "Put Metal First"). Le résultat est donc de facto plutôt brut de décoffrage et l’ensemble aurait grandement gagné à bénéficier d’une production plus personnalisée, plus compressée, mais reconnaissons au microcosme reggae de se tenir ici bien droit dans ses bottes sur un inhabituel champ de bataille metal. Et rien que pour ça, messieurs-dames, chapeau bas ! Au terme de ce galvanisant cocktail, nous nous prenons à rêver d’un deuxième projet de cet acabit (je n’ai pas dit Macka B…) où, sur de grosses rythmiques bien lourdes, viendraient se poser le gratin du dancehall yardie, les grosses voix énervées du genre, à la Bounty Killer par exemple… « GWAN ! »

Blogger : Jérôme Sérignac
Au sujet de l'auteur
Jérôme Sérignac
D’IRON MAIDEN (Up The Irons!) à CARCASS, de KING’S X à SLAYER, de LIVING COLOUR à MAYHEM, c’est simple, il n’est pas une chapelle du metal qu'il ne visite, sans compter sur son amour immodéré pour la musique au sens le plus large possible, englobant à 360° la (quasi) totalité des styles existants. Ainsi, il n’est pas rare qu’il pose aussi sur sa platine un disque de THE DOORS, d' ISRAEL VIBRATION, de NTM, de James BROWN, un vieux Jean-Michel JARRE, Elvis PRESLEY, THE EASYBEATS, les SEX PISTOLS, Hubert-Félix THIÉFAINE ou SUPERTRAMP, de WAGNER avec tous les groupes metal susnommés et ce, de la façon la plus aléatoire possible. Il rejoint l’équipe en février 2016, ce qui lui a permis depuis de coucher par écrit ses impressions, son ressenti, bref d’exprimer tout le bien (ou le mal parfois) qu’il éprouve au fil des écoutes d'albums et des concerts qu’il chronique pour HARD FORCE.
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