18 janvier 2022, 19:16

CINDERELLA

"Night Songs" [Réédition]

Album : Night Songs

En 1985, Brian Johnson s’était-il appliqué du fard à paupière, du khôl et du lipstick pour chanter "Playing With Girls" ? Malcolm Young s’était-il crêpé les cheveux et teint en blond platine pour malmener sa Gretsch sur "First Blood" ? Et son frère Angus portait-il un spandex zébré fuchsia pour duck-walker sur le single "Sink The Pink" ?

Non, en 1985, AC/DC n’use d’aucun artifice pour promouvoir leur nouvel album « Fly On The Wall » – et outre le manque d’inventivité de leurs nouvelles compos ainsi qu’un certain essoufflement de leur formule, c’est ce qui va provoquer leur perte, toute relative, en ce milieu des eighties ; une sorte de traversée du désert jusqu’à ce qu’un coup de rasoir ne vienne ratiboiser tout ça en 1990, nouvelle décennie de l’espoir, pour « The Razor’s Edge ». Mais pendant six-sept ans, c’est le calvaire.

Calvaire que ne connait par contre pas CINDERELLA. En gros, en 1986, si tu veux jouer du rock'n'roll, et espérer rameuter un peu plus de monde que les copines habituelles au local de répèt’, eh bien il faut jouer le jeu. De plein gré ou malgré les réticences. En 1986, si tu veux jouer du rock'n'roll avec deux guitares, une basse et une batterie, et espérer casser la baraque en empochant un contrat avec une maison de disques, il faut que tu ondules du cul en essayant de faire glisser tes cuissots trop gras dans ton futal en acrylique, que tu éventres l’ozone avec de la laque à cheveux, et que tu te pourrisses l’épiderme avec mille couches de make-up testé sur des singes en Malaisie. Et même si tu n’es pas originaire des quatre-cinq blocs de trottoir qui définissent le Sunset Strip du même boulevard de West Hollywood, Los Angeles, California, tu dois te grimer comme toutes les fausses apprenties rock stars qui peuplent les clubs nuits après nuits – que tu viennes de Poughkeepsie, de Duluth, de Kalamazoo, de Denver... ou de Philadelphie, Pennsylvanie.

Banlieue de Philadelphie, Pennsylvanie, même, où a démarré en 1982 un petit groupe de rock mené avec détermination par l’ambitieux Tom Keifer. chanteur guitariste secondé par son pote et bassiste Eric Brittingham et deux autres musiciens, Michael Kelly Smith et Tony Destra, qui joueront les dissidents en 1985 justement, pour aller former les concurrents et clones BRITNY FOX. Ils sont néanmoins repérés par Jon Bon Jovi, un habitué de la côte Est, alors qu’il sont en train de jouer leur set dans un club de la ville. Et ça s’emballe derrière : compliments, espoirs, gimme five, et signature quasi illico avec la major Mercury Records. Deal – et arrivée du batteur Fred Coury, ainsi que du futur guitar-hero Jeff LaBar.

On connait la suite : c’est « Night Songs ». Ou l’un des meilleurs albums de hard rock de 1986. L’un des meilleurs albums de hard rock des années 80 tout court. Mais si injustement affilié à quelque chose perçue comme tiède, insipide, fake et superficielle : la scène glam-metal, si injustement incomprise et méconnue pendant des années, finalement résumée à l’appellation Hair-Metal. Et s’il y avait bien évidemment mille groupes de poseurs et surtout de suiveurs sans personnalité tentant de survivre et cherchant à n’importe quel prix la célébrité en singeant les originaux MÖTLEY CRÜE, BON JOVI et autres RATT (oui, des groupes de merde il y en a par paquets de douze qui se sont néanmoins retrouvés multi-platines grâce à une power-ballad pour pucelles), ces années-là ont vu naître des combos de légende comme CINDERELLA.

On peut prendre peur en tombant sur la pochette de « Night Songs » : tout l’attirail est là, du plus flashy au plus péroxydé, froufrous, boas, lacets et fanfreluches sont à la fête. Mais à l’instar des TWISTED SISTER, le verni metal en moins, ici ça joue comme des hommes. Parce que tout simplement, CINDERELLA est un groupe de rock'n'roll qui n’a pas eu d’autre choix que de se travestir pour passer sur MTV et s’afficher en couverture de Hit Parader ou Circus. L’essence de CINDERELLA, elle, se situe entre le AC/DC de « Back In Black » et le AEROSMITH des années « Rocks » et « Draw The Line ». Soit un certain sens des traditions rétrospectivement qualifié de classic-rock lorsqu’on entend leurs compositions, si le curieux n’est pas trop réfractaire à se faire gauler avec un pochette de tarlouzes sous les yeux moqueurs du hipster amateur d’indie-rock du bac à disques voisin.

Une fois « Night Songs » enfourné, CINDERELLA n’a rien de cette paumée de Cendrillon : malgré son concept très vaguement usité à travers une trilogie de clips standards pour 1986, le groupe East Coast est un sacré de groupe de hard. Si l’album est introduit par l’éponyme "Night Songs", sombre, menaçant et relativement lourd à la manière d’un BLACK SABBATH de l’époque, tout le reste n’est que pur hard rock'n'roll, qui plus est produit par Andy Johns qui a, lors de la décennie précédente, été le producteur de FREE et de HUMBLE PIE (et même de HUGHES/THRALL) après avoir été l’ingénieur du son de BLIND FAITH mais surtout de LED ZEPPELIN et des ROLLING STONES, en gros de 1970 à 1975. Ce qu’on appelle communément un curriculum vitae – et donc un savoir faire qui sied parfaitement, et forcément dans l’air du temps, aux "Shake Me", "Somebody Save Me" ou encore "Nothin’ For Nothin’" (avec justement Jon Bon Jovi en renfort aux choeurs) de cet album réparti sur deux faces de cinq morceaux chacune, à l’ancienne, rien à jeter, même si deux-trois morceaux ne tiennent pas tout à fait la route face aux singles et chansons pré-citées. Du rock, du rock, et encore du putain de rock, aussi paradoxalement viril que la pochette est féminisée : et pour les rockers au coeur tendre / brisé, ceux qui versent leur larme d’ado ou d’adieu à leur conquête, il y a bien évidemment ce "Nobody’s Fool", qui figure de loin dans le Top Five des meilleures ballades de l’époque, avec une intensité émotionnelle et instrumentale aussi puissante qu’un "Home Sweet Home" ou qu’un "Still Loving You". Pas moins : c’est un chef d’oeuvre dans l’exercice – exercice obligé à l’époque de sortir un tel potentiel en deuxième single et espérer ainsi gagner le coeur de cible comme un Cupidon des radios FM : les filles. Filles prescriptrices, filles hystériques, filles qui punaisent leur Tom Keifer au-dessus de leur oreiller, et filles qui finissent par faire la queue backstage.

Ce « Night Songs » on l’a épuisé. Autant épuisé que lui nous a tué la voix en essayant de hurler comme ce même Keifer, organe inimitable, éraillé, mâle et gouailleur, sorte de version glamour virile d’une Janis Joplin (ils reprendront même bientôt son "Move Over"). Ce « Night Songs » il tourne en CD et même en 33-tours depuis notre tendre adolescence – où dieu merci nous n’avons pas tenté de piquer les écharpes à maman.

Et ce « Night Songs » est une nouvelle bénédiction depuis quelques semaines puisque, là où ses pressages étaient devenus aussi rares qu’obsolètes, il est venu retrouver ses deux grands frères dans l’écurie Bad Reputation, label cocorico aussi connu pour ses découvertes, exploitations de licence, que rééditions. « Long Cold Winter » (1988) et « Heartbreak Station » (1990) avaient donc déjà été superbement revisités il y a quelques années, mais la palme de la perfection est ici atteinte avec ce double digipak qui comprend d’un côté l’album remastérisé, et de l’autre le « Live at Tokyo Dome » sorti très discrètement façon bootleg officiel dans une collection avortée qui comprenait aussi des lives de LYNYRD SKYNYRD. Un concert absolument jouissif officiellement capté le 31 décembre 1990 sur la tournée « Heartbreak Station », à la veille d’une nouvelle année qui verra le groupe, comme tous les autres, emporté par le tsunami grunge – alors qu’il était là bien au chaud à ravir des milliers de fans nippons qui goutaient en concert au répertoire des américains. Une set-list parfaitement équilibrée entre leurs trois albums tous irréprochables, et qui graduellement laissaient davantage de place au gospel, à la country, au blues et au heavy rock des années 70, leur intarissable source d’inspiration.

Dans notre jardin secret, passé minuit rien ne perd de son charme ni de sa magie, et 1986 sonne comme hier, certes avec beaucoup de nostalgie assumée, mais surtout avec un panache qui pour le coup, est aussi spectaculaire et multicolore que les fringues ici empruntées.

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
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