21 février 2022, 20:48

Slash Feat. Myles Kennedy & THE CONSPIRATORS

"4"

Album : 4

"Procrastination". Voilà un mot dont Slash n’a probablement jamais entendu parler. Tout du moins une disposition psychique dont il ne souffre pas. Le concernant, il faudrait même plutôt jeter un œil du côté de l’hyperactivité : GUNS N' ROSES, SLASH'S SNAKEPIT, VELVET REVOLVER, sans oublier ses collaborations avec Bambi, Iggy, Lenny, Lemmy, Ozzy, Nikki, ou bien encore Fergie. Et ça marche avec toutes les autres voyelles aussi. Et même les consonnes ! Bob Dylan, Ray Charles, Alice Cooper, Jerry Lee Lewis, Brian May, Paul Rodgers, Rihanna, Rod Stewart, Sammy Hagar... ou encore les BEE GEES ! Infatigable, l’homme au chapeau reste l’un des musiciens les plus prolifiques de la planète... mais bat-il d’autres records ? Côté linguistique, les 50 caractères composant son Slash Feat. Myles Kennedy & THE CONSPIRATORS méritent-ils d’entrer dans le fameux Guinness Book ?

Videz vos poumons. Respirez. Videz. Remplissez. Vous êtes prêts ? Avec ses 51 lettres, EXIMPERITUSERQETHHZEBIBŠIPTUGAKKATHŠULWELIARZAXUŁUM (véridique !), l’emporte d’une courte tête. Mais remercions d’abord ici l’invention du "copier/coller" ; une micro-seconde d’inattention et c’était la faute de frappe assurée ! Pas de faute de goût, en revanche, pour la pochette de « 4 » : sobre et élégante. Le fond, les couleurs, la police... mais pourquoi « 4 » ? La Police, c’est le "17" ! Et ne serait-ce pas le 5e album réalisé en collaboration avec Myles Kennedy ? Oui et non. En 2010, le chanteur avait bien posé sa voix sur le premier disque solo – éponyme – de Slash. Et même s’il avait passé une audition peu de temps auparavant avec rien de moins que Jimmy Page, John Paul Jones et Jason Bonham (pour un projet post-LED ZEPPELIN), le natif de Boston devait alors être intimidé, d’apparaître aux côtés de grands noms de la (Iggy) Pop ou du (Kid) Rock : Astbury, Cornell, Grohl, Kilmister, Osbourne... Ce fût pourtant le seul à chanter sur deux des quatorze titres de l'album. Un signal fort. Et les prémisses de l’aventure SMKC (plus pratique, non ?).

Alors oui, après « Apocalyptic Love » (2012), « World On Fire » (2014) et « Living The Dream » (2018), « 4 » est bien le quatrième album pondu par le même quartet... ou quintet, puisque Frank Sidoris, guitariste rythmique de SMKC sur toutes les tournées, a rejoint "Les Conspirateurs" en studio depuis l’album précédent. « 4 »... comme les quatre éléments ! L’Eau pour « Apocalyptic Love ». Aussi calme, limpide et accueillante qu’agitée, obscure et inquiétante. Avec toutes les nuances que l’on imagine pour passer d’un état à l’autre. Le Feu pour « World On... Fire » : logique, tant l’album est puissant et débridé. Électrique. Et les 17 pépites qu’il recèle sont autant d’étincelles qui ne demandent qu’à embraser ce(ux) qui se trouve(nt) à proximité. La Terre, enfin, pour « Living The Dream », beaucoup moins "vaporeux" que son nom ne l’aurait laissé penser. Pourtant solide et consistant, l’album ne décolle jamais vraiment, ne proposant rien qui n’ait déjà été fait auparavant, hormis l’aventureux périple de "Lost Inside The Girl". L’ensemble est donc en deçà de ses prédécesseurs : poussif, car trop accroché à ses racines et au style SMKC brillamment mis en place sur les deux précédents disques : puissant et mélodique. Alors, même si l’album est de qualité, on ressent un peu de lassitude à son écoute. Comme s’il n’y avait plus de territoires à conquérir, de nouvelles planètes à découvrir. Comme si le vaisseau amiral était désespérément branché sur pilotage automatique. En orbite. Condamné à tourner en rond.

Et puis, il ne faut pas se mentir : il y a aussi ALTER BRIDGE, la carrière solo de Myles Kennedy, TOQUE, la formation réunissant Todd Kerns et Brent Fitz, respectivement bassiste et batteur de SMKC (devenus chanteur-guitariste et bassiste pour l’occasion) ou encore MINEFIELD, collectif dont Kerns est un membre éminent. Sans oublier le retour de Slash au sein de GUNS N' ROSES. Bref, les crossover Marvel-DC, à côté, c’est carrément de la gnognotte ! Mais le problème ne réside pas véritablement dans l’arbre généalogique. C’est plutôt comme si cette frénésie et cette surproduction appauvrissaient les compositions. Une accumulation de sons et d’intonations qui donne l’impression d’un même ronronnement, lorsque le vinyle tortille sur la platine. Comme si la quantité avait pris le pas sur la qualité. Tout du moins sur l’originalité, tant les plans finissent immanquablement par se ressembler. Devenant indistincts les uns des autres. Rappelons aussi que Slash n’avait jamais enregistré autant d’albums avec une même formation. Une zone de confort qui n’est peut-être pas la meilleure alliée de cet aventurier ? Après « Living The Dream », une mise en jachère paraissait donc indispensable pour refertiliser les sols et réinventer ce qui pouvait l’être. Pour réoxygéner le tout. « 4 », l’album de l’Air ?

C’est en tous les cas un vent frais qui souffle avant même la sortie de l’album, puisque Slash, indissociable de la marque de guitare Gibson, devient le premier ambassadeur du label musical Gibson Records (en association avec BMG). Une association tellement naturelle que l’homme à la Les Paul lâche provisoirement son propre label : le vigoureux Dik Hayd International, "droit comme un i" depuis 2010 (ce qui doit faire mal, à force). Une puissante rafale emportera également à grand coup de pompe Michael Baskette, le producteur attitré de SMKC depuis « World On Fire ». Car Slash a bien compris que le son du groupe devait évoluer. Immanquablement. C’est donc Dave Cobb, connu pour son travail avec RIVAL SONS (mais aussi nombre de formations country), qui sera en charge de la production de « 4 ». Nouveau label, nouveau producteur... et nouvelles méthodes d’enregistrement ! Ou retour aux origines, pour être exact, puisque l’album, capturé sur bandes analogiques au célèbre RCA Studio de Nashville, a été enregistré d’un seul tenant dans la fameuse live-room. Une pièce suffisamment spacieuse pour abriter simultanément Myles, Slash, Frank, Todd, Brent et tous leurs instruments. Un album enregistré live, à cinq, avec les amplis et tout le matos, sans casque, en prise directe avec le son et les autres musiciens. Et en cinq jours seulement, tout était dans la boîte ! À 24 heures près, on était pile-poil dans le concept de « 4 »... Assurément, le cadre a changé, la forme a évolué, mais quid du fond ? "Just push play" and "Let the music do the talking", comme dirait l'autre...

Un p’tit gimmick entêtant de la six cordes annonce "The River Is Rising", bientôt soutenu par une basse aussi lourde que les cymbales sont étincelantes. Et puis, Myles Kennedy prend le pouvoir. Puissante mais fragile, cristalline et nasillarde, sa voix nous embarque direct, sans passer par la douane ni le transit. Mais Slash barre l’accès à la piste de décollage. Il temporise encore, mais on sent bien que ça va péter ! Sous peu. La batterie martèle, pour annoncer le feu d’artifice imminent, et la guitare reprend le contrôle. Ça déboule dans les « 4 » coins du studio, avec des parties claires et sales à la fois. Totalement speedées. C’est vif et incisif. Car il y a de la vie dans cette live-room, dans cette pièce infestée par cette putain de COVID... sans que les musiciens ne le sachent, au moment de l’enregistrement ! Au final, quatre des cinq zicos choperont ainsi le virus dans le RCA Studio. Bougrement résistante, la sale bestiole, car le baroud d’honneur final nous offre 30 secondes qui en paraissent 10, tant le rythme est soutenu. Un petit moment à la LED ZEP, avec cette gratte qui balance ses dernières forces dans le combat, et ces vocalises, assurément "plantiennes"... Ça s’est du single, ma bonne Dame !

Moins attendu, "Whatever Gets You By" est plus brutal. Direct et hypnotique, le morceau est bien soutenu par une basse omniprésente et répétitive juste ce qu’il faut. Le son, lourd et crade, lorgne même carrément du côté stoner de la force... Celui de "C’est La Vie" balance plutôt du côté de la "Sweet Emotion" ; la talk-box utilisée par Slash évoquant immédiatement son affiliation à l’une de ses plus grandes influences : Joe Perry, le guitariste d’AEROSMITH. Et tandis que Myles scande son refrain dans la langue de Molière (IRON MAIDEN comme Yngwie Malmsteen nous avaient précédemment fait le coup du "Deja Vu"), nous enjoignant à trouver la force de clore un chapitre, lorsqu’une histoire ne vaut plus la peine d’être vécue, Slash nous balance un solo nerveux, aussi enjoué que stimulant. Car la musique de l’homme au chapeau est foncièrement revigorante. Pleine d’énergie. Presque festive. Le riff de "April Fool", que l’on aurait pu dénicher dans une malle poussiéreuse remplie des fameux « Toys In The Attic » en est l’illustration parfaite. Ça groove, ça pète dans tous les coins et les étincelles vont bien finir par foutre le feu au grenier ! Et cette section basse/batterie : carrément irrésistible. Elle ne l’est pas moins sur "The Path Less Followed", puissant blues rock qui trace sa voie... et quelle voix ! Myles Kennedy sublime les lignes mélodiques pondues par les quatre musiciens. Il module du larynx et ondule même de l’épiglotte sur "Actions Speak Louder Than Words". Magique. Et la seconde partie de l’album réserve aussi son lot de surprise...

Car c’est bien une sitar branchée sur la tête d’un Marshall que Slash dégaine sur "Spirit Love". Les sonorités orientales s’égrènent délicatement, vibrantes et obsédantes... puissamment contrebalancées par un son extrêmement lourd, des rythmes syncopés et légèrement dissonants. Le mode stoner est de retour et le mix est juste imparable. Une totale réussite. D’autant que la demi-minute de solo est du genre à vous emmener assez loin... Les GUNS N’ ROSES nous avaient déjà fait le coup de la sitar avec "Pretty Tied Up" (sur « Use Your Illusion II »), mais là où le luth n’était finalement qu’un gadget, il est pleinement intégrée à la structure du morceau de Slash Feat. Myles Kennedy & THE CONSPIRATORS. Tout du moins à sa couleur d’ensemble. Il est d’ailleurs encore question des GN’R sur "Fill My World", car la petite ritournelle, entêtante à souhait, n’est pas sans rappeler un certain "Sweet Child O' Mine"... Mais ce n’est pas le seul point sur lequel s’attarder. Très pop, la power-ballad met surtout en exergue la capacité du guitariste à s’infiltrer dans le moindre espace pour y faire briller sa Les Paul Kris Derrig et scintiller toutes les notes qu’il en extrait. Ou pour les faire hurler et aboyer durant les 3'16'' de "Call Of The Dogs" ! Une petite bombe hautement réjouissante, oscillant entre blues, hard rock et heavy. Des variations de registre et de tempo burinées par Brent Fitz, qui met le feu aux fûts avant le décollage de la dernière fusée : "Fall Back To Earth".

Ambitieux, délicat et épique, le morceau qui conclut l’album est aussi le plus long. Logique : il est composé de multiples segments et l’arrangement final a forcément nécessité un certain temps de réflexion. Un façonnement auquel Dave Cobb a largement pris part, puisque c’est bien lui qui a suggéré de conserver la mélodie d’ouverture pour soutenir le refrain, donnant à la compo ce relief bien particulier. Et que dire des 3 dernières minutes, où la guitare, vaporeuse, tout en nuances, presque immatérielle, croise et entrelace la voix de Kennedy, héroïque... Sorte de concert enregistré dans un Club, sans public, mais avec une acoustique irréprochable, « 4 » est véritablement une réussite. Un album vivant, chaleureux, léger et organique ! Le travail sur la forme a aussi porté ses fruits sur le fond, inévitablement. Car si les morceaux sont moins nombreux (10 contre 12, 13 ou même 17 titres sur les précédents albums), ils sont aussi plus compacts, plus variés, plus fluides. Le mixage des instruments est bien équilibré ; la section rythmique n’ayant même jamais été à pareille fête. C’est efficace, old-school, sans pour autant s’interdire quelques immersions vers des sonorités plus modernes. Ou des structures plus aventureuses... mais sans jamais mégoter sur ce qui fait la force de Slash : ses riffs épileptiques comme ses soli aériens.
Alors, oui : Slash Feat. Myles Kennedy & THE CONSPIRATORS n’est "qu’un" groupe de rock... mais quel groupe de rock ! Quelle chance d’être contemporain de ce musicien, quelle bénédiction qu’il soit aussi productif, quelle "veine" qu’il soit sorti indemne de ses trois overdoses... et quelle baraka que C.C. DeVille se soit pointé aux auditions de POISON !

Chapeau, Monsieur Slash !

Blogger : Stéphane Coquin
Au sujet de l'auteur
Stéphane Coquin
Entre Socrate, Sixx et Senna, impossible de faire un choix… J’ai donc tenté l’impossible ! Dans un mouvement dialectique aussi incompréhensible pour mes proches que pour moi-même, je me suis mis en tête de faire la synthèse de tout ce fourbi (et orbi), afin de rendre ces éléments disparates… cohérents ! L’histoire de ma vie. Version courte. Maîtrise de philo en poche, me voilà devenu journaliste spécialiste en sport auto, avant d’intégrer la valeureuse rédaction de HARD FORCE. Celle-là même qui prit sauvagement part à mes premiers émois métalliques (aïe ! ça fait mal !). Si la boucle n’est pas encore bouclée, l’arrondi est désormais plus que visible (non : je ne parle pas de mon ventre). Preuve que tout se déroule selon le plan – savamment – orchestré… même si j’aimerais que le tempo s’accélère. Bon, et sinon, qu’est-ce que j’écoute comme musique ? Du bon, rien que du bon : Platon, Nietzsche, Hegel et Spinoza ! Mais je ne crache pas non plus sur un bon vieux morceau de Prost, Villeneuve ou Alonso… Comment ça, Christian, faut tout réécrire !?!
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