19 décembre 2022, 17:45

TYRANT FEST 2022

@ Oignies (Métaphone)

Le site du 9-9 bis, ancien carreau de fosse, se nimbe très vite d’un épais voile de brouillard. Dans cette brume automnale, le chevalet prend des airs de fantôme, d’ombre menaçante. Ça et là, des braseros pointillent la nuit, cernés d’étranges personnes de noir vêtues, le visage souvent dissimulé sous une capuche. En ce samedi soir, l’ambiance est parfaite pour vivre un intense Tyrant Fest, festival consacré au metal extrême qui s’étend sur deux jours et doté d’une riche programmation de 18 groupes, l’un d’entre eux, SORDIDE jouant deux fois pour remplacer OTARGOS. AU DESSUS cède lui sa place à SERPENTS OATH. Bravo à l’organisation pour cette réactivité ! Il convient d’ailleurs de signaler la mise en place quasi parfaite de l’événement. Le timing est respecté à la minute près. Le son, excellent, permet aux musiciens d’exprimer la richesse de leur musique. Seul bémol : la petite taille, 100 places, de la seconde salle, l’Auditorium. Nombreux sont les spectateurs – moi compris ! – qui auraient aimé assister à certaines des prestations programmées en ce lieu. Je regrette surtout d’avoir manqué le set de reprises de NIRVANA proposé par SORDIDE et le rituel de HATS BARN.

MESSA (dimanche,19h45) est l’instant de grâce du festival. Au cœur d’une journée quasi exclusivement black metal, les Italiens ont offert 45 minutes en apesanteur, un voyage dans les années 70, à l’image de la chemise d’Alberto, guitariste sensible qui, lors du "Pilgrim" final, brille sur une guitare à 12 cordes. L’atout maître du quatuor, qui offre un doom planant, voire psychédélique, est la voix de Sara, hantée d’une tendre chaleur, sublime de douceur, même quand monte la colère. Le mystérieux "If You Want To Be Taken" est un rubis – dans les lights le rouge domine – occulte. "Suspended", « un morceau très important pour nous », comme le dit la chanteuse, plonge un public captif et silencieux dans une langueur délicieuse. Sara vibre, tremble, se met parfois à genou porté par les notes éthérées et puissantes de ses camarades. Pour son retour après un accident de la route – le bassiste a encore son bras soutenu par une attelle – MESSA, au fil des ses cinq longues chansons, est, au cœur de l’automne, le songe d’une nuit d’été.


CONAN (samedi, 19h45) rend lui aussi hommage au doom mais dans un style bien différent de MESSA. Le trio anglais a déversé ses rythmes lourds et poisseux, teintés de sludge, avec talent et décontraction. Penché sur sa basse, Chris Fielding, grand, chauve et barbu, semble danser un slow torturé avec son instrument quand Jon Davis, sous sa tignasse, tient haut sa guitare transparente, qui semble minuscule. Le groupe ne s’attarde pas sur son dernier album, « Evidence Of immortality », représenté par le seul "Levitation Hoax", plutôt rapide et parsemé de cris. Il préfère offrir les incontournables de son répertoire, à l’image de l’apocalyptique conclusion "Foehammer", "Battle In The Swamp" et "Paincarnation", qui voit même naître un pogo après que les Britanniques ont eu droit au premier stagediver du week-end. Le rouleau compresseur "Gravity Chasm" laisse lui aussi des traces sur des spectateurs qui n’ont eu de cesse de dodeliner 45 minutes durant, ravis de cette déferlante de fuzz et de groove massif.

Outre le doom, le death a lui aussi eu droit de cité lors de cette édition du Tyrant Fest. En cet automne, NILE et KRISIUN arpentent l’Europe au rythme frénétique d’une concert par jour, du 2 novembre en Pologne au 11 décembre en Allemagne. Ces vrais forçats de la route ont ravagé la France – Nantes, Paris, Lyon, Marseille, Tarbes ! – et sont donc passés par Oignies. Respect... d’autant plus que les deux groupes ne s’économisent pas. Les Brésiliens (samedi, 21h), après avoir réglé un problème technique, se montrent aussi féroces, dans l’exécution de leurs titres, que conviviaux. Alex Camargo doit ainsi battre le record du monde de « Thank you » balancé en une heure ! La fosse est déchaînée, pogos et slams ne cessent jamais et une femme s’approche même tout près du bassiste-chanteur avec un drapeau brésilien, sou l’œil attentif mais bienveillant de la personne chargée de la sécurité. Elle reviendra sur les planches pour un selfie en fin de concert !  Le trio met à l’honneur sa dernière sortie, « Mortem Solis », avec trois titres dont l’excellent "Swords Into Flesh", qui allie violence pure et mid-tempo puissant. Il fait suite à l’incontournable déflagration "Kings Of Killing", entame idéale pour se plonger dans les blasts et les riffs de serial-killer d’un groupe qui allie maîtrise et intensité... tout en réservant de brèves – et relatives – pauses comme ce "Necronomical" qui débute dans l’angoisse avant d’exploser en furie. L’immense "Hatred Inherit" achève ces soxiante minutes de quintessence death.


Passé après KRISIUN n’est pas une sinécure mais les expérimenté Américains NILE (samedi, 22h30) ont le talent et les compositions pour relever ce défi. Le nouveau line-up est déjà rodé, avec notamment un Scott Eames (chant/guitare) impérial et complémentaire du légendaire Karl Sanders, tout en sourire et décontraction, brillant dans son jeu comme dans son attitude ; il prend ainsi soin de remercier son technicien « le meilleur de tous ». L’ancien George Kollias à la batterie et le discret mais efficace Julien David Guillen à la basse posent les fondations trépidantes d’une set list démentielle, riche de classiques imparables, de la paire "Kafir" / "Call To Destruction" à l’incontournable et plus qu’attendu "Black Seeds Of Vengeance" final en passant par l’antédiluvien "The Howling Of The Jinn" dont le riff pré blast est toujours aussi jouissif. Comme un peu de lourdeur ne fait jamais de mal, surgissent quelques passages écrasants ("In The Name Of Amun") voire lents ("Sacophagus"). La dernière production des égyptologues n’est pas oubliée avec deux morceaux solides, "Long Shadows Of Dread" et "Vile Nilotic Rites". Si le public n’est plus aussi électrique que durant la prestation de KRISIUN – la fatigue ou la bière, qui sait ? – il n’en reste pas moins ultra dynamique et s’en donne à cœur joie dans un magma de sueur. Dans les derniers rangs, les musiciens et les spécialistes écarquillent les yeux en écoutant une merveille comme "Defiling The Gates Of Ishtar".


Après tant de louanges, vient le temps de la déception avec le concert des Portugais GAEREA (samedi, 18 h30). Encagoulés, noyés dans une fumée épaisse, ils débutent leur set par une incantation bizarre du chanteur, prélude à 45 minutes de post-black découpées en longs morceaux qui finissent par lasser, entre passages apaisés convenus et accélérations prévisibles. Le chanteur ondule sans cesse, se contorsionne comme un danseur. Si les musiciens, à l’image d’un batteur impressionnant, assurent, ils donnent l’impression de jouer une bande-son pour que leur frontman puisse s’épanouir dans un ballet décadent. Il finit d’ailleurs seul sur scène pour conclure trois quarts d’heures longuets... Impression personnelle car les commentaires, à l'issue de cette prestation, était plutôt positif.

Autre groupe que je ne connaissais pas, SERPENTS OATH (dimanche, 18h30) a remplacé AU DESSUS. Encens, backdrop représentant une femme seins nus, jambes écartées, un crâne posé entre les cuisses, ligths agressives, les Belges officient dans un décorum typiquement black. Portés par un chanteur puissant, souvent penché en arrière pour aller chercher ses vocaux au plus profond de lui-même, ils enchaînent des titres 100% trve, dans la lignée de MARDUK. Blasts et tremolo pickings sont au rendez-vous de cette cérémonie malsaine.

En ouverture de la journée du dimanche, BLISS OF FLESH (16h00) a plongé ses solides compositions black/death dans une mise en scène grandiloquente. Accompagné d’un violoniste, le groupe vit son concert comme une sorte de messe païenne, avec envoi de peinture rouge dans le public et apparition de deux femmes dénudées. Elles lancent des hosties avant de sacrer d’une couronne de barbelés le chanteur, colosse vite torse nu, aux yeux fous, aux gestes saccadés. Puis viennent le feu et la flamme, apportés par les prêtresses et crachés par le frontman. Ces artifices ne doivent surtout pas masquer la qualité des titres interprétés ; ils ne sont pas, loin delà, un cache-misère.


Toujours black, toujours français mais complètement différent, BELENOS (dimanche, 17h15) prend la suite des Calaisiens. Sans artifice, en toute sobriété, les bardes électriques visitent une grande partie de leur discographie, passant de l’ultra violent "Morfondu", qui ouvrait en beauté « Errances Oniriques » en 2001, au plus récent et bien construit "Nozweler", tiré de « Argoat » (2019). Si le groupe semble parfois un peu rouillé, à l’image du faux départ sur un titre ou de quelques hésitations, la faute sans doute à une période d’hibernation, le souffle propre à ses mélodies subtiles glisse toujours un frisson, entre angoisse et extase. Le chanteur, originaire d’Arras, dédie le bien nommé "Loin Au Nord" aux gens de la région, sympathique attention, tandis que Loïc Cellier, l’âme de BELENOS, se concentre sur son jeu. Un bon concert mais, admettons-le, on attendait plus de ce groupe légendaire... même si "L'Antre Noire" final est une conclusion de toute beauté.

Sans artifice non plus, tel est SORDIDE (samedi, 17h15). Porté par un bassiste impressionnant, le trio déverse son black étrange, teinté de punk (coucou, DARKTHRONE !), joué dans une logique rock. De cette musique froide, tantôt lancinante, tantôt traversée de violents éclairs de colère, de ces paroles en français, se dégage un parfum vénéneux.

Le festival avait débuté par la prestation possédée de THROANE (samedi, 16h), groupe d’un Dehn Sora happé par sa musique, dévoré par ses chansons. Il chante comme si sa vie dépendait des cris qu’il crache, des gémissements écorchés qu’il arrache à son âme torturée, des bruits qu’il tire de son synthétiseur, des sons qu’épisodiquement il  extrait  d'une grosse caisse. Sur l’écran en fond de scène sont projetés d’inquiétants gros plans de blessures, de cicatrices, de visages ridés... qui se marie à merveille à l’ambiance black/indus du concert. Pas la moindre parole adressée au public, bien sûr, juste la haine et la peine jusqu’aux ultimes secondes quand le chanteur jette son micro et que défile, de plus en plus vite, les paroles de "Plus Une Main A Mordre" porté par un riff répété à l’infini. Intense.


La fête noire s’achève avec deux vétérans du black. ENTHRONED (dimanche, 21h00) et la tête d’affiche, BELPHEGOR (dimanche, 22h30) bénéficient, comme KRISIUN et NILE la veille, d’une heure de show – contre 45 minutes pour les autres groupes.

Les Belges ne proposent que des morceaux post 2006, soit composés après le départ du chanteur originel Lord Sabathan, depuis remplacé par Nornagest, passé de la guitare aux chant. Lucides, ils font toutefois l’impasse sur le médiocre « Pentagrammaton » de 2010 et propose donc des titres moins épiques, plus directs. Crane rasé, maquillage, dont une bande noire autour des yeux, le hurleur, après son entrée en scène en mimant des croix, se montre charismatique. Il étend souvent les bras comme pour se donner à la foule, roule des yeux exorbités, joue de voix maléfique... mais n’oublie pas de dédier "Deathmoor" au guitariste fondateur de la horde, présent au Métaphone. Le bref et intense "Hosanna Satana" lance les hostilités avec une radicalité que l’on retrouve sur un "Smoking Mirror" aux paroles déclamées ; les blasts sont bien au rendez-vous. Les Belges, toutefois, savent aussi se faire plus accrocheurs, comme sur "Nonus Sacramentvm - Obsidium", ou plus lents, comme sur le malsain "Sepulchred Within Opaque Slumber". Cette relative variété – on reste quand même dans du black pur jus venimeux, hein – permet d’arriver sans se lasser à l’ultime "Of Feathers And Flames" dont la vague mélancolie conclut un set de bonne facture.


Pour conclure l’orgie diabolique du Tyrant Fest, BELPHEGOR, sous des lights bleutés, dans un décor où pullulent, devant un backdrop blasphématoire, croix inversées et vasques qui bientôt s’allumeront, signe une prestation haut de gamme. Les Autrichiens, derrière un Helmut au magnifique pied de micro en forme de cisailles, assènent leurs compositions avec hargne, n’hésitant pas à s’approcher de la fosse en posant le pied sur les retours. Leur black/death, qui n’est pas sans parfois évoquer Behemoth comme sur l’hypnotique "Virtus Asinaria – Prayer", tiré du récent et réussi « The Devils », emporte l’adhésion du public. Il est séduit par la puissance ("Baphomet" aux vocaux gutturaux, à la lourdeur très death) et le rythme diabolique (hé, hé, hé) des titres proposés, pour la plupart issu des trois derniers albums du groupe. Les atmosphères sont malsaines à souhait (le mid-tempo "Conjuring The Dead"), le côté satanique brille d’autant plus quand les paroles sont déclamés en latin. Ravi de l’accueil des fans, BELPHEGOR revient pour un rappel semble-t-il non prévu avant qu’Helmut, Serpenth et leurs sbires ne quittent la scène, juste après un ultime et tonitruant "Danke Schön" du frontman.

Outre les concerts, le Tyrant Fest propose un market qui fait mal à la carte bleue (ah, le stand Adipocère Records !), un salon de tatouage, des expositions, une visite guidée du site minier et des randonnées. De quoi passer un week-end parfait et d'attendre avec impatience la prochaine édition.
 

Blogger : Christophe Grès
Au sujet de l'auteur
Christophe Grès
Christophe a plongé dans l’univers du hard rock et du metal à la fin de l’adolescence, au tout début des années 90, avec Guns N’ Roses, Iron Maiden – des heures passées à écouter "Live after Death", les yeux plongés dans la mythique illustration du disque ! – et Motörhead. Très vite, cette musique devient une passion de plus en plus envahissante… Une multitude de nouveaux groupes a envahi sa vie, d’Obituary à Dark Throne en passant par Loudblast, Immortal, Paradise Lost... Les Grands Anciens – Black Sabbath, Led Zep, Deep Purple… – sont devenus ses références, comme de sages grands-pères, quand de jeunes furieux sont devenus les rejetons turbulents de la famille. Adorant écrire, il a créé et mené le fanzine A Rebours durant quelques années. Collectionneur dans l’âme, il accumule les set-lists, les vinyles, les CDs, les flyers… au grand désarroi de sa compagne, rétive à l’art métallique.
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