25 février 2023, 23:59

GOJIRA + ALIEN WEAPONRY + EMPLOYED TO SERVE

@ Paris (Accord Arena)


Nous y voilà. C’est probablement ce que tout le monde se dit ce soir, en retraçant mentalement le parcours émérite, sans accroc et impressionnant du groupe. Car depuis les répétitions dans la maison familiale des Landes jusqu’à la salle comble de l’Accor Arena (en passant par les Grammy Awards), ce sont près de 27 années qui se sont écoulées.
D’ailleurs, deux détails nous confirment rapidement que notre porte-monnaie est entré, comme GOJIRA, dans une autre dimension. Ici, il faut se délester de 10€ pour une pinte de bière et les t-shirts du groupe s’affichent au prix très questionnable de 45€.

Mais passons, car c’est déjà l’heure d’EMPLOYED TO SERVE qui commence son set devant une salle en cours de remplissage. Le metalcore de nos voisins britanniques innonde nos oreilles, avec un son étrangement plus agréable sur les extrémités de la scène qu’au niveau de la console. Le quintet, originaire du sud-ouest de Londres, nous propose un mixage d’influences modernes et emblématiques. De DEFTONES à MACHINE HEAD, en passant par HATEBREED et MESHUGGAH, on cerne rapidement l’univers d’un groupe aux 4 albums bien installés dans la scène british. Le duo Justine Jones et Sammy Urwin, par ailleurs à la tête du label Church Road Records (HERIOT, SVALBARD, OAK...), se complète naturellement sur scène. Malheureusement pour eux, il en faudra plus pour nous convaincre ce soir. L’ampleur de la scène semble légèrement démesurée face à ces cinq musiciens un peu statiques dont les compositions manquent d’originalité. On écoute donc poliment mais sans conviction, malgré l’évidente bonne volonté du groupe.


Après avoir vidé notre compte bancaire de fin de mois pour une pinte au prix post-inflation, nous sommes prêts à (ré)ouvrir nos chakras pour ALIEN WEAPONRY. Le trio Néo-Zélandais, tout comme EMPLOYED TO SERVE, joue avec GOJIRA en Europe depuis l’été dernier. Si j’avais raté les premiers à Stockholm, j’étais arrivée à temps pour découvrir le Te Reo Māori Metal des seconds. Et rester de marbre face à leur proposition musicale somme toute très basique. Mais comme il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, je suis prête à gagner quelques neurones ce soir. C’est vrai : on se laisse aisément convaincre par le duo doux-amer des frères de Jong. L’un à la guitare et l’autre à la batterie, n’y voyez bien sûr aucun clin d'œil aux frères Duplantier. Leur mariage vocal inattendu impressionne par sa sonorité quasi surnaturelle et incantatoire, et sied parfaitement à l’identité Maori que le groupe défend. Passé cela, leurs compositions simplistes n’arrivent pas à effacer la tenace impression d’un banal remake SOULFLY / EKTOMORF, certes ennobli par quelques riffs d’inspiration Gojirienne. Bref, nouvelle déception. 


La présence de ces premières parties pour accompagner un groupe si exigeant et inclassable que GOJIRA nous laisse décidément perplexe. Entre temps, la fosse et les gradins affichent complet et il devient difficile de se frayer un chemin en bas pour voir quelque chose de la scène. C’est un peu notre revers de la médaille. Le plaisir d'acclamer GOJIRA dans une si grande salle côtoie le regret de ne pas pouvoir les apprécier de très près et vivre la viscéralité de leur musique plus intensément encore. 

La lumière se tamise à présent pour laisser place au traditionnel décompte, cette fois-ci sans rideau mais accompagné d’une magnifique ambiance solaire qui annonce le début des hostilités. Elles commencent sur "Born For One Thing", l’un des quatre singles du dernier « Fortitude ». Le côté pascalien des paroles (« nous sommes nés pour faire face à la mort tout en l’ignorant royalement ») est immédiatement dépassé par la ferveur joyeuse du public qui résonne intensément dans toute la salle. La pureté des flammes qui encadrent la scène mêlée à la fumée enveloppant chaque musicien est un délice scénographique à observer. À l’issue de cette grosse mise en bouche, Joe ne glisse qu’un court « Comment ça va ? » à la foule avant d’enchaîner brutalement sur le classique "The Heaviest Matter Of The Universe" suivi de "Backbone". On se dit alors que la set-list ne se focalisera pas que sur les derniers albums du groupe. Affaire à suivre...


Sur scène, Jean-Michel cabriole comme à son habitude. L’énergie communiquée par le quasi quinquagénaire ne semble pas avoir changé en plus de 20 années de bons et loyaux services. D’ailleurs, la précision technique du quartet, portée par la frappe et la forme olympique de Mario derrière ses fûts (digne d’un fringant vingtenaire) n’est pas anodine. Il mène la danse, avec son subtil jeu de cymbales et sa double pédale infatiguable, toujours visuel pendant cette heure et demie de concert mémorable.

Côté set-list, l’illusion d’une playlist old-school s’arrête après "Flying Whales", troisième volet d’un intense triptyque consacré à l'album « From Mars To Sirius », malicieusement entrecoupé par "Stranded" et son apothéose de serpentins. La suite donnera la part belle à « Magma » et tout naturellement « Fortitude », avec néanmoins quelques incartades issues de « The Way of All Flesh » et « l’Enfant Sauvage ».


Mais peu importe à ce moment, car lorsque les premières secondes "The Cell" retentissent, le spectacle est total. Les éclairs tempétueux nous emmènent avec brio au cœur de l’orage GOJIRA, tant et si bien que Joe s’emporte avec un peu d’avance. Ce titre est une bombe scénographique et l’on sent littéralement le quartet en transe sur scène. Comme le dit alors Joe :  « On débranche le cerveau, on écoute la grosse caisse, on met le téléphone dans la poche et on pète un câble ». L’enchaînement avec l’hypnotique "The Art Of Dying" se fait ensuite tout naturellement, en communion avec les 15 000 spectateurs présents ce soir. La simplicité avec laquelle GOJIRA accorde sa pointilleuse maîtrise technique avec une sensibilité et une subtilité hors pair est déconcertante. C’est probablement ce qui nous fascine tous et explique le succès d’un groupe qui refuse encore aujourd’hui les étiquettes de style.

Mario lance ensuite avec espièglerie son habituel solo de batterie, cette fois-ci aidé par quelques panneaux d’émojis galvanisants. Ça fonctionne et permet à la salle, à la fois hilare et admirative, de reprendre du souffle avant la seconde partie du set qui s’annonce déjà avec "Grind". L’accord parfait entre Mario et le classieux Christian sur les parties les plus complexes du morceau est presque jouissif.


Difficile de l’expliquer, mais le rythme et l’intensité du concert semblent ensuite ralentir le temps de quelques titres ("Another World", "l’Enfant Sauvage", "Toxic Garbage Island" et "Our Time Is Now") avant de se faire réveiller par "The Chant", qui unit l’espace d’un instant toutes les voix présentes ce soir. On sent que ce moment de grâce commence à toucher à sa fin avec le richissime "Amazonia", qui laissera ensuite place aux classiques encore. Avant cela, le nécessaire rappel par Joe des génocides en cours ne laisse pas indifférent. Du soutien de toujours à Sea Shepherd jusqu’à l’opération Amazonia, le groupe n’a jamais renié ses engagements et ne semble pas prêt de le faire. Pas de quoi s’étonner lorsque Joe raille au passage le changement du nom de Bercy pour Accor Arena ; sa sincère fraîcheur fait du bien à entendre.

Mais revenons-en à nos rappels, qui commencent avec "Silvera", un des morceaux de GOJIRA le mieux calibré pour le live. Une montagne russe d’émotions sous couvert de rouleau compresseur, qui laisse ensuite la place au tubesque "New Found", l’un des titres les plus entêtant du dernier album, qui manquait encore à l’appel. Enfin, "The Guift Of Guilt" se dévoue pour achever ce fabuleux concert sur une entêtante note poétique (et mélancolique), pendant que nous levons les yeux pour contempler la pluie d'étincelles qui s’abat alors sur la salle.


Sans surprise, la bande aux Duplantier tire sa révérence sous un tonnerre d'applaudissements (et de larmichettes discrètes). Comme nous le soupçonnions en entrant dans cette salle, nous avons assisté à la magistrale leçon de style d’un groupe pas comme les autres, qui a construit sa carrière avec humilité, persévérance et sincérité. GOJIRA a tout le mérite de son succès, entouré par ailleurs d’une équipe technique exceptionnelle. Alors même si la frenchitude du groupe s’efface un peu ces dernières années face à son succès écrasant, une chose est sûre : nos quatre hommes ont façonné un bijou qui marque déjà lourdement l’histoire du metal, et de la musique moderne en général.

Un seul regret demeure : ne pas avoir entendu l’immense "Remembrance" sur scène ce soir.


Photos © Régis Peylet - Portfolio

Blogger : Leonor Ananké
Au sujet de l'auteur
Leonor Ananké
S'arrêter d'headbanger pour prendre des photos avec un gros appareil au milieu de la folie des concerts : un peu étrange, non ? C'est également ce que pense Leonor en commençant à écrire ses premiers live-reports qu'il faudrait bien illustrer. En peu de temps, c'est devenu quelque chose de naturel et d'exaltant… Jusqu'à ce qu’elle ne puisse plus s'imaginer se déplacer pour un concert sans prendre avec elle son reflex... en plus de sa paire de cheveux. Faire vivre le metal à travers sa dimension visuelle est devenu un véritable activisme, sans pour autant s'empêcher de continuer à réaliser chroniques, live- reports et interviews en secouant toujours aussi frénétiquement la tête.
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