Quasiment 19 ans. Une paille ! C’est en effet le temps qui s’est écoulé depuis la sortie de « Tyranny Of Souls », précédent album solo de Bruce Dickinson paru en mai 2005. Ce n’est pas faute d’avoir voulu le sortir avant bien sûr mais l’agenda d’IRON MAIDEN étant – attention, euphémisme – un tantinet contraint (refaites un tour d’horizon du planning des 19 dernières années de la Vierge de Fer pour vous figurer cela), difficile en effet de trouver une fenêtre de tir propice à cet exercice. D’autant plus si l’on ajoute à ce Zébulon de chanteur une foule d’activités diverses, trop nombreuses pour être citées ici. Mais qu’importe et profitons donc comme il se doit de cette cuvée 2024. « On ne vit que deux fois » selon le titre d’un roman et d’un film du même nom mettant en scène 007, l’agent secret britannique James Bond, ce que Bruce s’emploie à faire encore plus depuis 2015 en véritable resurrection man de cette chronique. Bien sûr, avec un tel laps de temps entre deux disques, il serait tentant à l’écoute de « The Mandrake Project » de se remémorer ses anciens faits d’armes, de chercher à fredonner d’anciennes mélodies. Ou bien de faire un comparatif avec la discographie qu’il a à son actif et d’en tirer de fausses conclusions, de poser des passerelles bancales et trouver des raccourcis qui n’en seraient pas vraiment si l’on tendait à un peu plus d’objectivité et de prise en compte de l’actuel. Ce que j’ai tenté de ne pas faire – j’espère le but atteint et vous seuls en serez juges à l’issue de cette lecture et de vos écoutes – dans les lignes qui suivent.
Toujours accompagné par Roy Z (Roy Ramirez à l’état civil), préposé à la composition et aux guitares, notre fringant jeune homme de 65 printemps nous propose dix nouveaux titres. Ou plutôt neuf et demi, nous y reviendrons et comprendrez pourquoi. Le début des festivités a lieu avec la chanson-titre "Afterglow Of Ragnarok", single accompagné d’un clip ambitieux et flanqué d’un concept qui se décline en bande dessinée dont le premier volume est sorti en même temps que la chanson. Concept je disais car si l’on traduit ne serait-ce que le titre de la chanson, on obtient "Rémanence du Ragnarok". Kézako ? Rémanence : persistance partielle d'un phénomène après disparition de sa cause. Ragnarok : dans la mythologie nordique, le Ragnarök (avec un tréma) renvoie à une fin du monde prophétique comprenant une série d'événements dont un hiver de trois ans sans soleil, suivie d'une grande bataille sur la plaine de Vígríd. Ouch ! Ah c’est sûr, ce n’est pas du Nakamura dans le texte...
Mais nous ne sommes pas dans une rubrique expliquant la signification des morceaux, préférant laisser cela à d’autres qui le font bien mieux. Vous vous en ferez plutôt votre propre interprétation, les paroles de Bruce s’y prêtant à merveille. Idem, pas de titre par titre, ce genre de chroniques poussives à lire en général. On appuiera juste sur "Eternity Has Failed", chanson connue précédemment sous le nom de "If Eternity Should Fail" car parue en 2015 sur l’album d’IRON MAIDEN « The Book Of Souls ». Si vous l’ignoriez jusqu’ici (ce dont je doute), Bruce l’avait faite écouter à Steve Harris qui avait alors décrété qu’elle devait figurer sur leur album et elle fut remaniée pour l’occasion. La voici désormais telle que Bruce l’avait écrite et composée à l’origine. Des claviers proéminents par moments, des chœurs ajoutés, des parties de guitare – forcément – différentes, des paroles pas tout à fait semblables et vous obtenez une nouvelle version qui lui donne un coup de boost bienvenu. Les gros fans eux, auront aussi écouté "If Eternity Should Fail (demo)", que l’on trouve en face B du vinyl single 7" de "Afterglow Of Ragnarok".
Il me revient une anecdote où quelqu’un qui déteste IRON MAIDEN m’a dit une fois apprécier les chansons de Bruce parce qu’elles sont totalement différentes de ce qu’il fait avec le groupe. « C’est ben vrai ! » dirait la mère Denis, et moi je dirais heureusement ! Sinon quel intérêt aurait-il à sortir des albums en solo ? Mentions spéciales donc à "Resurrection Men" et ses ambiances country mais aussi à son break Sabbathien et à "Fingers In The Wounds" et sa surprenante autant qu’inattendue partie orientale qui fonctionne à merveille.
Au rayon des souvenirs et réminiscences, nous avons "Mistress Of Mercy" qui rappelle quelque part "Freak" sur « Accident Of Birth » ou encore la semi-ballade "Shadow Of The Gods" et son ambiance tirant par moments sur "The Chemical Wedding" de l’album du même nom. Deux disques sur lesquels brillait Adrian Smith, six-cordistes et compagnon d’armes du chanteur au sein de MAIDEN. Enfin, digne pendant de "Omega" (« Accident Of Birth ») et morceau de bravoure pour le moins, la délicate "Sonata (Immortal Beloved)" clôt en dix minutes ce disque, nanti d’un refrain appelant à la rédemption, une sorte d’appel au secours. Une chanson sur laquelle on se délectera de saillies de guitare de l’excellent soliste qu’est Roy Z, mettant ainsi un point final au bout de cinquante-huit minutes à l’histoire ayant débutée dix titres plus tôt, neuf et demi me reprendrez-vous à cause de "Eternity Has Failed" justement. Constat : le tout forme une trame indissociable bien que l’on puisse en écouter chaque chanson de façon indépendante. Paradoxe ? Non, maestria. « Alors là, il m'épate, il m'épate, il m'épate ! » En grand fan de Louis de Funès qu’il est et que je suis aussi, il fallait bien que je lui adresse ce petit clin d’œil. Cheers Bruce!
Du côté de l’ambiance sonore, on reste en terrain connu, le son de guitare de Roy Z étant clairement identifiable mais on ajoutera un petit bémol sur la production que l’on aurait aimé plus pêchue, plus rentre-dedans et obtenir un petit côté wall of sound comme le producteur Phil Spector avait su le créer dans les années 70, notamment au niveau des guitares qui auraient méritées d’être plus agressives bien que cela aurait pu avoir comme conséquence de dénaturer la texture recherchée.
L’identité du chanteur est respectée et bien traitée niveau mixage et mastering, les lignes de chant sont parfaites et, me semble-t-il, plus adaptées désormais en termes de tessiture qu’au style usité chez MAIDEN. En d’autres termes, il pousse moins mais sait encore très bien le faire si nécessaire. Florilège de chansons écrites récemment, il y a quelques années ou bien encore composées il y a près de vingt ans selon ce que l’on a pu lire dans la presse, on s’étonnera presque que le tout s’imbrique parfaitement, nous donnant envie d’explorer plus avant cette histoire, notamment par le biais des BD et des prochains clips qui vont arriver progressivement.
Sans surprise, « Afterglow Of Ragnarok » est maîtrisé dans son ensemble et réussit à ne pas devoir être comparé aux disques précédents de Bruce, évitant aussi le piège de ressasser d’anciennes formules (les comparaisons faites plus haut sont certainement dues au fait que les chansons mises en exergue aient été composées aux mêmes époques que les albums cités, chose à confirmer par l’intéressé). Point de hard rock brut de décoffrage à la « Tattooed Millionaire » donc, de titres alambiqués à la « Balls To Picasso » ou d’expérimentations que l’on trouvait sur « Skunkworks », ce qui est un bien et un mal. Un bien car on se serait trouvé face à un patchwork (un gloubi-boulga dixit Casimir) indigeste et un mal car il y a pourtant de belles idées dans chacun de ces disques dont il aurait pu s’inspirer à nouveau tout en conservant un côté sans redite à l’entreprise.
Pour résumer en une phrase, l’album se concentre sur un heavy mature et qui sait rester moderne, naviguant le plus loin possible des eaux territoriales d’IRON MAIDEN. Et si les aventures d’Eddie devaient s’arrêter tôt ou tard, on se plait à penser que celles de Bruce Dickinson en solo pourraient continuer au moins encore un peu. Et l’on ne s’en plaindra pas, loin de là. Auditeurs de RTL, nous sommes sur un « Stop ou Encore ? » spécial Bruce Dickinson et le score est de « Encore » à 100 % ! Up the Bruce!