25 mai 2024, 18:17

DIO

"Holy Diver" (1983 - Rétro-Chronique)

Album : Holy Diver

Nous sommes le 25 mai 2024 et cet album fête ses... 41 ans !

Il est de bon ton de considérer qu’il y a, dans la vie, certaines périodes charnières… et le cap de la quarantaine en fait indéniablement partie. Point de crise identitaire ici, puisque nous parlerons à la fois de l’âge du disque qui nous intéresse, « Holy Diver », comme de celui de son concepteur : Ronnie James Dio. Lequel n’avait pas encore soufflé ses 41 bougies au moment de la sortie de l’album. L’idée n’est pas non plus, dans ces quelques lignes, de refaire la genèse de cet album, puisque cela a déjà été relaté ICI, mais bien plutôt de considérer l’œuvre musicale dans son ensemble.

On le sait : en 1983, Ronnie James Dio a déjà une longue carrière musicale derrière lui, notamment avec RAINBOW et BLACK SABBATH… mais toujours dans le rôle du suppléant. De son propre aveu, il aurait déjà monté son groupe dès 1978, s’il n’avait pas été attiré par la proposition de Iommi de rejoindre BLACK SABBATH. Aussi, après une séparation houleuse avec l’ex-groupe d’Ozzy Osbourne, il faut aussi considérer « Holy Diver » comme une aventure entrepreneuriale. À ce propos, le récent documentaire Dreamers Will Never Die nous éclaire sur une période que beaucoup d’entre nous ont connue : la fin de tout salaire fixe, à la suite d’une rupture, et l’envie de monter sa propre structure, afin de s’affranchir des règles classiques, gagner sa liberté et sa vie. Tout simplement. À ce titre, le garage de la maison de Dio – qui tiendra lieu de premier studio d’enregistrement – redevient ce lieu mythique de "success story" américaine, tellement apprécié dans le monde de la tech. Des premières répétitions avec le copain de toujours, Vinny Appice (avec qui il partage des doubles racines new-yorkaises et italiennes), vont aussi naître les premières notes de la chanson "Holy Diver", à la rythmique si caractéristique. Huit autres morceaux suivront.

Avec le recul, on s’interroge : qu’est ce qui fait la force d’un album, en son temps, et, plus rare, sa capacité à traverser les époques ? Probablement le savant mélange de plusieurs ingrédients, sous formes de messages, qui vont parler à tous les sens du public. Et cette recette va être parfaitement exécutée par Dio. Premier ingrédient : l’aptitude (à cette époque tout du moins...) dont a fait preuve Ronnie pour s’entourer de talents, s’intéressant tout autant à l’individu qu’au collectif. Dans sa composition, cette première mouture du groupe sera un subtil et détonnant cocktail d’expérience et de prise de risque, notamment avec la promotion d’un jeune premier (19 ans) en la personne de Vivian Campbell... qui démontre, pour l’occasion, et malgré son patronyme, que la jeunesse n’est pas un problème ! La performance de ce nouveau guitar-hero viendra largement récompenser la prise de risque initiale. Qui ne tente rien... Avec une section rythmique composée de l’expérimenté Jimmy Bain et de Vinny Appice – transfuge, comme lui, de BLACK SABBATH – Dio sait que les fondations de son groupe sont solides.

Deuxième composant, et non des moindres, la fine perception des nouveaux codes de l’industrie musicale du début des années 80. Finies les grandes envolées lyriques de RAINBOW ou la noire lourdeur de BLACK SABBATH ! Et place à des morceaux plus calibrés pour la bande FM comme pour MTV ; deux nouveaux canaux de diffusion qui promettent de révolutionner l’expérience musicale. D’ailleurs, Ronnie James Dio a bien intégré le fait que la musique ne s’écouterait plus jamais de la même façon. Les mini-chaînes HiFi font leur apparition, tout comme les premiers baladeurs. Ces "walkman", dont les écouteurs en mousse (qui fleurissent sur beaucoup de têtes) permettent de s’imprégner encore davantage de la musique, abolissant un peu plus la distance d’écoute. Le disque platine et l’ampli paraissent presque désuets... Enfin, le troisième et dernier élément est évident : c’est la "success story" dont les américains raffolent. Voir une personne éprouvée par les épreuves de la vie parvenir au succès procure toujours une émotion particulière. À l’instar – dans un tout autre registre musical – du come-back réussi par Tina Turner l’année suivante, en 1984. Les années 80 ne sont donc pas seulement réservées aux jeunes loups aux dents longues : il y a de la place pour l’ambition comme pour le talent. Deux qualités dont ne manque pas RJD, qui souhaite parvenir au sommet dès cette première tentative en solo, mais pas avec n’importe quelles armes.

La direction musicale de « Holy Diver » va donc intégrer ces différents codes, en proposant, de surcroît, une signature visuelle et sonore reconnaissable entre mille, de façon à intérioriser "l’héritage" : la somme des influences de Dio, tout en sonnant éminemment moderne. Musicalement, l’album proposera une double direction, avec des titres très immédiats et d’autres plus orientés "ambiance" mais dans un seul et unique but : embarquer l’auditeur dès les premières secondes pour ne plus le lâcher jusqu’à la fin. Et dans le registre des morceaux "catchy / FM compatible" (appelons-les comme on veut), ça commence très fort avec "Stand Up And Shout", qui n’est ni plus ni moins que l’expression de ce que Ronnie James Dio cherche à extérioriser depuis des années ("You Got Desire, So Let It Out") : être libre de ses rêves et les réaliser, vivre debout. "Gypsy" est un double clin d’œil à la dame aux cartes de RAINBOW et à une autre créature pas vraiment fréquentable (même carrément "evil") de BLACK SABBATH. "Caught To The Middle" et "Straight To The Heart" expriment à merveille cette volonté d’aller droit au but, avec des riffs carrés au possible, une rythmique en acier trempé et une conviction hors norme, côté chant. Quant à "Rainbow In The Dark", archi diffusé à l’époque, il faut se rappeler que personne n’y croyait, au stade de la démo... avant que quelques notes de synthé, jouées clope au bec, ne lui donnent une teinte unique, reconnaissable entre mille.

Mais les morceaux directs ne seront pas la seule force de l’album. Des plages "ambiance" viendront ainsi apporter de la diversité à l’ensemble. Ce sera l’occasion, pour Ronnie James Dio, de laisser aller son imagination et de nous embarquer dans ses multiples univers... Aussi, écouter « Holy Diver » à une époque où Internet n’existe pas, où Le Seigneur Des Anneaux n’est encore qu’un livre, c’est trouver un exutoire. Mieux : un champ d’évasion. Il y a bien sûr la chanson-titre, avec son intro mystérieuse et pesante (très inspirée de la période RAINBOW, du reste) durant laquelle on ressent qu’un drame se noue, avant cet enchaînement sur une cavalcade tellement singulière... délicieux moment du documentaire Dreamers Will Never Die, quand Vinny Appice la fredonne. Les premiers couplets de Dio (avec le "H aspiré" et l’intonation plus grave sur le "Sea") mériteraient d’être enseignés dans n’importe quelle école de chant, tant cela sonne juste, mélodique, puissant et continue de donner la chair de poule, écoute après écoute.

"Don’t Talk To Strangers" étonne, avec cette intro tellement calme, très médiévale dans l’inspiration, pour ensuite nous clouer au sol, tétanisé par la montée en puissance vocale et la parfaite fusion avec la guitare. Mais le meilleur est encore à venir ! D’abord avec "Invisible" (dont les premières paroles ornent le livret), qui relate très bien les sensations de Frodon, lorsqu’il porte l’Anneau unique, sa réaction devant le miroir de Galadriel et le vertige qui le saisit, quand il devient... invisible. Tout est parfait dans ce morceau, dont l’exécution globale, très immersive, est une expérience à part entière. Et que dire de "Shame On The Night", si ce n’est qu’on croirait se trouver face à une version metal du "Thriller" de Michael Jackson, en plein milieu d’un cimetière gothique, avec son ambiance inquiétante. Le loup garou (coucou "Hush"), les chœurs en fin de titre, la dernière phrase chantée par Ronnie... Un morceau à écouter au casque, dans l’obscurité, de préférence un soir de pleine lune, pour en percevoir toute la puissance mystique...

Visuellement, la pochette du disque ne peut que frapper la rétine de n’importe quelle personne qui (aujourd’hui encore !) va fouiller dans les bacs de vinyles. Le choix des couleurs, les teintes et cette grande profondeur de champ, qui donne l’impression d’assister à la scène d’un long métrage en direct. Et quelle scène que cette noyade présumée d’un prêtre et de cette créature maléfique faisant le signe du Diable ! Évidemment, impossible de faire l’impasse sur ces "Devil Horns" que Ronnie a déjà brandi lors de ses précédentes tournées. Les esprits grincheux (doux euphémisme) de l’époque auront tôt fait de diaboliser Dio, oubliant rapidement que ce signe faisait déjà partie de la culture populaire depuis des décennies. En témoigne l’anecdote de la grand-mère italienne de Ronnie, qui l’utilisait pour écarter des personnes mal intentionnées. Pour preuve, on pourra également évoquer l’apparition du-dit signe dans le pagnolesque Manon des Sources (le livre, pas le film) comme dans la fameuse comédie réalisée par Gérard Oury : Le Cerveau. Vous y verrez le personnage incarné par Elli Wallach signer ce geste... diabolique !

Au final, « Holy Diver » n’est pas un coup d’essai que c’est déjà un coup du Maître Ronnie James Dio. Celui qui va lancer sa carrière solo et lui permettre d’imprimer une marque durable dans l’univers du heavy metal. Album majeur des années 80, il va accompagner son créateur durant toute sa carrière. Au point, parfois, de constituer une ombre écrasante. Car difficile à surpasser lors des tentatives discographiques suivantes. À la renaissance de DIO, au début des années 2000, le chanteur ne pourra d’ailleurs pas s’empêcher de faire un clin d’œil à cet album dans le clip de "Push", avec les décors d’arrière-fond. Et puis, bien sûr, il effectuera sa dernière tournée solo en jouant l’intégralité des titres, à retrouver sur le très recommandable « Holy Diver Live ». Il sera alors temps de partir vivre une dernière aventure avec Iommi and Co...

Pour aller plus loin... Discographie :
Holy Diver (1983)
The Last In Line (1984)
Sacred Heart (1985)
Intermission (Live - 1986)
Dream Evil (1987)
Lock Up The Wolves (1990)
Strange Highways (1993)
Angry Machines (1996)
Inferno: Last in Live (Live - 1998)
Magica (2000)
Killing The Dragon (2002)
Evil Or Divine - Live in New York City (Live - 2003)
Master Of The Moon (2004)
Holy Diver - Live (Live - 2006)
Dio At Donington UK : Live 1983 & 1987 (Live - 2010)
Finding The Sacred Heart - Live In Philly 1986 (Live - 2013)
Live In London, Hammersmith Apollo 1993 (Live - 2014)


Les remastérisations successives de « Holy Diver » (notamment celle de 2022) ont éliminé beaucoup de défauts de pressage (craquements, souffles, etc...) de la version d’origine, tout en essayant de conserver le son brut initial. Si l’on considère sa discographie dans sa globalité, les trois premiers albums de DIO peuvent être identifiés comme la période "classique" ; la suite est plus complexe, avec des albums en demi-teinte et une traversée des années 90 assez compliquée (comme beaucoup de groupes de hard rock et heavy metal de l’époque, la faute notamment à une certaine vague venue de Seattle...).

Après 2000, les albums « Magica » et « Killing The Dragon » sont plus recommandables que celui de 2004. Mention spéciale au live enregistré en 2005, à Londres, où l’intégralité de « Holy Diver » est interprétée (à noter que le CD présente un track-listing différent des versions DVD & Blu-ray) à côté de morceaux issus du répertoire de RAINBOW et de BLACK SABBATH. Le son est très convaincant, l’ambiance énergique, pour la dernière apparition de Dio en solo, avant qu’il ne parte rejoindre ses vieux camarades pour l’aventure HEAVEN AND HELL.

En extraits, une version endiablée de "Invisible" et du punchy "Caught In The Middle".



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