TERAMAZE

Inutile de se trouver des excuses minables lorsqu’on passe à côté d’un groupe dont on sait pertinemment qu’il est susceptible de nous plaire. Le travail, le stress, le manque de temps, blablabla... A d’autres ! Partant du principe qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire mais aussi, avec une certaine dose de fatalisme, qu’il ne sert à rien de forcer le destin, qu’il y a un moment pour tout et que les choses arrivent quand elles doivent arriver, je me retrouve enfin (pas trop tôt !) à me pencher sur la discographie fournie de TERAMAZE, et pour ce qui nous intéresse ici, sur la dernière production de ce groupe de metal/rock progressif australien, en activité depuis 1993 (sous le nom de TERRORMAZE puis TERAMAZE à partir de 1995), « Eli: A Wonderful Fall From Grace ».  

Préquelle d’une trilogie composée également de l’album « Her Halo » (2015) puis du long morceau (25 minutes tout de même !) "Sorella Minore", de l'album du même nom en 2021, comme conclusion finale, « Eli: A Wonderful Fall From Grace » raconte la genèse de l’histoire : pour résumer, elle est centrée sur Eli, un jeune homme vendu comme esclave par son père à un âge précoce. Contraint de travailler sur un bateau pendant la majeure partie de sa jeunesse et jusqu’au début de l'âge adulte, Eli finit par faire naufrage. Par miracle, il survit et trouve refuge au cirque Halo ("A Place Called Halo"). Il rencontre une diseuse de bonne aventure qui lui jette un sort maléfique lui conférant des pouvoirs surnaturels. Ces pouvoirs prennent le dessus et il devient la star du spectacle. Cette aventure présente les personnages qui créent le triangle amoureux qui se déroule dans les histoires de « Her Halo » et de "Sorella Minore". Cela nous aide à comprendre l'ascension d'Eli vers la gloire et la célébrité, suivie de sa déchéance, de son chagrin d'amour et du fait qu'il devienne le clown, le dindon de la farce, en quelque sorte. Sans nécessairement connaître tous les tenants et aboutissants du scénario (pour cela, il faut se plonger consciencieusement dans les paroles), il est bon d’en avoir la ligne conductrice, même si la musique peut bien sûr s’apprécier indépendamment de cela.

TERAMAZE évolue dans un registre progressif ultra mélodique, avec quelques touches légèrement plus brutales, mais cela reste très subtil. Maître à penser du groupe, compositeur, guitariste également en charge d’une partie du chant, des harmonies vocales, de la production, du mixage et mastering, Dean Wells n’est pas un inconnu dans nos pages, puisqu’il était aussi membre du groupe de thrash progressif MESHIAAK jusqu'en 2021, qui nous avait fait une belle impression avec son album « Mask Of All Misery » (2020). Extrêmement prolifique, l’homme jamais en manque d’inspiration, est ici accompagné de l’excellent Nathan Peachey comme chanteur principal, de Chris Zoupa à la guitare, Andrew Cameron à la basse, Nick Ross à la batterie et Dave Holley aux claviers pour les sessions d'enregistrement. La fine équipe s’est donc mise à l’ouvrage pour nous faire voyager dans les rêves d’Eli et mettre sa vie en musique.

De voyage, il est bien question ici, tant la voix expressive de Nathan Peachey véhicule un panel d’émotions, soutenu par des instrumentistes de haut niveau. Ainsi, après la courte intro "A Place Called Halo" qui plante le décor du naufrage et du protagoniste échoué qui reprend conscience, on entre dans le vif du sujet avec "The Will Of Eli", composition mélodieuse à tendance AOR, au refrain accrocheur, avec de superbes soli et un final de guitares bluesy. Puis le rythme s’accélère pour "Step Right Up", qui commence dans un murmure, accompagné d'une guitare acoustique et de notes de piano délicates, avant d’attaquer de front avec un refrain efficace et des guitares incisives, le tout sur un rythme soutenu, sans oublier un solo Floydien de toute beauté ! S’en suivent "I Mantissa", courte intro qui présente la voyante dans une atmosphère aussi mystérieuse qu’inquiétante, et l’incroyable "Madam Roma", qui conte l’entrevue entre Eli et la dame en question. Ce morceau est sans conteste l’un des meilleurs de l’album. Très catchy avec ses riffs de guitare mordants, ses parties rythmiques rapides et ses soli agressifs, il est aussi doté d’un court passage en voix saturée qui renforce sa puissance et ses nappes de claviers font ressortir la menace qui plane sur le protagoniste. Le talent de composition de Dean Wells est ahurissant. Sur des chansons relativement longues, il réussit à nous plonger dans le cœur de l’histoire avec des changements d’ambiances qui s’imbriquent les unes aux autres, dans une fluidité jamais prise en défaut. Le jeu des musiciens est impeccable de justesse et l’interprétation vocale de Nathan Peachey dresse les poils. Quand l’attrait brillant du succès à l’horizon et de ses paillettes artificielles prend le pas sur la raison et la prudence, quand on est aveuglé par le reflet du miroir et que l’on ne voit pas ce qui se cache sous la surface, on plonge... et on tombe.

"Standing Ovation" déboule à toute vitesse, scintille de mille feux et illustre parfaitement la réussite éclatante du protagoniste. A la manière d’un tube pop, son refrain et son groove sont addictifs et restent longtemps en tête. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard s’il a été choisi comme premier single. On part ensuite sur un versant plus intimiste et touchant avec la superbe ballade au piano "Hands Are Tied", chantée cette fois intégralement par Dean Wells, qui possède lui aussi un très joli grain de voix. C’est une chanson poignante qui évoque le lien douloureux et le rapport conflictuel entre Eli et son père. Après un démarrage en douceur, elle développe force et intensité émotionnelle jusqu’à un final bouleversant qui fait monter les larmes aux yeux. Magnifique moment de grâce et l’un des points forts de l’album ! La conclusion, "A Wonderful Fall From Grace", est un long développement de près de quinze minutes, que l’on ne voit d’ailleurs pas passer, sur lequel interviennent les claviers, les guitares, la section rythmique, à tour de rôle mis en avant, et un saxophone (interprété par Hugo Lee) mélancolique, sexy et jazzy, qui vient par deux fois nous caresser les sens et s’octroie le plaisir de la dernière note. Sans oublier un Nathan Peachey encore une fois merveilleusement habité et convaincant qui délivre une prestation vocale exceptionnelle, et nous plonge dans l’esprit torturé d’Eli : « The reason I had to run / The personn I used to know / I’m alone again / I tried to hide it /  Now, my heart is a road in the cold winter / You’re my home in the light in the winter night. » (« La raison pour laquelle j'ai dû fuir / La personne que je connaissais / Je suis à nouveau seul / J'ai essayé de le cacher / Maintenant, mon cœur est une route dans le froid de l'hiver / Tu es ma maison dans la lumière de la nuit d'hiver. ») Comme un roman en plusieurs tomes, la suite reste à découvrir. Mais, en définitive, tout cela n’est-il pas qu’un rêve, perdu dans les brumes de l’inconscient ?

Il va de soi que l’on ne peut s’empêcher de ré appuyer sur la touche play dès que l’album se termine, tant il est riche, intense et profond. Des millions de détails sont à découvrir au fil des écoutes et la musicalité de l’ensemble font que l’on ne s’en lasse pas. « Eli: A Wonderful Fall From Grace » est aussi, pour ma part, l’une des plus belles découvertes de l’année 2024. Faites comme moi et sans plus attendre, précipitez-vous sur la riche discographie de TERAMAZE, « Her Halo » et « Sorella Minore » en tête pour compléter la trilogie, ainsi que tous les autres par la suite, pour rattraper ce retard totalement inacceptable !