Inclassable dans le paysage musical du metal français, ALCEST est un groupe hors-norme et inimitable avec son shoegaze / blackgaze lunaire et atmosphérique. Le duo composé de Neige (chant, guitare, basse et claviers) et Winterhalter (batterie) revient avec sa septième et nouvelle offrande, « Les Chants de l’Aurore », après un « Spiritual Instinct » (2019) d’excellente facture.
Etrange pour certains car ni franchement metal, ni complètement pop ou indie, nous qualifierons plutôt la musique d’ALCEST de rêveuse, éminemment poétique, spirituelle et captivante. Si le ton général semble plus doux et que le précédent album présentait une facette plus sombre et offensive, les fulgurances guitaristiques et les cris d’écorché vif empruntés au black metal n’en sont pas moins présents, notamment sur l’excellent morceau et gros coup de cœur personnel, "Améthyste", et le long et intense "L’Enfant de la Lune", le tout soutenu par les blast-beats d’un Winterhalter au sommet de son art, capable de tout autant de finesse et de subtilité que de vivacité et de brutalité. Sur les deux singles déjà parus, "L’envol" et le plus accessible "Flamme Jumelle", le chant de Neige se fait plus "Mylène Farmerien" que jamais, mais ce côté pop fait partie intégrante de la personnalité du groupe, et a trouvé sa place en équilibre entre la noirceur et la lumière qui émane de la musique d’ALCEST. Et surtout, c’est pour Neige une manière d’aborder le chant sans trop articuler, ce qui lui permet d’adoucir le côté rugueux et dur de la langue française et de toucher un public international. En effet, le succès du groupe par-delà nos frontières ne se dément pas et « Les Chants de l’Aurore » devrait rassembler les fans de la première heure, comme ceux plus récents, tant ce disque condense toute l’essence du duo.
Ainsi, on alterne moments de grâce pure sur "L’Adieu", tout en délicatesse, et "Réminiscence", magnifique pièce instrumentale jouée au piano et viole de gambe, longs développements progressifs à la violence black metal sous-jacente, sur lequel le groupe déploie ses ailes ("L’Envol', "Améthyste", "L’Enfant de la Lune") et morceaux accrocheurs ("Komorebi", "Flamme Jumelle"). Dans la symbolique des couleurs, le violet est la couleur de la spiritualité, et l’améthyste l’emblème de la clarté d’esprit, de la sobriété, de l’humilité. Une image qui dépeint parfaitement l’œuvre d’ALCEST. Musique hautement évocatrice, vecteur sensoriel entre l’âme et le corps, qui, tel un arbre dont les racines s’ancrent profondément au sol et les branches se déploient vers les cieux, relie le palpable et l’impalpable, ce que l’on vit, ce que l’on touche, ce que l’on voit, ce que l’on sent.
La force d’ALCEST depuis 25 ans est de proposer une musique introspective et cependant ouverte sur le monde, et ses prestations scéniques sont autant de moments inoubliables, tant la communion entre le groupe, sa musique et ses auditeurs est intensément vibrante. La musique a-t-elle le pouvoir d’élever l’âme ? Si celle du groupe n’a pas de frontière, c’est pour mieux nous permettre de développer la perception des sens, emprunter des chemins alternatifs pour étendre la conscience de l’être, toucher au plus profond le cœur de l’auditeur. « Les Chants de l’Aurore » est un disque qui ne s’explique pas mais qui s’écoute, qui se respire, qui se vit pleinement et nous emporte loin, très loin, dans des sphères poétiques à la beauté infinie.