11 octobre 2024, 23:59

ROTTING CHRIST + BORKNAGAR + SETH

@ Wasquehal (The Black Lab)

Le Black Lab compte 666 places. Il est donc logique que la salle de la banlieue lilloise affiche "complet" pour une cosmopolite affiche black metal – ou apparentée – qui réunit SETH, BORKNAGAR et ROTTING CHRIST ; une véritable union européenne de l'extrême. Une longue file se dessine devant l’entrée du temple et, une fois à l’intérieur, la foule est dense. Gens du Nord et Belges se pressent devant la scène, impatients d’assister au rituel.

Les Français, quelque peu à l’étroit à six sur les planches, livrent une prestation théâtrale de 40 minutes où agressivité et mélancolie se marient en une union impie, où guitares black et rythmiques épiques, parfois martiales, s’effacent pour offrir un espace aux mélodies, pour laisser les claviers tisser leur toile sombre, pour permettre à Saint-Vincent de déclamer ses alexandrins.

Drapé dans la cape rouge qui apparaît sur la pochette de « La France des Maudits », dernier album du groupe, le chanteur est le maître de cérémonie. Il invite les spectateurs attentifs à « célébrer ensemble le metal noir », rappelle que SETH est l’une des premières formations black française, brandit un poignard torsadé sur l’incontournable et toujours puissant "Hymne au Vampire". Le maître d’œuvre lance enfin un « vous êtes fantastiques. Faites du bruit pour BORKNAGAR et ROTTING CHRIST ». Un appel guère conforme à la misanthropie censée imprégner les musiques sombres...

Les Norvégiens, quant à eux, naviguent désormais loin des sphères black metal, même s’ils sont encore capables de dégainer un ancestral "Dauden", labyrinthique et torturé, tiré de leur premier album. Leur approche est progressive, riche en éléments folk. Ainsi le premier morceau, "Nordic Anthem", se déploie, portée par la batterie, en une longue mélopée où se mêlent les voix du bassiste ICS Vortex et du claviériste Lazare, étrangement vêtu d’un t-shirt MORBID ANGEL. Ce titre envoûtant sonne comme une invocation, rite shamanique qui appelle les âmes d’ancêtres disparus dans le grand Nord.

Les lights bleutés enveloppent les chansons aux douceurs apaisées, comme un Voices à la pureté sortie de la magie d’un fjord, quand le rouge accompagne les épiques cavalcades viking ("Up North", "The Rhymes Of The Mountain" au souffle majestueux) ou les passages les plus ardents. Ces deux couleurs, celle de la glace et celle du brasier, se conjuguent au fil de structures aussi complexes que magnifiques, enrichies de fines mélodies. Tel est "Summit", mer tantôt agitée, tantôt calme où glisse un drakkar mortuaire en flammes, éclairé par un "Moon" de cristal seventies né du talent des deux guitaristes Øystein G. Brun, fondateur de BORKNAGAR en 1995 à Bergen, et Jostein Thomassen.

Le lacis des voix, agressives et douces, donne un double visage fascinant à certains titres, comme le somptueux "Winter Thrice", conclusion parfaite, portée par un vent d’hiver, tempétueux puis apaisé, d’une heure de magie, de voyage immobile dans des contrées immaculées... qui n’a hélas pas séduit la majorité des spectateurs. « Ce groupe c’était bien avant mais maintenant c’est du chant clair », commentait un gaillard avant même le début du concert, puis d’ajouter : « Quant à ROTTING CHRIST, c’est de la diarrhée ». Pourquoi donc, Monsieur, êtes-vous venu au Black Lab ce soir ?

Après la froidure polaire, place à la chaleur hellénique. Comme l’annonce fièrement Sakis Tolis, après une intro grandiloquente, « Bonjour France ! Nous sommes ROTTING CHRIST de Grèce et nous jouons fucking metal ! ». A grands coups de « brothers and sisters », le chanteur ne cessera d’haranguer la fosse, réclamant, aidé de son guitariste, de nombreux circle-pits.

Les fans ne sont plus dans l’observation concentrée ressentie sur BORKNAGAR mais dans l’action au cœur de pogos virils, de crowd-surfings fréquents. Les musiciens n’hésitent pas à s’approcher des premiers rangs, à déployer une énergie communicative lors de séances de headbanging forcené. Dès le festif "Aealo", en lever de rideau, le public reprend les paroles. A l’exception de quelques morceaux extirpés d’une ère révolue ("Non Serviam", "The Sign Of Evil Existence"), le groupe délaisse les îles black pour accoster sur des rivages metal, perdant en souffre ce qu’il gagne en efficacité.

Privilégiant les albums « Aealo » (2010) et « Κατά τον δαίμονα εαυτού » (2013), ROTTING CHRIST opte pour la puissance et les mid-tempi ("Pretyy World, Pretty Dies", "Noctis Era"), s’offre des détours vers des ambiances gothique, comme sur l’enchaînement "Societas Satanas" très PARADISE LOST et "In Yumen-Xibalba". Les Grecs, à l’habileté technique indéniable, illustrée par la prestation de Thmis Tolis à la batterie, ont emporté dans leur furie un public conquis.

Cette soirée a été la preuve de l’évolution du black metal, genre protéiforme qui sert, pour certains groupes rétifs à l’immobilisme, de terreau à d’infinies variations, à d’incessantes mutations.


Rotting Christ © Delphine Koehl - DR

Blogger : Christophe Grès
Au sujet de l'auteur
Christophe Grès
Christophe a plongé dans l’univers du hard rock et du metal à la fin de l’adolescence, au tout début des années 90, avec Guns N’ Roses, Iron Maiden – des heures passées à écouter "Live after Death", les yeux plongés dans la mythique illustration du disque ! – et Motörhead. Très vite, cette musique devient une passion de plus en plus envahissante… Une multitude de nouveaux groupes a envahi sa vie, d’Obituary à Dark Throne en passant par Loudblast, Immortal, Paradise Lost... Les Grands Anciens – Black Sabbath, Led Zep, Deep Purple… – sont devenus ses références, comme de sages grands-pères, quand de jeunes furieux sont devenus les rejetons turbulents de la famille. Adorant écrire, il a créé et mené le fanzine A Rebours durant quelques années. Collectionneur dans l’âme, il accumule les set-lists, les vinyles, les CDs, les flyers… au grand désarroi de sa compagne, rétive à l’art métallique.
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