4 janvier 2025, 15:24

David Reece

Interview fleuve d'un homme libre...


David Reece fait partie de ces personnages qui ont marqué mon adolescence. Parce qu’il a intégré ACCEPT à la fin des années 80 et enregistré le mésestimé « Eat The Heat », parce qu’il a remplacé l’irremplaçable Udo et parce que son passage au sein de la formation germanique n’a pas duré. Son départ, chaotique, a ensuite été l’objet de nombreuses rumeurs… forcément intrigantes.


Notre rencontre à The O'liver Pub, à quelques encablures de Montpellier, fût l’occasion de faire connaissance et d’échanger en toute franchise. D’évoquer sa période ACCEPT comme l’arrivée du grunge, au début des années 90... Une interview fleuve qui nous éclaire sur son parcours de vie comme sur les dessous du showbiz. Un entretien qui nous permet aussi d’aborder le présent et l’avenir. Désormais avec son propre groupe. Et cela fait beaucoup de bien de rencontrer un personnage aussi drôle, lucide et intelligent qu’attachant. Dense, aussi. Car au terme d’un parcours parfois chaotique – mais totalement assumé, car c’est le sien, et qu’il est unique – David Reece est parvenu à s’affranchir de ce qui lui pesait. Puis à toucher du bout des doigts une certaine forme de liberté et de sagesse. Devenant ainsi celui qu’il rêvait d’être, plus heureux qu’il ne l’a jamais été. Un mec bien, quoi. Et une jolie découverte, pleine d’humanité.
 

David, ton nouvel album, « Baptized By Fire », est sorti en mars 2024. Peux-tu nous en dire plus sur sa genèse ?
Il faut que tu saches que je vis en Italie, dans un petit village situé à environ une heure de Milan. C’est Riccardo Demarosi, le bassiste, qui en est aussi le producteur, car il possède un studio dans mon hameau. C’est lui qui a retenu les musiciens, qui les a sélectionnés, et figure-toi que Niccolò et Giovanni Savinelli, les deux frères, habitent eux aussi le même village. Autant te dire que nous sommes à 5 minutes les uns des autres, ce qui facilite grandement les échanges. Ce qui nous permet aussi de travailler ensemble très régulièrement. Pour « Baptized By Fire », j’avais besoin de sang neuf, d’une nouvelle énergie. Ces jeunes musiciens sont formidables, car ils maîtrisent à la fois le metal moderne et le blues rock : une sorte de double culture. Alors que de mon côté, je chante plus ou moins de la même manière. Je ne possède donc pas leur background, mais leur apport me permet d’évoluer, album après album. Pour tout te dire, ça me plaît, car je n’ai pas envie de composer des chansons à la mode WHITESNAKE jusqu’à la fin des temps...

« Baptized By Fire » marque donc une véritable évolution par rapport à tes albums précédents ?
Disons que c’est une progression. J’essaye constamment de rester excité, stimulé. J’ai besoin de mouvement. Je déteste rester bloqué sur mes acquis. C’est pourquoi j’essaye de proposer quelque chose de novateur, année après année, d’intégrer de nouvelles idées dans la manière de composer. Ce qui est intéressant, dans le business d’aujourd’hui, c’est qu’on peut expérimenter plein de choses différentes, de nouvelles couleurs, des nouveaux sons... Et dans ce groupe, la créativité de chacun peut s’exprimer. C’est ce qui rend les choses aussi agréables.

« J’étais paumé, incontrôlable, déphasé et j’avais besoin d’aide. C’est alors que j’ai rencontré un pasteur. Il a su m’aider. C’est arrivé au bon moment, car j’étais véritablement à la croisée des chemins. »


Sur cet album, hormis son titre, plusieurs chansons font clairement allusion à la religion : "Closer To God", "Archbishop Of Anarchy" ou encore "Twilight Of The Gods". Cela peut difficilement être dû au hasard... C’est quelque chose d’important pour toi ?
Oui, absolument. Je suis devenu chrétien en 2004. J’habitais alors dans le Montana et j’étais totalement alcoolique, à cette époque. Pour le dire clairement, j’étais paumé, incontrôlable, déphasé... En grande difficulté mentale, donc, et j’avais besoin d’aide. C’est alors que j’ai rencontré un pasteur, quelqu’un de très pieux. Il a su m’aider. C’est arrivé au bon moment, car j’étais véritablement à la croisée des chemins. Je ne parle pas très souvent aux gens de cette spiritualité. C’est, en quelque sorte, ma vie privée, mais puisque tu m’interroges... En réalité, je crois en quelque chose de plus grand que moi, de meilleur que moi. Et ça m’aide, tous les jours. Tu sais, il y a énormément de stress dans ce business de la musique : les tournées, les voyages, bien sûr, mais il y a également beaucoup de personnes très négatives. Des menteurs. J’ai alors besoin de quelque chose de grand pour me donner de la force. Pour le dire autrement, je ne crois plus au rock'n'roll « Babyyyyyyy, oh oh oh oh yéééééééééé » (en VO dans le texte !). J’ai désormais besoin d’être porteur d’un message un peu plus profond. C’est pourquoi j’essaye d’écrire des paroles qui sortent un peu des sentiers battus, mais je ne veux pas pour autant faire une explication de texte de mes écrits. Les paroles racontent une véritable histoire, mais il appartient à celui qui les écoute de les interpréter. À sa manière.

Quelques titres m’interpellent tout particulièrement : "Enemy Is Me", "Acceptance Of Denial" et "Wrong Move". Sont-ils autobiographiques ? Avec quoi a-t-il été si compliqué de composer durant ton existence ?
Oui, tu as bien vu : ces titres parlent effectivement de moi. Dans une vie, tu fais forcément des erreurs. Et si tu n’apprends pas de ces échecs, tu ne peux pas avancer. Il faut donc les analyser pour être capable de passer à l’étape suivante. Mais il faut aussi savoir saisir sa chance au bon moment et ne pas se dérober, sans quoi on loupera systématiquement son objectif. Je crois également à la pensée positive ; ça aide, forcément.


​Plus précisément, peux-tu nous dire contre quoi tu as dû lutter ?
Aujourd’hui, je ne bois plus d’alcool. J’avais tellement pris l’habitude de picoler pour avoir confiance en moi... mais ça ne marche pas ! Et c’est extrêmement négatif. Lorsque j’ai rejoint ACCEPT, je ne buvais pas, mais je ne sais pas si tu connais les traditions allemandes ? C’était champagne au petit-déjeuner, mélangé avec du jus d’orange. Et après le travail au studio, on allait systématiquement au Pub. Avant que ça ne devienne un travers, je n’aimais pas boire plus d’une bière ; après 3 mois de ce régime, je buvais un minimum de 10 à 15 bières tous les jours. Et je trouvais ça normal. C’est devenu une habitude, et cela a duré de nombreuses années. Au point que je pouvais plus m’arrêter. Je me souviens que, sur scène, je buvais 6 bières, une douzaine backstage, puis encore 6 ou 7 une fois rentré à l’hôtel. C’était excitant, comme un shoot d’adrénaline. Le problème, c’est que l’alcool te donne l’impression d’être détendu, mais c’est un mensonge ! J’ai perdu beaucoup d’amis quand j’étais jeune ; je prenais alors différentes drogues : cocaïne, héroïne... j’ai tout essayé, et ça a été un désastre. Car rien ne marche, sauf la sobriété. C’est pourquoi j’ai décidé de tout arrêter, il y a 6 ans de cela.


Le titre "Enemy Is Me" est particulièrement fort...
L’alcool finit toujours par prendre possession de toi. C’est un étrange phénomène. Evidemment, tu te dis que c’est ça, le rock’n’roll, que c’est une fête permanente. Et on finit par croire que c’est une chose normale. Oh fuck !, ma voix s’est tellement fatiguée, à ce rythme-là... Tout cela est faussement cool et ça ne mène à rien ; c’est une impasse, tout simplement. Aujourd’hui, je ne fume même pas, c’est juste de l’eau et du soda, backstage. Je me sens mieux et je chante mieux. J’ai retrouvé une énergie que j’avais perdue. Bien sûr, il y en a certains qui préféreraient que je me taise, mais avec un titre comme "Enemy Is Me", je sais que j’ai pu apporter de l’aide et convaincre certaines personnes d’arrêter de boire. Je les ai accompagnées sur ce chemin.

Tu as fréquenté un nombre de groupes incalculable : DARE FORCE, ACCEPT, BANGALORE CHOIR, SIRCLE OF SILENCE, BONFIRE, IRON ALLIES... Comment l’expliques-tu ? C’était une volonté de ne pas t’enfermer au sein d’une seule formation, la faute aux circonstances ou des difficultés à vivre en groupe ?
Il y a un peu de tout cela. C’est vrai que c’est très compliqué de vivre en communauté. Il y a aussi des opportunités qui se sont présentées... puis qui se sont refermées. Quand j’ai intégré ACCEPT, 50% m’aimaient, 50% me détestaient ; il n’y avait pas de juste milieu. C’était compliqué. Durant ma période BONFIRE, Hans Ziller et les personnes qui géraient le groupe imprimaient une identité forte, une ligne directrice très stricte. Mais quand tu es chanteur, tu dois disposer d’un espace créatif suffisamment vaste pour t’exprimer. Et lorsque je voulais tenter certaines choses qui sortaient des clous, on me répondait systématiquement "non". Alors, oui, je ne suis pas Claus Lessmann ; pour autant, l’album « Glorious » que j’ai enregistré avec eux en 2015 est celui qui s’est le plus vendu en 20 ans ! S’il faut toujours se conformer à une certaine manière de faire, si tu n’as pas de liberté créative, tu loupes forcément beaucoup de choses... et je n’ai plus envie de faire partie du projet. Sans compter les mauvais managers, l’argent volé... Je l’ai vu faire plusieurs fois, celui-là, et les membres du groupe ne me croyaient pas. À la fin de l’année, 100.000 dollars manquaient dans la caisse... et le manager était à Monaco, en train de faire la fête ! C’est là-bas que se trouvait notre argent. Tu joues 200 concerts dans l’année et, à la fin, il ne te reste plus rien. Tu deviens forcément suspicieux...

« Je vais te le dire franchement : j’ai un super groupe maintenant. Chaque musicien contribue à la vie de notre petite communauté. Tout y est très simple : pas de mélodrames, pas d’ego. Je déteste toutes ces merdes. »


Ton groupe actuel fonctionne très différemment…
Complètement ! Notre mode de fonctionnement est très démocratique. Et si l’un ne veut vraiment pas que nous fassions telle ou telle chose, on ne le fait pas. Je ne suis pas le boss et je ne veux pas l’être. Je veux juste être heureux sans qu’il n’y ait de mélodrames, pas d’ego, non plus. Je déteste toutes ces merdes. Je n’ai pas le temps pour ces conneries dans ma vie. La musique doit passer au premier plan sans qu’on ait à entendre des gens se plaindre, râler, sans qu’on ait à se soucier d’argent volé... Moi, j’ai besoin de créer. Ça fait partie de moi, je suis ainsi. Si ceux qui m’entourent ne sont pas d’accord avec cette mentalité, je pars. C’est aussi simple que ça. Tu sais, certaines personnes parlent mal de moi ; je n’ai pas de souci avec ça. On voyage beaucoup, à travers le monde, pour nos tournées. On doit donc apprendre à connaître les gens très vite, quand on vit sur la route. Et quand tu les rencontres pour la première fois, ils te disent que tu es super, qu’ils t’adorent... Et au bout d’un mois, tu te demandes comment tu as pu bosser avec des gens pareils, qui n’ont aucune parole. Aujourd’hui, je ne veux plus travailler avec des ''assholes'' pareils !

Bien différent de la relation que tu as nouée avec Riccardo Damarosi, Niccolò et Giovanni Savinelli ?
Je vais te le dire franchement : j’ai un super groupe. Chaque musicien contribue à la musique, aux voyages, à la tournée, au financement. À la vie de notre petite communauté, en fait. Chacun a une opinion honnête, directe. Tout est très simple. Nous répétons beaucoup, aussi. Parfois, au bout de 3 heures, je pense qu’on en a terminé et je rentre à la maison. Je demande à Riccardo ce qu’ils vont faire, s’ils vont se coucher, et il me répond qu’ils vont encore jouer et répéter, même sans moi ! Waouh ! C’est incroyable. On travaille bien ensemble et sur scène, c’est fluide entre nous quatre. Ça tourne bien. Tu sais, la plupart des groupes répètent en ''visio'' ou uniquement le jour du concert. Alors forcément, les premières semaines de leur tournée ne sont pas terribles. Parfois cela dure quelques mois avant qu’ils ne soient vraiment dans le coup. Je t’avoue que c’est le genre de chose qui me fait fuir. Personne n’est parfait, c’est sûr, et plus encore dans le milieu du rock'n'roll, mais bon... C’est vrai qu’il faut être fou pour faire ce qu’on fait. Ce n’est pas normal, de monter sur scène devant des gens, de jouer, de chanter... mais que ça fait du bien ! (rires)

« L’audition finale pour devenir le chanteur d’ACCEPT avait lieu à Cologne, où nous donnions un concert. Et devine qui était invité ? Bruce Dickinson ! Ils voulaient avoir son opinion. Oh fuck ! Je me suis dit qu’ils allaient me renvoyer à la maison dès le lendemain... »


ACCEPT a marqué ta vie. C’était une opportunité incroyable d’intégrer ce groupe à la fin des années 80...
L’audition pour ACCEPT a été terrible. Terrifiante, même. J’ai vraiment eu la trouille de ma vie. Il faut que tu saches que je jouais dans des clubs depuis que j’avais 15 ans. Et 5 à 7 jours par semaine, je faisais des reprises, 4 heures par nuit, 260 fois dans l’année. Quand tu intègres un groupe comme ACCEPT, tu comprends vite que tu entres en première Ligue. C’est la grande classe, l’élite. Là, tu ne répètes pas pendant 40 minutes, mais pendant 8, 9 ou 12 heures. Pour être franc, je pensais alors que Dieter Dierks, le producteur, était complètement fou. Mais j’ai tellement appris de lui ! Il a travaillé pendant 30 ans avec Klaus Meine... Je me souviens qu’un jour, il m’a dit « tu as une voix extraordinaire, mais tu ne sais pas comment l’utiliser, comment la mettre en adéquation avec la musique du groupe. Mais rassure-toi, c’est mon rôle de trouver la voie où aller. » On commençait à 13h, et on finissait à 1h du matin, 7 jours par semaine. C’était très intense, car je chantais tous les jours, mais ça m’a permis de développer mes capacités vocales et de devenir très fort. Alors, même si je trouvais ça carrément dingue au tout début, j’ai vite réalisé que c’est bien ainsi qu’il fallait travailler. Qu’il fallait adopter une discipline rigoureuse, que j’ai d’ailleurs conservée depuis.

Comment s’est passée ta rencontre avec le groupe ?
J'ai cru que j’allais rencontrer les membres d’ACCEPT dès le premier jour de mon arrivée en Allemagne, mais on m’a directement emmené dans un studio d’enregistrement. Et on a immédiatement commencé à travailler. Je débarquais tout juste, je découvrais cet environnement, et on m’a demandé d’écrire des paroles, alors que j’étais en plein jet lag, que je n’avais pas dormi... J’ai eu une idée de titre, j’ai écrit les paroles et je me suis mis à chanter. On a fait ça pendant 4 semaines, puis on est partis en préproduction. Mais l’audition finale avait lieu à Cologne, où nous devions donner un concert. Et devine qui était invité ? Bruce Dickinson ! Je leur ai demandé pourquoi il était là, et Gaby Hoffmann (la femme de Wolf, à cette époque, manager et auteure-compositrice d’ACCEPT sous le pseudo ''Deaffy'') m’a dit qu’elle aimerait avoir son opinion. Oh fuck ! Je me suis dit qu’ils allaient me renvoyer à la maison dès le lendemain... C’était un "concert secret", puisque le nom du groupe ne figurait pas sur l’affiche, mais tout le monde savait pertinemment qu’il s’agissait d’ACCEPT ! Ils avaient annoncé "le plus grand groupe d’Allemagne". Je suis sorti à l’extérieur, pour voir comment les choses se présentaient. Il y avait une file d’attente interminable, des centaines de personnes. Au final, le concert était sold-out : 2000 fans présents dans la salle. J’étais terrifié. Bruce portait un costume d’escrime avec le drapeau allemand, car il avait dû coacher l’équipe nationale. Je l’ai vu arriver avec sa bière, se positionner près de la console de son. J’étais carrément scotché qu’il soit là ! Et pendant que je chantais, je le voyais parler à notre manager. Et pensais « ça y est, il me déteste ! Fuck ! Ils vont me virer ! » Puis Bruce est parti et là je me suis dit : « God ! Il me déteste vraiment ! » C’était dur. Après le concert, Gaby est venue me voir et m’a dit : « c’est OK, tu fais désormais partie d’ACCEPT. » Plus tard, elle m’a rapporté ce que lui avait dit Bruce : « Engagez-le ! C’est le bon, c’est celui qu’il vous faut. », ce qui est un super compliment.

Avec le recul, quel regard portes-tu sur cette période ?
Si je n’avais pas intégré ACCEPT, nous ne parlerions pas aujourd’hui. Bonne ou mauvaise, peu importe, c’était une formidable opportunité. Cette expérience m’a permis d’être connu et reconnu, cela m’a donc ouvert pas mal de portes. Quand je me suis fait viré, je suis allé à Los Angeles. Là-bas, j’ai formé BANGALORE CHOIR et on y a donné 9 concerts. Je faisais des rencontres et j’ai eu des propositions pour enregistrer de la part de toutes les majors-company de l’époque. Il y avait Elektra, Epic... Un soir, avec Michael Schenker, on est allé voir SCORPIONS qui passaient dans les parages. Je les connaissais, et je voulais saluer Rudolf et Herman Rarebell. Dans la nuit, j’ai parlé avec un manager, je lui disais qu’il devait me signer, sans quoi il allait louper le coche. Il m’a répondu : « Viens dans mon bureau demain matin, à 9 heures. » Et on a signé un deal pour 1.8 million de dollars. Je n’avais jamais été à Hollywood avant d’avoir fait partie d’ACCEPT et personne ne me connaissait, là-bas. Après avoir fait partie du groupe, j’allais dans n’importe quel club et on disait « Ah ! C’est Reece ! » Bref, j’avais la reconnaissance des fans et une certaine renommée. Les gens venaient voir mon nouveau groupe, BANGALORE CHOIR, et on avait le management de WHITESNAKE. En fait, je vivais comme une rockstar, des célébrités m’hébergeaient et prenaient soin de moi, j’étais constamment dans l’environnement de gens établis, puissants influents, accepté comme l’un des leurs... mais à la différence de toutes ces personnes, je n’avais pas le moindre sou en poche ! (rires)

« Très rapidement, les gens m’ont détesté ! Pourtant, des années après, les fans venaient me voir pour que je signe le vinyle « Eat The Heat ». Ils s’excusaient d’avoir été aussi durs avec moi, à l’époque. »
 

Et que penses-tu de l’album que tu as enregistré avec ACCEPT, « Eat The Heat » ?
J’étais très fier de cet album, et je le suis toujours, mais je vais te dire quelque chose qui est vrai à 100%. On a enregistré cet albums 6 mois durant, et lors d’une pause, Dieter Dierks me confie : « Tu réalises que si cet album échoue, ce sera de ta faute, et aussi de la mienne ? » Je lui ai dit : « Va te faire foutre ! Je veux juste être une rockstar, arrête avec tes conneries ! » Ce à quoi il m’a répondu : « Udo est une superstar, toi, tu es le p’tit nouveau. Les fans risquent de te condamner et de t’accuser de tous les maux. Et moi avec. » Dieter avait tout à fait raison. Il ne faisait que dire la vérité... SCORPIONS venaient tout juste de le quitter et « Eat The Heat » était comme son bébé. Il voulait vraiment participer à la construction de ce nouvel ACCEPT.

Les choses se sont effectivement passés comme l’avait prévu Dieter Dierks...
Je pense que c’est un bon album, mais forcément différent de ce qui existait avant que je ne fasse partie du groupe. Très rapidement, les gens m’ont détesté. Pourtant, des années après, des fans venaient me voir avec le vinyle de « Eat The Heat » et me demandaient de le signer. Ils s’excusaient aussi de ne pas m’avoir laissé ma chance et d’avoir été aussi durs et injustes avec moi. Beaucoup regrettent même que je n’ai pas enregistré d’autre album avec ACCEPT... Aujourd’hui, tout le monde aime "X-T-C", "Hellhammer", "Generation Clash", mais les européens détestaient, à l’époque... contrairement aux Américains. Udo est la voix d’ACCEPT, c’est vrai, mais je suis fier de cet album, c’est mon héritage. C’était une sacrée expérience pour moi, mais c’en était également une pour Wolf, que de me rencontrer.

Ah oui ? Que veux-tu dire David ?
Tu connais forcément les riffs saccadés de Wolf ? (David mime avec sa bouche des sons bruts et martiaux.) Je l’ai emmené vers d’autres sons en lui faisant découvrir Stevie Ray Vaughan. Ce devait être en 1987, Stevie passait en Allemagne dans un petit club. Il devait y avoir 40 personnes. J’avais donc dit à Wolf qu’il devait m’accompagner, qu’il devait entendre ça. Stevie Ray Vaughan est apparu, il avait un grand chapeau sur la tête. Il s’est assis, a croisé ses jambes et nous a lancé « let’s have fun tonight ! ». De mon côté, je buvais comme un dingue, tandis que Wolf n’a pas touché à la pinte qu’il tenait en main de tout le concert. Il était choqué, hypnotisé par le talent du bluesman, par ce qu’il était capable de faire avec sa guitare. Et ce soir-là, après le concert, nous sommes allés dans un magasin de musique ouvert 24h sur 24. Hoffmann a acheté tous les albums de Vaughan. Le lendemain matin, j’entendais Wolf jouer des plans qui ressemblaient fortement à ce qu’il avait entendu la veille (Dave mime des sons aigus tout en feeling avec sa bouche, ses mains posées sur un manche imaginaire). Il expérimentait sur sa stratocaster. D’ailleurs, si tu écoutes bien « Eat The Heat », tu entendras quelques licks de Stevie Ray Vaughan ou de David Gilmour. Wolf était véritablement captivé par ce son, par ce toucher. Et après cela, il n’a plus cessé d’écouter Vaughan ou PINK FLOYD...

Très étonnante cette anecdote avec Stevie Ray Vaughan. Tu en as d’autres, des comme ça ?
Oui, j’en ai d’autres, mais cela me concerne directement, cette fois-ci. Il faut que tu saches que j’ai découvert Stevie Ray Vaughan en 1981. Et j’ai toujours adoré son jeu de guitare. Figure-toi que ma mère travaillait dans une usine, au Texas, et c’est juste derrière cette manufacture que Stevie répétait, tous les jours. C’était donc quelque chose de plutôt sympa. Et puis, bien plus tard, un jour d’août 1990, alors qu’elle arrive au travail, tous ses collègues étaient en pleurs. Elle les interroge sur le pourquoi et on lui répond que "Little Stevie" est mort. Elle demande de qui il s’agit et elle apprend alors que c’était le surnom de Vaughan. Forcément, elle était bien triste pour moi, car elle savait que je l’admirais. Le crash d’hélicoptère avait eu lieu à East Troy, dans le Wisconsin, juste après que Stevie ait joué avec DOUBLE TROUBLE au Alpine Valley Music. Le lendemain, son frère Jimmie Vaughan est venu sur les lieux de l’accident pour voir où son frère était décédé. C’est Tony, le régisseur de ce festival qui l’y avait emmené... et il se trouve que Tony était aussi l’un de mes amis. Il m’a raconté que plusieurs fans étaient déjà sur place, à ce moment-là, pour se recueillir. Certains avaient trouvé des objets personnels, des bagues... Et aussi dingue que ce soit, Jimmie a trouvé le célèbre chapeau de Stevie. Il l’a mis sur sa tête. Et il pleurait. C’était horrible... Mais l’histoire ne s’arrête pas là, car l’un de mes cousins venait tout juste d’obtenir son diplôme de médecin légiste, et le premier corps qu’il a autopsié était celui de Stevie Ray Vaughan. C’est très étrange, tous ces événements, toutes ces connexions... J’ai vraiment eu une relation très particulière avec Stevie.

« Je suis ami avec Udo depuis 40 ans ! C’est une véritable légende. Honnêtement, je pense que son groupe est plus fidèle à ACCEPT que ne l’est ACCEPT lui-même. »


Étonnante histoire, effectivement... Mais indirectement, tu es aussi parvenu à disséminer quelques germes de Stevie Ray Vaughan dans la musique d’ACCEPT, au final... Des années plus tard, on peut dire que le groupe tentait alors de se réinventer, tandis que tu atteignais une sorte de Graal en les rejoignant. Vous n’étiez donc pas sur la même longueur d’ondes.
Quand ils m’ont engagé, il y avait beaucoup d’animosité, de "bad blood", car le groupe changeait de direction et se séparait d’Udo. Regarde ACCEPT maintenant : Wolf est l’unique membre fondateur toujours en place. Et c’est le groupe U.D.O. que Peter Baltes a finalement rejoint. Il y a des raisons à cela, forcément. Même chose pour ce qui concerne ma période avec ACCEPT : on m’a reproché d’être agressif, mais derrière ces reproches, il y a toute une très longue histoire. Mais cela n’a plus d’importance, maintenant. Inutile de s’attarder là-dessus. Ça ne sert à rien. Maintenant, je suis ami avec Peter et je connais très bien son épouse. Elle m’avait tenu informé des différents rebondissements qui se tramaient, et nous avions échangé par téléphone avant que Peter ne quitte le groupe. Quinze jours après cet appel, il m’avait invité à un concert d’ACCEPT à Milan. Tout s’était très bien passé : « brother, love you ; love you too. » On a échangé ; j’ai beaucoup de respect pour lui. Et puis, quelques semaines plus tard, il rejoignait le groupe d’Udo...

Précisément, comment t’entends-tu avec Udo ?
Je suis ami avec Udo depuis 40 ans ! Un grand ami, même. Je connais également son fils, Sven, qui joue de la batterie. Son groupe DAMAGE a d’ailleurs ouvert pour le mien en Allemagne, il y a une dizaine d’années, avant qu’il ne rejoigne le groupe de son père. Plus récemment, j’ai fait la première partie d’U.D.O. sur quelques dizaines de concerts. Udo est une véritable légende et, surtout, je pense que son groupe est plus fidèle à ACCEPT que ne l’est ACCEPT. C’est en tous les cas mon opinion.

Tu sembles d’ailleurs avoir conservé d’excellentes connexions avec nombre d’anciens membres d’ACCEPT. Udo, Peter, mais aussi Stefan Schwarzmann, qui a joué sur ton tout premier album solo, « Universal Language » en 2009, ou encore Herman Frank, avec lequel tu as enregistré « Blood In Blood Out » en 2022, le premier album d'IRON ALLIES. Comment l’expliques-tu ?
C’est personnel, bien sûr, mais tout le monde sait pourquoi. Le public sait pourquoi, toi qui les as vu à Toulouse il y a quelques semaines, tu sais pourquoi, mais je ne peux pas te dire pourquoi. Par contre, tu peux voir que nous, on joue en famille, il y a une toute autre ambiance. Écoute, je vais être franc avec toi, je me fous éperdument de ce que fait Wolf... tout comme il se fout de ce que je fais. C’est un bon guitariste, je ne lui veux aucun mal et je ne lui souhaite que du bien dans tous ses projets. Je ne perds pas mon énergie à penser à lui, tout cela fait partie du passé. Ça n’a pas marché, c’est fini. Mais aujourd’hui, si j’en ai envie, si j’en ai besoin, je peux aller boire un café avec Udo, appeler Peter et sa femme et échanger avec eux...


Ce sont deux visions du groupe que tout oppose...
À mon sens, quand tu es dans un groupe, il faut que chacun se sente bien, que tout le monde trouve sa place, que chaque membre écoute l’autre. Bref, qu’il y ait une unité et que chacun soit bien traité. Si tu recrutes un musicien comme Gary Moore le faisait, c’était forcément difficile, car tu faisais partie du Gary Moore Band ! Il agissait en véritable patron : tu joues ça, de telle façon, ne me parle pas... Michael Schenker est pareil. Ils se voient 5 minutes avant de monter sur scène, il paye ses musiciens : c’est ce type de rapport. Ce n'est pas un groupe d’amis, c’est un job. Ça se respecte, car chacun a son mode de fonctionnement, mais pour ce qui me concerne, je ne veux plus de ça dans ma vie. Pour ce qui est d’ACCEPT, je dois toujours rappeler que c’est eux qui sont venus me chercher, je ne me suis pas imposé. Ils ont auditionné 100 chanteurs et c’est bien moi qu’ils ont engagé. Udo était le chanteur originel, ils avaient un succès phénoménal et ils ont fait une terrible erreur en le virant. Et ils le savaient pertinemment. Qui restait-il à blâmer ? Moi, évidemment, et je me suis pris tous les scuds en pleine tête ! Si seulement on avait changé le nom du groupe...

Comme MÖTLEY CRÜE avec John Corabi...
Complètement ! D’autant qu’il chante bien mieux que Vince et qu’il fait un excellent boulot au sein des DEAD DAISIES. C’est pareil avec Blaze Bayley et IRON MAIDEN ou Tim Owens et JUDAS PRIEST. "Ripper" est un grand chanteur, Blaze est super, mais c’est tellement difficile de remplacer des figures de ce niveau... Les fans cherchent forcément un coupable, quelqu’un à condamner... Il faut savoir que les Allemands sont des gens très fidèles, très loyaux avec leurs groupes. « ACCEPT est mon groupe, comment oses-tu remplacer Udo ? Tu as détruit ma vie ! » : j’entendais ça tous les jours, à l’époque. Pour avoir tourné avec U.D.O. depuis, je comprends mieux le ressenti des fans. Quand ils voient Udo, ils deviennent carrément fous. Car c’est quelqu’un du peuple, il en fait toujours partie, et les gens se sentent proches de personnalités comme celles-ci. Des artistes qui sont au même niveau qu’eux, c’est l’un des leurs, tout simplement. Il y a une proximité, une identification. Et c’est aussi pour cette raison qu’Udo est resté LEUR chanteur. Alors, bien sûr que j’ai été blessé et vexé par tout ça à l’époque, mais c’est loin, aujourd’hui. Je ne suis pas en colère. ACCEPT a été très important pour moi. Ils m’ont permis de donner un véritable élan à ma carrière.

Au point qu’un autre groupe mythique se soit intéressé à toi, après le départ de son chanteur : JUDAS PRIEST !
Exactement ! Ce devait être en 1994, je crois. J’ai reçu un fax de Jayne Andrews, la compagne de Glenn Tipton, qui s’occupait du management de JUDAS PRIEST. Le groupe avait entendu parler de moi et connaissait ma musique, notamment le premier album de SIRCLE OF SILENCE, qui n’avait pourtant pas très bien fonctionné. C’était du metal, quelque chose de très heavy. Et apparemment, KK Downing et Glenn aimaient beaucoup ma voix. J’étais épaté qu’ils s’intéressent ainsi à moi. Au final, leur choix s’était arrêté sur Ralph Scheepers, Tim Owens et moi-même. Mais Ralph sonnait trop comme Rob Halford, j’étais un peu différent, de mon côté, et Tim réunissait toutes les qualités. C’est donc lui qui a eu le job ! Il y a aussi eu quelques personnes, dans certaines structures, qui n’ont pas du parler de moi en des termes très élogieux. C’est comme ça, on ne peut pas revenir là-dessus. En tous les cas, ce fût un véritable honneur que d’être considéré pour intégrer JUDAS PRIEST. Vraiment.

Justement : tu as collaboré avec un nombre hallucinant de groupes : DARE FORCE, ACCEPT, BANGALORE CHOIR, BONFIRE... As-tu une idée du nombre d’albums que tu as enregistrés ?
35 albums, peut-être ? Je ne sais pas exactement. Et j’en ai déjà 2 qui trottent dans la tête (rires). Je suis fou, tu sais, ça ne s’arrête jamais...

As-tu un groupe de cœur, parmi toutes ces formations ? Un qui t’est plus cher que les autres ?
J’ai apprécié chacun des groupes avec lesquels j’ai travaillé, mais pour des raisons différentes, forcément. Je garde des bons souvenirs des personnes qui composaient ces groupes mais, pour être honnête, je n’ai jamais été aussi heureux que durant les deux dernières années de ma vie. Avec mon groupe. C’est comme un accomplissement. Je ne dis pas que nous sommes le meilleur groupe au monde, mais on est heureux de jouer ensemble, il y a une bonne énergie. Tu sais, c’est difficile d’avoir une fan-base, une grande audience qui te suit partout. Je n’ai jamais eu la notoriété d’ACCEPT ni celle de U.D.O., mais les gens me respectent et je les respecte. Aujourd’hui, j’ai plus confiance en moi et je suis heureux. Dans ma tête, dans mon cœur, en paix avec moi-même et je suis plutôt en bonne forme physique... pour mon âge ! (rires).

« Quand NIRVANA a débarqué, en 1991, on a tous perdus nos contrats en l’espace d’une semaine. Virés ! On se demandait ce qu’on allait bien pouvoir faire... »


Parmi tous les groupes que tu as fréquentés, il y en a un que j’aime tout particulièrement : SIRCLE OF SILENCE. Comment expliques-tu que le groupe n’ait pas véritablement cartonné ? Le groupe établissait un véritable lien entre le hard US traditionnel et des groupes comme ALICE IN CHAINS, non ?
Tu sais, en 1991, on a tous perdu nos contrats en 1 semaine... Tout le monde a été viré : BADLANDS, Jake E. Lee... On a été abandonné. Je me revois dans ma cuisine avec Stephen Pearcy de RATT et Jani Lane de WARRANT, on se demandait ce qu’on allait bien pouvoir faire... Finalement, on a pris le parti d’adopter ces nouvelles règles du jeu. On a alors tous commencé à porter des chemises militaires, des Rangers, des longs cheveux sales... mais les fans connaissaient parfaitement la différence entre le vrai grunge et le fake. Et avec SIRCLE OF SILENCE, nous faisions bien évidemment partie de la seconde catégorie ! On cherchait à intégrer cette nouvelle mouvance sans en être issu. La situation était très inconfortable pour tous les groupes nés durant les années 80. Et pourtant, je savais, au fond de moi, que le grunge ne durerait pas plus de 4 ou 5 ans. À mon sens, ce n’était pas un mouvement aussi durable que ne pouvait l’être le hard rock.

À ce propos, penses-tu que le grunge a eu une portée différente aux USA et en Europe ?
Aux États-Unis, on n’est pas très bon pour suivre le même groupe 40 années durant. On aime un groupe quelques années, puis on change. En Europe, la loyauté, c’est pour la vie ! C’est probablement pour cela que les groupes de metal sont aussi importants chez vous. Et que DEEP PURPLE, U.D.O. ou SAXON n’ont jamais véritablement changé. Regarde où en est SAXON aujourd’hui : le groupe est encore plus grand qu’il ne l’était il y a une dizaine d’années... En Europe, les metalheads se foutent un peu de savoir à quoi ressemblent les membres des groupes. Le chanteur a beau grossir, ça ne nuit pas au succès, car c’est leur groupe, et leur musique est plus importante que leur allure. Le problème avec le grunge, c’est que ça a été un énorme succès du jour au lendemain. Et cela a complètement détruit le modèle du business alors en vigueur... du jour au lendemain également. Je t’assure, ça l’a anéanti. Avant, on avait les cheveux en l’air, des spandex en bas, mais je pense aussi qu’on mettait les kids mal à l’aise. On était maquillé, on était toujours entouré de filles. Et quand le grunge est arrivé, les groupes portaient des sweats qui puent, ils parlaient des problèmes que tout le monde rencontre, et Kurt Cobain avait une belle bouille... C’était plus facile pour les jeunes de s’identifier à ce type de formation qu’aux gars de WHITESNAKE, toujours entourés de filles sexy. Et c’est logique. Même un mec comme David Lee Roth ne pouvait pas changer cet état de fait. Il avait un corps parfait, il était athlétique et faisait des acrobaties, mais après 10 années de ce régime avec des blonds décolorés comme l’étaient les gars de BON JOVI, le public en a eu marre de tout ce cirque et a clairement dit "stop" ! Quand Cobain est arrivé avec "Smells Like Teen Spirit", il a carrément fait exploser ce qui avait précédé. Avec BANGALORE CHOIR, on a sorti notre album en même temps que le « Nevermind » de NIRVANA. Ils en ont vendu 600 000 copies la première semaine et nous 175. La semaine d’après, ils en étaient à 2 millions, nous à 50 000.

BANGALORE CHOIR a tout de même eu sa période de gloire...
"Loaded Gun", l’un de nos singles a remporté un joli succès. Il passait beaucoup à la radio et a été numéro 1. On était heureux et tout le monde nous disait « c’est super ! Maintenant, tu l’as, ton hit. Félicitations ! ». On progressait méthodiquement, on planifiait les choses et on savait où on allait, mais le "Smells Like Teen Spirit" a tout explosé sur son passage. Les radios ont commencé à changer de ligne, NIRVANA est devenu l’un des plus grands groupes au monde et les compagnies nous ont dit que c’en était terminé du hard rock. Après coup, on se rend bien compte que c’était une erreur. J’en ai d’autant plus conscience que, aujourd’hui encore, lorsque je me rends en Grande-Bretagne, je constate qu’on connaît ces chansons, qu’on les chante et qu’on les aime. Avec le recul, je pense qu’on aurait dû prendre l’avion avec BANGALORE CHOIR, ne pas écouter les maisons de disques et écumer tous les petits clubs européens, afin de garder le groupe en vie. Car le hard rock était encore très vivace en Europe et en Angleterre. Le grunge n’y a atteint une côte de popularité extrême que quelques années après les USA, avec SOUDGARDEN, PEARL JAM...


Précisément, qu’as-tu fait durant cette période, de la fin des années 90 à 2008, date à laquelle tu as collaboré avec le groupe suédois GYPSY ROSE pour son « Another World » ?
En fait, je me suis retiré. J’ai quitté le business en 1995 et j’ai complètement disparu pendant une dizaine d’années. Et je me disais sans arrêt « Fuck music ! Fuck business ! ». Tout y était si négatif. Je n’en pouvais plus. Parfois, des gens me croisaient et me demandaient si j’étais le chanteur d’ACCEPT. Je leur répondais « Non ! ». Et ils insistaient : « Tu lui ressembles, pourtant. » J’en avais vraiment ras-le-bol et j’ai décidé de changer de vie. Je n’ai donc pas été inactif, puisque je me suis marié et que nous avons eu un enfant. J’ai aussi acheté une ferme dans le Tennessee, un ranch, puis j’ai monté une société dans le domaine de la construction. Je travaillais 12 à 15 heures par jour, 7 jours par semaine. J’avais une famille, une maison, ma société, mes camions, des gens qui bossaient pour moi : c’était de la folie ! J’élevais des vaches, des chevaux et j’étais producteur en agriculture. Pour être honnête, j’ai fait beaucoup, beaucoup, beaucoup d’argent. Mais je buvais encore énormément, c’était compliqué. Une des pires périodes à ce niveau-là, même si j’avais arrêté la drogue depuis un bon moment. Mais l’alcool est également une drogue, très puissante. Et le stress de mon business n’arrangeait pas les choses... Et puis, le Rock a commencé à me manquer. J’écoutais la radio et je chantais dans ma voiture, en allant au boulot. Ma voix devenait de plus en plus faible, car je ne l’utilisais plus. Et à un moment donné, je dois avouer qu’il me manquait quelque chose : le fait de performer, de monter sur scène... Je gagnais très bien ma vie, mais j’étais triste. Un peu comme si le chapitre "musique" était définitivement clos et que je devais désormais mener une autre existence qui ne me correspondait pas totalement. J’avais 45 ans, une vie sympa, mais cette idée trottait régulièrement dans un coin de ma tête. Je me suis alors petit à petit remis en selle. J’ai d’abord fait mon retour sous mon nom, puis j’ai été sollicité par GYPSY ROSE pour enregistrer un album en Suède...

Groupes américains, allemands, suédois... Ta carrière est très cosmopolite. Tu as forcément beaucoup voyagé. Tu aurais aimé être européen ?
Je vis en Italie, je suis marié à une Italienne qui est géniale... et j’apprends la langue du pays ! Que dire ? Je suis juste moi. J’aime l’Asie, j’aime l’Europe. J’ai tellement tourné en Europe... mais sais-tu que je n’avais encore jamais mis les pieds en France ? C’est Valentin Labani, mon nouveau manager, qui a organisé toutes ces dates chez vous et, franchement, c’est incroyable.

Et que penses-tu de notre pays, de notre culture ?
Figure-toi que je connais bien l’histoire de France, car on me l’enseignait dans mon lycée, en Amérique. Tous les élèves apprenaient ça : la Révolution, Marie-Antoinette. J’ai commencé à lire sur ces thématiques. Je suis également fasciné par toutes ces batailles, ces pays qui veulent s’approprier un morceau d’une autre nation, toutes ces guerres de conquête territoriale... Aux USA, on a eu la guerre de Sécession, on est aussi proche d’en avoir une autre (on n’espère pas...), mais on n’a pas ce genre d’histoire. Et puis, on est un pays encore jeune. Ce qui est étonnant, en Europe, c’est que vous vivez juste à côté des Allemands, par exemple, mais les Français ont une mentalité très différente. Les habitants de ces deux pays, pourtant si proches, pensent de manière tellement éloignée... Je trouve ça fascinant. Les Français pensent « Fuckin’ German ! » ; les Allemands « Fuckin’ French ! » (rires), et pourtant, tous ces gens sont pareils. Et ils deviennent aussi fous l’un que l’autre lorsque je joue devant eux.

« J’ai envie d’enregistrer un album acoustique, quelque chose de très personnel avec un micro, un piano, une guitare. Peut-être des reprises de grands classiques, à la manière de Johnny Cash ? Quelque chose d’un peu noir... »


Quels sont tes projets pour cette année 2025 ? Tu te concentres sur ton projet solo ou tu envisages aussi une tournée avec BANGALORE CHOIR ?
Je ne peux plus travailler sur 50 projets simultanément. Je suis régulièrement sollicité pour faire des apparitions sur différents albums mais, aujourd’hui, je dis "non". J’ai déjà fait tellement de musique ainsi, notamment des reprises... Ça rapporte de l’argent, certes, mais aujourd’hui, j’ai décidé de me concentrer sur mon propre groupe. Bon, si WHITESNAKE m’appelle demain, peut-être que je dirais "oui" (rires)... Valentin, tu as envie de t’engager dans une aventure comme celle-ci ? Allez ! Partons pour l’Angleterre ! (rires). Honnêtement, aujourd’hui, je suis heureux ; j’ai juste envie de jouer. On va essayer d’enregistrer un album l’année prochaine, puisque j’en ai déjà 2 qui tournent dans ma tête. J’ai d’ailleurs une idée de chanson très précise en tête. Il faut que je la sorte de moi, car je pense qu’elle est très bonne. J’ai aussi l’idée, avec Valentin, de réaliser un album acoustique plus doux, quelque chose de très personnel avec un micro, un piano, une guitare. Simple. Peut-être des reprises de grands classiques, à la manière de Johnny Cash ? Quelque chose d’un peu noir, mais dans mon style. En accord avec la manière dont ma voix a évolué avec le temps. Valentin me dit souvent que je ne suis plus un chanteur de metal pur et dur, aujourd’hui, mais un "hard rock blues singer". Et il a raison. Voilà donc les plans pour cette nouvelle année : de nouvelles chansons et plein de concerts. Pour ce qui est de BANGALORE CHOIR, j’ai eu un appel du guitariste fin novembre : il m’a appris que Danny Greenberg, le bassiste, était décédé d’un cancer. Une nouvelle qui m’a choqué. C’était un bon compositeur et un bassiste brillant. C’est triste. Concernant les autres membres, nous avons tous évolué différemment, avec le temps. Certains travaillent pour des compagnies cinématographiques, d’autres pour des shows à la télévision, de bons boulots en Californie. Je veux donc me concentrer sur mon groupe, faire un bon album. Je ne suis jamais satisfait, je peux toujours faire mieux. Il y a toujours une bonne chanson, dans ma tête, je ne l’ai juste pas encore trouvée.

Justement, comment composes-tu ? Dans quel état d’esprit ?
Je ne peux pas m’arrêter, ça me dépasse. Ma personnalité est telle qu’il me faut travailler tous les jours. Des exercices pour ma voix, mais aussi du travail d’écriture, quasiment 7 jours sur 7. Pour être franc, 90% de ce que j’écris part directement à la poubelle, mais je n’arrive pas à faire autrement, j’ai toujours besoin d’être en action. Ce n’est pas le pire des problèmes, il faut bien le reconnaître... (rires)

Peux-tu nous en dire plus sur le concert de ce soir ? À quoi faut-il s’attendre ?
Il y aura des morceaux de « Eat The Heat », de « Baptized By Fire » et de BANGALORE CHOIR, bien sûr. Deux reprises, aussi : "Changes" de BLACK SABBATH et "Ain’t No Love In The Heart Of The City" du BOBBY BLUE BAND, popularisé en son temps par WHITESNAKE. Tu verras que ça fonctionne très bien. Tu vas voir notre énergie en live... j’espère que ça va plaire au public !


On rassure David, ça nous a plu et, bonne nouvelle, Valentin, son manager, nous a laissé entendre que David sera de retour en terres héraultaises l’an prochain. David Reece a mis un certain temps à venir nous voir certes, mais désormais, il ne veut plus nous quitter... et c’est tant mieux. On se donne donc d’ores et déjà rendez-vous à l’année prochaine !
Retrouvez les photos de David Reece à l'O'liver Pub de Lattes (34) dans ce portfolio.

DavidReeceOfficial
 

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Au sujet de l'auteur
Stéphane Coquin
Entre Socrate, Sixx et Senna, impossible de faire un choix… J’ai donc tenté l’impossible ! Dans un mouvement dialectique aussi incompréhensible pour mes proches que pour moi-même, je me suis mis en tête de faire la synthèse de tout ce fourbi (et orbi), afin de rendre ces éléments disparates… cohérents ! L’histoire de ma vie. Version courte. Maîtrise de philo en poche, me voilà devenu journaliste spécialiste en sport auto, avant d’intégrer la valeureuse rédaction de HARD FORCE. Celle-là même qui prit sauvagement part à mes premiers émois métalliques (aïe ! ça fait mal !). Si la boucle n’est pas encore bouclée, l’arrondi est désormais plus que visible (non : je ne parle pas de mon ventre). Preuve que tout se déroule selon le plan – savamment – orchestré… même si j’aimerais que le tempo s’accélère. Bon, et sinon, qu’est-ce que j’écoute comme musique ? Du bon, rien que du bon : Platon, Nietzsche, Hegel et Spinoza ! Mais je ne crache pas non plus sur un bon vieux morceau de Prost, Villeneuve ou Alonso… Comment ça, Christian, faut tout réécrire !?!
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1 commentaire

User
Vincent
le 16 janv. 2025 à 16:06
Merci infiniment pour cette interview fleuve et ô combien instructive sur à tous points de vues. Cet homme a tout mon respect, sachant que je fais parti de ceux qui auront beaucoup aimé cette parenthèse avec Accept, malgré une pochette bâclée.
J'ai également particulièrement apprécié sa philosophie de vie et son approche de ce que représente pour lui l'esprit de groupe dans la musique. Vraiment cette lecture m'aura régalé.
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