20 mai 2024, 17:10

HABITANTS

Interview


Après quatre ans d’attente depuis la parution du premier single ''Bury The Earth'', HABITANTS a sorti le 22 mars son second album « Alma », un voyage au cœur des états d’âmes d’une femme à travers huit nouvelles chansons... Entretien avec les membres du groupe pour en savoir un peu plus sur ce parcours quelque peu chaotique qui débouche sur une œuvre lumineuse.
 

« One Self » en 2018 a probablement été publié pendant les moments les plus sombres que René et toi avez été amenés à vivre. Comment allez-vous aujourd’hui ?
Gema Pérez : Je te remercie pour ta question. Heureusement, René et moi allons aujourd'hui très bien, tant sur le plan personnel qu'en tant que couple. Faire de la musique ensemble a renforcé nos liens et nous a réconfortés dans les moments difficiles. Personnellement, je n'exagère pas en disant que le fait de pouvoir faire de la musique m'a évité de sombrer dans une profonde déprime. 

La musique a donc été une thérapie pour vous...
Gema : Oui. HABITANTS, la musique et la créativité m'ont permis de canaliser de nombreuses émotions et pensées et de les transformer en quelque chose de significatif, de beau et de positif, et j'en suis profondément reconnaissante.

Lorsque ''Bury The Earth'' est sorti en octobre 2020, il était prévu de sortir cinq autres singles avant celle de l'album en septembre 2021. Pourquoi avez-vous décidé de suspendre ce processus avant de le relancer avec Attie Bauw à la production en 2023 ?
Gema : Tout avait été planifié avant la pandémie, et l'arrivée de la COVID-19 dans nos vies a complètement bouleversé ce qui avait été prévu. Nous avons réussi à enregistrer "Bury The Earth" et "Morgen" avant que les mesures de confinement ne soient imposées. Il n'était plus possible de répéter, et chacun d'entre nous devait faire face à l'incertitude causée dans nos vies par la pandémie. En outre, Anne est tombée enceinte en 2021. Et en septembre de la même année, mon père a été diagnostiqué avec une maladie en phase terminale. J’ai donc décidé de retourner au Chili pour l'accompagner dans les derniers mois de sa vie. C’est à mon retour aux Pays-Bas en mars 2022 que nous avons recommencé à répéter et à terminer les chansons et les maquettes de « Alma ». À ce moment-là, René nous avait déjà fait part de son intérêt pour Attie Bauw de travailler avec nous, ce qui nous a beaucoup enthousiasmés. Ainsi, lentement et très naturellement, le projet de travailler avec lui pour l'enregistrement de l'album a pris forme. Mais du fait de son emploi du temps chargé, l'enregistrement et l'achèvement de l'album ont pris un peu plus de temps que prévu.


René et toi êtes les principaux compositeurs. HABITANTS est-il votre groupe comme AC/DC pouvait être celui des frères Young ?
Gema : René et moi jouons en effet un rôle important en tant que compositeurs dans le groupe, mais il est important de reconnaître l'effort de collaboration de toutes les personnes impliquées. L'apport lyrique d'Anne, couplé à ses lignes vocales, sert souvent d'inspiration pour nos compositions musicales. De plus, Mirte et Jérôme contribuent grandement au processus créatif.

Justement, peux-tu nous expliquer comment vous procédez pour construire une chanson ?
Gema : Généralement, René ou moi envoyons nos démos ou partageons nos idées de chanson quand nous répétons tous ensemble. Nous discutons également de notre vision et de notre inspiration principale pour la chanson. A partir de là, nous travaillons ensemble, chacun apportant ses idées pour façonner et compléter la chanson.

Bien que ce soit un travail collaboratif, en dehors de Anne qui est créditée pour les paroles, seules ''Youth'' et ''The Waiting Room'' crédite Jerôme et Mirte. Il est d’ailleurs peu commun de voir un batteur crédité sur un titre. Quels sont les critères qui permettent cela pour un membre du groupe ?
Jerôme Miedendorp de Bie : Tout simplement, Gema et René sont venus chez moi et en l’espace d’un après-midi, nous avons écrit les bases de ''Youth''. Concernant ''The Waiting Room'', nous avons initialement écrit les contours du morceau pour un projet artistique que nous avons réalisé à Maastricht. La chanson a été écrite autour d'une de mes parties de batterie qui commençait lentement et se développait pour se terminer de manière intense.
Mirte Heutmekers : Le projet initial qui a donné naissance à ''The Waiting Room'' était de jouer un morceau pour le projet artistique "A Stage Of Luminosity". Avec Rutger Muller, artiste du son, on nous a demandé de créer une musique pour les images d'Arno Coenen. Si habituellement nous écrivons des chansons d'une manière complètement différente, cette fois-ci, nous étions liés à la vidéo. Ensemble, dans notre salle de répétition, nous nous sommes principalement attachés à faire correspondre notre musique, et le sentiment que nous éprouvions en la jouant, aux images. Nous avons donc collectivement écrit un morceau de dix-huit minutes, aussi long que la vidéo. Comme nous ne voulions pas utiliser cette composition uniquement pour ce projet, nous lui avons donné une nouvelle tournure pour « Alma », c'est ainsi que ''The Waiting Room'' a vu le jour.

Le fait que les paroles de « Alma » racontent l'histoire d'une femme, peut on dire que cela en fait un album conceptuel ?
Anne van den Hoogen : « Alma » pourrait, en effet, être un concept, mais je le pense plus comme le schéma mental d’une femme plutôt que son histoire. Elle y parle de ses sentiments et de ses émotions inspirés par la peur ou la colère. Malgré qu'elle ne souhaiterait pas se rattacher à certains d'entre eux, le fait est que tous ces sentiments et toutes ces pensées sont en elle et la définissent. C’est pour cela que l’album s’intitule « Alma ». L'album affirme que ressentir, c'est être humain et qu'à l'ère effrayante de l'IA, c'est quelque chose qu'il faut chérir profondément.

Comme sur ''Highways'', dont les paroles évoquent un animal piégé dans les phares d'une voiture, on peut voir dans l'album la métaphore selon laquelle l'humanité confrontée aux problèmes climatiques, est comme cet animal face à son destin... Ayant récemment donné naissance à ton premier enfant, on peut supposer que tu espères qu'un avenir est possible...
Anne : Je suis d’accord avec ta métaphore et nous pouvons aussi y voir celle de la manière dont nous maltraitons les animaux. Il est vrai que face à certains événements, je me sens parfois anéantie.

Les fans qui te connaissent en tant que chanteuse ont l'habitude d'entendre une voix douce et paisible. Cependant, sur « Alma» , elle est plus sombre, comme sur ''Highways''. Est-ce que HABITANTS est pour toi l'occasion de chanter parfois différemment ?
Anne : Tout à fait ! Je pense qu'en tant que chanteuse, il est important de se remettre en question et de chercher à explorer différents genres afin d'évoluer artistiquement et techniquement. Je suis souvent curieuse de voir comment mon intuition et ma voix réagissent à un certain morceau de musique et, la plupart du temps, les premières lignes viennent naturellement. Mais je dois dire que « Alma » n'a pas été facile pour moi, il m’a souvent été très difficile de trouver les bonnes mélodies. L’esprit de groupe a été primordial car avec l’aide et la confiance des autres membres, j’ai souvent pu sereinement sortir de ma zone de confort pour trouver quelque chose qui avait du sens.


Tu nous avais dit avoir travaillé les mélodies et les voix chez toi avant de rencontrer Attie en studio. Il n’a donc pas été nécessaire que vous débattiez de la manière d’aborder telle ou telle ligne de chant ?
Anne : Oui, j’ai en effet travaillé sur les mélodies et les harmonies vocales chez moi, dans mon propre studio, avant de rencontrer Attie. Quand je suis arrivé en studio, mes préproductions comportaient beaucoup de couches et d’harmonies et j’avais aussi plein d’idées en tête. Heureusement, Attie n'était pas du tout effrayé par la quantité, c’est ainsi que nous avons tout simplement commencé à les enregistrer.

René, lorsque tu as décidé de fonder HABITANTS avec ton frère Hans, il était prévu de faire quelque chose de différent de THE GATHERING. Cependant, les deux groupes évoluent dans la même sphère musicale. Cela semble encore plus probable avec « Alma » que tu as produit avec Attie Bauw, juste après « Beautiful Distorsion ». Peut-on dire que HABITANTS et THE GATHERING sont des groupes cousins ?
René Rutten : Sur le papier, nous voulions en effet quelque chose de complètement différent, mais ce n'est pas facile. J'aurai toujours, pour ma part, ma propre "empreinte" musicale, donc je ne peux pas transformer mes idées en quelque chose qui sonne reggae ou black metal. J'aime expérimenter et jouer avec les effets de guitare. C’est aussi ce que je fais avec THE GATHERING. Il est donc indéniable que les deux groupes soient très proches l'un de l'autre. Néanmoins, THE GATHERING est bien plus heavy et les claviers y jouent un rôle important. Avec HABITANTS, le son est beaucoup plus centré sur les guitares.

Dans « The West Pole », Anne chante sur ''Capital Of Nowhere'', et bien qu'elle soit une chanteuse talentueuse, il est difficile d’imaginer qu’elle aurait pu être choisie pour THE GATHERING. Quand on écoute HABITANTS, c'est complètement différent. On a le sentiment que votre collaboration n’aurait pas pu produire un tel résultat avec une autre chanteuse...
René : Anne a une formation d'auteur-compositeur-interprète. Toutefois, même si THE GATHERING n’est plus aussi heavy qu'auparavant, l’esprit reste trop heavy pour sa voix. Néanmoins, comme tu le mentionnes, c'est une chanteuse très talentueuse et c'est pourquoi nous avons enregistré une chanson avec elle sur l'album « The West Pole ». Avec HABITANTS, il y a beaucoup plus de place pour les parties douces, musicalement et vocalement. C'est aussi génial de travailler avec Anne, car elle a des idées de paroles pertinentes et elle sait aussi comment les relier à la musique.

Jerôme, te retrouver batteur d’HABITANTS fait écho à une discussion que nous avons eue avec ton père. Il disait que lorsque tu étais adolescent, ta batterie occupait toute ta chambre. Avec les années et l’évolution de ta pratique, ton kit s'est réduit pour devenir minimaliste. Rétrospectivement, quel regard portes-tu sur l’évolution de ta technique ?
Jerôme : (Rires) C'est peut-être parce que je suis marié et que ma femme ne me laisse pas remplir toute la chambre avec ma batterie. Sérieusement, j'ai commencé à réduire la taille de mon kit dans ma vingtaine. Quand j'étais adolescent, j'étais un peu sauvage. Mon style musical de prédilection était le speed metal et je voulais jouer aussi vite et techniquement que possible. A 20 ans, j'ai remarqué que j'avais tendance à écouter des batteurs qui pouvaient jouer un groove régulier, plutôt que des batteurs qui pouvaient jouer 10 000 coups à la seconde, à l’exception de Neil Peart et Danny Carey, et pour cela, vous n'avez pas besoin d'une batterie imposante. Cela a aussi l’avantage de réduire également le nombre de caisses à transporter (sourire).

Tu évoques Neil Peart de RUSH et Danny Carey de TOOL. J'imagine que ce sont des batteurs au style plus groovy qui ont influencé ton style de jeu. Quels sont ceux qui t'ont influencé lorsque tu étais adolescent et que tu voulais jouer aussi vite et techniquement que possible ? Et pourquoi ces batteurs en particulier ?
Jerôme : Quand j'étais jeune, j'ai commencé à écouter les disques de DEEP PURPLE, je crois que mon premier disque a été leur compilation « 24 Carat Purple ». Ian Paice était un excellent batteur de rock, il l’est toujours d'ailleurs. Après cela, il y a eu THE POLICE avec Steward Copeland et ainsi de suite. J'ai découvert le metal grâce à un ami et j'ai commencé à écouter SLAYER, METALLICA, ANTHRAX, MEGADETH. J'ai donc été influencé par Dave Lombardo et Lars Ulrich. A côté de ça, j'ai toujours écouté d'autres styles comme le rock fusion, le funk, la pop, la new wave et plus tard le stoner. En gros, tout ce qui existait dans les années 80 et 90.  

Lorsque nous avons eu cette discussion, c’était en 2017 et tu jouais encore dans le groupe de stoner DRIVE BY WIRE. Tu disais aussi que par le passé, tu n'étais pas fan de THE GATHERING parce que son style était trop cool et que tu n’aimais pas particulièrement les lignes de batterie. Il est aisé d’imaginer que cela correspond à ta période sauvage. C'est donc assez amusant de te voir aujourd'hui être le batteur de HABITANTS. Et en particulier, comme remplaçant de Hans lui-même et jouant des lignes de batterie plus douces. As-tu découvert, lorsque tu as décidé de rester dans HABITANTS, que tu étais devenu trop vieux et trop sage pour jouer de la batterie avec plus d'énergie ? 
Jerôme : Je ne me souviens pas avoir dit que je n'aimais pas THE GATHERING, mais comme tu le mentionnes, ce que j'écoutais et jouais à l'époque était un style de musique totalement différent, cela pourrait expliquer pourquoi je n’étais pas très sensible à ce que jouait THE GATHERING. Si j’avais su qu’un jour tu m’en reparlerai en interview, je me serai certainement abstenu de te dire cela. A la publication de cet article, je risque d’être poursuivi par des hordes de fans de THE GATHERING qui viendront pour me faire la peau (rires). Plus sérieusement, mes goûts musicaux ont toujours été très variés. De ce fait, j'ai écouté la plupart de leurs albums et je dois dire que je trouve la période avec Silje plus intéressante que celle avec Anneke. Maintenant je suis vraiment dans le pétrin (rires). Concernant mon énergie, à en juger par le fait que mes camarades me disent souvent que je joue trop fort, cela montre qu’elle est toujours bien présente.

Ceux dont l’adolescence a été nourrit par le déferlement de la vague speed et thrash metal, peuvent probablement comprendre aisément ton propos. Nous pouvons aussi mettre en doute le retentissement que « Mandylion » aurait eu s’il était paru dix ans plus tôt. Tout est souvent une question de timing quand on y pense plus profondément, avec le recul. Compte tenu de ce que nous venons de dire avec René, il n’est pas surprenant, qu’en tant que batteur, tu sois plus réceptif à la période avec Silje...
Jerôme : Oui, tout à fait ! Dans mon cas, c'est mon meilleur ami qui m'a fait découvrir le metal... Si j'avais rencontré quelqu'un d'autre, je n'aurais peut-être jamais écouté ce genre là. Je sais qu'il y a encore beaucoup de groupes et d’albums à côté desquels je suis passé et que j’apprécierais très probablement. Je suis, par exemple, un grand fan de VAN HALEN et dans mon ancien groupe, ils n'ont jamais pu le comprendre. Pour ma part, je ne comprends pas non plus car pour moi ce sont les meilleurs (rires).

Puisque cette énergie est toujours présente en toi. N’es-tu pas nostalgique parfois de l'époque où tu jouais avec des groupes dont la musique est plus heavy ?
Jerôme : J'écoute toujours des groupes heavy, mais je ne regrette pas d'avoir quitté DRIVE BY WIRE pour rejoindre HABITANTS. Si je le souhaitais, il me serait toujours possible de lancer un projet en parallèle pour jouer du stoner, du rock ou du metal. HABITANTS me donne toute la latitude nécessaire et bien plus, pour explorer mes émotions. Cet environnement est idéal pour mon développement personnel et musical et surtout, nous sommes d’excellents amis.

Au cours de notre précédente interview en 2018 Mirte, Gema nous disait que vous étiez de très bonne amies et que vous aviez projeté de faire de la musique ensemble. Lorsque tu as rejoint HABITANTS, avais-tu imaginé que votre musique pourrait avoir autant de succès dans le monde entier, vous permettre de travailler avec des producteurs aussi importants et de partager la scène avec de grands groupes ?
Mirte : Avec Gema et René, nous étions, en effet, déjà amis lorsqu'ils m'ont demandé de venir jouer dans le groupe qu'ils venaient de créer. J'ai été immédiatement enthousiaste, d'une part parce que j'ai été très impressionnée par leur musicalité et leurs arrangements musicaux. D'autre part, parce que je sais aussi que l’amitié est importante dans un groupe. Lorsque la campagne de crowdfunding s’est emballée pour se terminer à un niveau bien plus élevé que l’objectif que nous nous étions fixé, j'ai su que cela pouvait devenir plus sérieux. Ces dernières années, nous avons énormément évolué en tant que groupe et notre identité s’est affirmée. Je réalise à quel point je suis privilégiée de jouer avec HABITANTS.

Devant un tel succès qui dépasse largement les frontières des Pays-Bas, envisagez-vous de donner des concerts en dehors de votre pays ?
Gema : Ce serait merveilleux, et nous sommes impatients que cela puisse se faire ! J'ose dire d’ailleurs que notre musique est plus écoutée et vendue en dehors des Pays-Bas. Cela nous permet de considérer que cela devient réalisable. Cette année, nous avons commencé à travailler avec Glass Ville, un booker néerlandais, et nous espérons que cette collaboration nous permettra de jouer en France et dans de nombreux autres pays !


​Vous pouvez vous procurer sans plus attendre l'album « Alma » en suivant ce lien : Habitants-Alma

Blogger : Bruno Cuvelier
Au sujet de l'auteur
Bruno Cuvelier
Son intérêt pour le hard rock est né en 1980 avec "Back In Black". Rapidement, il explore le heavy metal et ses ramifications qui l’amèneront à devenir fan de METALLICA jusqu'au "Black Album". Anti-conformiste et novateur, le groupe représente à ses yeux une excellente synthèse de tous les styles de metal qui foisonnent à cette époque. En parallèle, c'est aussi la découverte des salles de concert et des festivals qui le passionnent. L'arrivée d'Anneke van Giersbergen au sein de THE GATHERING en 1995 marquera une étape importante dans son parcours, puisqu'il suit leurs carrières respectives depuis lors. En 2014, il crée une communauté internationale de fans avant que leur retour sur scène en juin 2018 ne l'amène à rejoindre HARD FORCE. Occasionnellement animateur radio, il aime voyager et faire partager sa passion pour la musique.
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