31 mai 2024, 18:09

BLACK SABBATH

Interview Tony Martin - "Annus Mirabilis"


BLACK SABBATH est indiscutablement le groupe le plus important de l’histoire du heavy metal, mais aussi de son dérivé le plus noir, dépressif, opprimant et fondamentalement issu du blues le plus urbain – le doom : ''doomed'', maudits, les musiciens l’étaient aussi, tous. Une malédiction qui les a contaminés dès la naissance, et jusqu’à chaque étape de leur incroyable ascension vers le succès, constamment émaillée de drames et de revers qui en auraient désarmés plus d’un. Mais si le général Tony Iommi est resté le seul homme invariablement debout sur le pont depuis plus de 55 ans, il a su, malgré les incessantes tempêtes et autres tourmentes, s’entourer de musiciens fiables – autant de lieutenants capables de maintenir le vaisseau à flots à ses côtés, au risque d’écorner son image de marque lors de périodes encore plus mouvementées que celles considérées comme légendaires (mais guère épargnées pour autant).
 

Parmi les mille incarnations de BLACK SABBATH, l’ère Tony Martin, deuxième chanteur à la longévité la plus conséquente après Ozzy, s’est démarquée sur deux périodes distinctes, de 1987 à 1990, puis de 1993 à 1997, avec cinq albums méconnus au regard des classiques des époques Osbourne et Dio. Mais comme tous les chapitres plus occultes, sous-estimés ou mésestimés, la réhabilitation a posteriori peut heureusement révéler bien des surprises, tant en les remplaçant dans leur contexte, en adoptant un recul nécessaire, en prenant le temps de les (re)découvrir, ou de les savourer comme au premier jour. Si le chanteur britannique Tony Martin avait été catapulté chanteur du groupe en 1987 pour remplacer illico l’américain Ray Gillen en studio (dont les pistes vocales déjà enregistrées pour l’album « The Eternal Idol » furent de facto effacées), sa véritable participation à l’élaboration d’un album de BLACK SABBATH démarre en 1989 avec « The Headless Cross », alors boudé par le grand public mais considéré, à raison, comme un véritable petit chef d’oeuvre par des légions de fans. Suivirent « Tyr » en 1990, infusé par sa grandeur mythologique nordique, puis par « Cross Purposes » en 1994 (après un nouvel intermédiaire Dio en demie-teinte), et enfin le très décrié « Forbidden » paru en 1995 et alors produit par Ernie C, alors le guitariste de... BODY COUNT.

Depuis, tous ces albums majoritairement sortis par le label IRS sont devenus des raretés, introuvables dans les bacs, remplacés ci et là par quelques éditions pirates en vinyles, mais jamais réédités depuis. La frustration était donc grande de ne pas pouvoir dignement se (re)constituer une discographie éloquente de cette période occultée par les retours sur-médiatisés d’Ozzy, ou de Ronnie avec HEAVEN AND HELL.

Il aura donc fallu du temps, de la douleur et beaucoup de patience pour que quelques parties concernées se mettent d’accord pour enfin rééditer ces disques, et surtout les assembler dans un coffret dont l’esthétique suit forcément celle des opus précédents, soigneusement conçus dans cette prestigieuse collection. Mais si certains de ces derniers, pourtant étrangement sortis dans un incompréhensible désordre chronologique, comportaient des surprises alléchantes pour les fans ardents et autres collectionneurs (tels « Black Sabbath Volume 4 », ou « Technical Ecstasy »), ce « Anno Domini » très attendu depuis des années, et plus concrètement depuis des mois d’annonce, s’est révélé décevant sur ce point.
Mais en terme de traitement de son – pardon !!!
​Point de débat sur notre titre d’article – et rien de misérable ici : ''Annus Mirabilis'' signifie ''année de merveilles'' ou ''année des miracles'' en latin – de quoi résumer à juste titre le contenu de ce « Anno Domini », élégant coffret qui tient son nom d’une chanson de « Tyr », et qui assure une partie de ses promesses, au détriment de choses plus fantasmées chez les irréductibles dont nous assumons faire partie.
Pour traiter une telle actualité, exceptionnelle, nous avons pu nous entretenir avec l’homme en question – Tony Martin, véritable gentleman tant décrié de son temps, mais aujourd’hui réévalué comme le véritable sauveur d’une situation difficile...
 

Quelle a été ta toute première réaction lorsque tu as été contacté pour cette sortie très spéciale ?
Tony Martin :
Eh bien ça a été une combinaison de bonheur et de tristesse parce qu’ils ne savaient pas vraiment s’ils pourraient parvenir à leurs fins et voir ce projet aboutir... Il y a à peu près un an ils m’ont appelé pour m’annoncer « c’est vraiment très compliqué, on ne va pas y arriver ». Et j’ai bien cru que ça n’allait pas le faire. Mais il y sont parvenus – et aujourd’hui, de pouvoir le tenir entre mes mains, c’est fantastique ! Je suis très très heureux et excité à son sujet !

Qui a appelé en premier ? Tony, le management ou la maison de disques ?
Eh bien un peu de chacun en réalité : ça a pris tellement de temps – en 25 ans, de nombreuses parties ont émis des souhaits et des suggestions, « ça serait cool de faire ci, ça serait cool de faire ça ! ». Mais des politiques internes liées aux groupes ont une tendance à mettre un terme à de nombreux projets : il y a bien trop de personnes investies et décisionnaires qui s’en mêlent et c’est bien trop complexe de faire en sorte que ces gens-là se mettent au diapason, signent des contrats, et autorisent des accords entre eux. Cela a donc représenté un très long processus au bout d’une très longue période – et tout n’est donc pas venu d’un seul coup de fil mais bien de plusieurs intentions.

Ok... j’imagine en effet qu’il a dû y avoir de grosses réticences en provenance d’un certain camp que l’on ne nommera pas, et qui a certainement tout mis en œuvre pour que cette collection ne voie pas le jour...
Eh bien, c’est à peu près ça oui... Par exemple, nous voulions inclure un paquet de bonus et de matériel inédit, mais on nous a répondu que cela ne serait pas possible, parce que cela représenterait alors un tout nouvel enregistrement sous le nom de BLACK SABBATH, et nous ne serions par conséquent pas autorisés à diffuser quoi que ce soit de nouveau sous ce nom-là. Même si c’est historique et que cela remonte à des années et des années, cela était ainsi considéré comme un nouvel enregistrement. Il a donc fallu passer par tous ces cheminements politiques...

Cela doit s’apparenter à une sorte de validation pour toi d’avoir enfin un coffret complet réalisé spécialement autour de TON époque, non ?
Oh oui certainement ! Mais la validation la plus précieuse vient avant tout de Tony Iommi, c’est lui qui a initié toute cette démarche. Ce n’était pas forcément le cas auparavant, mais aujourd’hui il le valide totalement et reconnaît le travail formidable que nous avons accompli ensemble... Et ça, venant de lui, c’était le plus important pour moi. Mais aussi venant des fans : ils voulaient vraiment qu’un tel projet aboutisse ; la maison de disques était aussi très intéressée. Tout le truc est vraiment fantastique dans son grand ensemble et cette box-set est une merveille !

Quoi qu'il en soit, à l'époque, les choses étaient plus difficiles : tu vivais ton présent dans BLACK SABBATH avec la menace constante d'être remplacé soit par Ozzy, soit par Dio. On le sait depuis, des manigances étaient fomentées dans l’ombre, pour une situation qui a alors dû te rendre assez... paranoïaque, n’est-ce pas ?
Ah ah ah ! Très très bon au passage ! (rires). Oui, oui... la première fois je n’avais vraiment rien vu venir, ça a été un choc, mais pour la deuxième, tu apprends à lire entre les lignes et à déceler là où les choses sont en train de changer autour de toi. Mais... je suis heureux. Je ne garde aucune amertume envers qui que ce soit, et c’est comme ça. Je comprends désormais bien mieux le music-business en vieillissant ; tout va bien avec ces histoires aujourd’hui et je peux même en sourire sans problème après toutes ces années. Oui, à l’époque c’était sans équivoque très stressant, mais désormais ça va.

On a l’impression que tu as pu digérer tous ces drames avec énormément de sagesse, non ?
Il y a bien des raisons à cela : chaque personne qui a été dans ce groupe, ou chaque personne qui a pu travailler autour de ce groupe, a chacune ses propres raisons – et cela peut être n’importe qui : du management, des membres du groupe. Chacune a pu avoir ses propres raisons pour que les choses se fassent ou non. Et oui, la politique interne à ce groupe est très compliquée. Ca a fini par rentrer dans l’ordre pour la réalisation de cette box ; chacun a fait du très bon travail.

Avec aujourd'hui un tel recul par rapport à cette époque, comment peut-on expliquer le manque de succès flagrant qu'a connu BLACK SABBATH pendant toutes ces années ? La question des line-ups incessants ? Les tendances musicales à la mode ? Une mauvaise gestion en interne ? La seule présence de Tony Iommi comme maitre absolu à bord ? Le music-business ? La cocaïne ?
On dirait que tu as tout simplement répondu à ta question ! (rires) C’est la combinaison de tout ça ! (rires). Il faut que tu te rappelles qu’à l’époque, BLACK SABBATH était plutôt démodé. On se dirigeait plutôt vers les années NIRVANA, NINE INCH NAILS, et même METALLICA sortait des choses incroyables ! Les kids s’intéressaient donc à d’autres choses à l’époque, et ça c’est un premier point. La maison de disques n’était pas vraiment non plus très encourageante. Aujourd’hui c’est différent : le label est complètement à fond derrière, mais à l’époque ce n’était vraiment pas le cas...

Il est évident de dire que Tony Iommi est le grand maître de son art, mais aussi l'âme, le cœur et le cerveau de BLACK SABBATH... et même peut-être un peu trop : à l'époque il n'avait peut-être pas assez de lucidité ni de recul pour produire ces albums, et gérer à la fois tout le merdier que vous traversiez alors, qu’il s’agisse des managers, des questions de droits, des valses de musiciens, de son divorce, de ses addictions, etc... Qu'en penses-tu ?
Hum... Je suppose... je comprends la question, mais honnêtement, lorsque tu travailles avec Tony Iommi, c’est quelqu’un de pourtant extrêmement concentré. Il sait exactement ce qu’il a à faire, et au long du chemin, plein de gens lui ont demandé des choses à changer... Et c’est exactement ce qu’ils ont essayé de faire avec « Forbidden », et cela n’a pas marché ainsi. Il faut donc à tout prix être capable de garder cette formule intacte – et Tony Iommi était vraiment bon à cela. Et quand tu es dans le groupe, tu dois sentir à quel point c’est super important qu’il sache aller dans telle direction ; il ne changera pas sa manière de travailler. Et des années plus tard, on voit bien à quel point le groupe est si populaire, bien plus qu’il ne l’a jamais été, et pour bien des raisons, de la réunion avec Ozzy et tout le reste. Alors oui, je crois qu’il a eu bien raison de rester fidèle à son savoir-faire et à son instinct...

Selon toi, et ton expérience, qu'est-ce qui fait qu’on est un bon leader de groupe ?
Eh bien... la patience ! (rires) Si tu dois avoir des gens qui travaillent pour toi, il vaut mieux garder précisément en tête ce pourquoi ils sont à tes côtés. Je me suis toujours dit qu’il n’y aurait aucun intérêt à ce que je copie quelqu’un d’autre : il faut que tu sois toi-même. Etre un leader de groupe, il faut que tu imposes une direction, et si tu n’es pas convaincant, les autres membres changeront de chemin et ne te verront pas comme quelqu’un d’important... Iommi, c’est aussi un mec sympa ; ce n’est pas qu’un excellent guitariste, c’est un super type, et il est très patient. Mais si tu fais quelque chose qui le contrarie, il te le fera bien comprendre !

Dirais-tu qu’il a été juste avec tous ses musiciens au fil des ans, compte tenu qu’à ses yeux, c’était BLACK SABBATH avant toute chose ?
Oui c’était en effet BLACK SABBATH la priorité absolue. Cela est correct. Mais on a encore discuté ensemble il y a de ça quelques semaines et il m’a dit « on aurait dû te donner davantage de temps et d’espace. On avait beaucoup trop d’attentes à ton sujet ». Ce que je lui ai dit, c’est qu’ils ont tous dix ans de plus que moi, mais surtout 25 ans d’expérience de plus que moi ! Lorsque tu es le petit nouveau, pour n’importe quel job, tu dois trouver tes marques et faire en sorte que cela fonctionne. Ils s’attendaient à ce que cela marche de suite avec moi. Mais là, aujourd’hui, il a reconnu que j’avais accompli un super travail, et je l’en ai remercié. Et j’en suis heureux.

C’est assez surprenant de constater que tous ces albums, qui ont été éclipsés par la vague grunge et alternative, génèrent désormais beaucoup plus l’attention et ont même acquis une sorte de statut culte, non ?
Oui, oui, c’est tout à fait juste. Et pas seulement de la part des gens qui étaient déjà là à l’époque… Mais cela fait déjà 25 ans et il y a plein de nouvelles personnes qui se mettent à chercher ces albums : il y a bien deux fois plus d’audience que nous sommes en train de toucher désormais. C’est formidable ! Les gamins d’aujourd’hui replongent dedans, les fans de l’époque replongent dedans – j’ai plein de gens qui me disent qu’ils étaient à fond dans l’ère Tony Martin lorsqu’ils avaient quinze ans – et 30 ou 35 ans plus tard ils me disent que c’était la période qu’ils ont préféré. Et c’est normal lorsque tu grandis avec : quand t’es un gamin ce sont tes débuts dans la musique et ça t’atteint. Alors oui, ça fait beaucoup de monde, mais aussi comme je l’ai dit, de la part de la maison de disques, des membres du groupe, tout le monde était à fond partant dans cette nouvelle aventure.

Comment qualifierais-tu ta contribution au son et à la culture de BLACK SABBATH qui définissent l’ère Tony Martin ?
Eh bien c’était différent, n’est-ce pas ? (rires) Il a fallu que je trouve une manière de faire encore que ce Tony Martin fonctionne – et la seule façon de faire était qu’il fallait que cela m’intéresse moi-même. Je ne pouvais pas vraiment rentrer dans le genre de messages que Geezer pouvait écrire pour Ozzy, ce qui correspondait à une génération précédente de la mienne, de la fin des 60's au début des 70's ; et les trucs de Ronnie, aussi brillants furent-ils, tous ces sujets d’heroic-fantasy – je ne pouvais pas me mettre à sa place et rentrer dans son esprit pour en faire la même chose. Alors j’ai plutôt choisi le chemin du gothique – des choses littéraires comme Frankenstein, Dracula et tout ce genre de choses. Et en Angleterre nous avons des auteurs comme Shakespeare, et plus personne ne parle anglais comme cela : c’est très ancien. Alors je me suis dit « ok : combines un univers gothique avec des textes aux tournures un peu désuètes et avec la musique de BLACK SABBATH » : oh ça marche ! C’est ainsi que ça a démarré, que ça a bien marché de mon côté et j’ai donc continué dans cette voie...

Quel est ton album préféré parmi les cinq que tu as enregistrés avec BLACK SABBATH ?
C’est une bonne question mais il m’est presque impossible d’y répondre car chacun de ces albums est lié à différentes personnes : imagines être dans un groupe avec Cozy Powell ! Waow ! (rires) Et donc là tu as « Headless Cross » et « Tyr », fantastique ! Mais ensuite tu bosses avec Geezer Butler ! Waow ! (rires) Et quel honneur c’est de travailler avec Geezer Butler ! Honnêtement chaque album est différent pour moi à cause de toutes ces personnes et de toutes ces chansons composées ensemble : tout change d’une personne à l’autre... Allons : quand j’étais dans le groupe, on a traversé quelque chose comme huit line-ups différents, batteurs et bassistes inclus... J’avoue adorer « Headless Cross » et « Tyr », « Cross Purposes » aussi, mais maintenant qu’ils ont remixé « Forbidden », je l’adore aussi maintenant ! Ce n’étais pas le cas à l’époque, mais maintenant oui je l’adore ! Il sonne tellement mieux.

Et justement, quelles étaient tes impressions autour de ce si polémique « Forbidden » à sa sortie ?
Je ne l’aimais pas vraiment. Cozy Powell ne l’aimait pas vraiment. Geoff Nichols ne l’aimait pas vraiment... Tony Iommi était bien davantage impliqué mais on se disait tous « oh vraiment ??? Je ne suis pas vraiment sûr comment tout cela fonctionne ! ». Et en effet. Mais je dois avouer qu’il y a des gens ici qui adorent « Forbidden » tel qu’il était ; et c’est ce que j’ai dit à Tony il y a quelques semaines : « est-ce que tu réalises qu’il y a quand même des gens qui adorent « Forbidden » !!! ». Mais désormais il sonne enfin comme un authentique album de BLACK SABBATH, avec davantage de guitares et de basse ; il a enfin évolué en un véritable album de BLACK SABBATH et il est enfin à sa place auprès des autres. Ca a été une ère très importante, on a accompli un sacré travail avec Tony Iommi, et les chansons sonnent vraiment d’enfer. Il apparaît enfin sous un nouveau jour et j’espère vraiment que les gens vont pouvoir l’apprécier ainsi.

As-tu pu participer un tant soit peu à la réalisation de ce coffret de rééditions – ou bien as-tu tout de même pu t’exprimer à propos de son contenu ?
Non, je ne suis plus dans le groupe à vrai dire ; je n’ai donc pas eu mon mot à dire. C’était le truc de Tony et ils m’ont juste appelé pour que j’aide à faire un peu de promotion à son sujet – et c’est pourquoi je te parle maintenant ! Et j’étais ravi de le faire ! Après tout, il s’agit de mon histoire dans le groupe mais aussi de mon histoire à moi. Je suis heureux de participer à sa promo ; mais puisque je ne suis plus dans le groupe, je n’ai rien eu à dire. On m’a demandé de la checker il y a bien six mois, dans ces eaux là... On m’a convoqué dans les studios de Tony Iommi et on m’a fait écouter toutes ces pistes – et j’ai trouvé ça brillant ! Ils m’ont demandé mon opinion, mais je n’ai eu aucun poids dans le processus de montage ou d’élaboration du coffret.

Les premiers indices de la possibilité d’une campagne de rééditions de l’époque Tony Martin remontent au moins à 2016. Ca a quand même pris au moins huit ans cette histoire !
Et fort probablement bien plus que cela. Les fans originels de l’ère Tony Martin demandent une telle box-set depuis bien plus longtemps ! Depuis le moment où ces albums n’ont plus été pressés ni distribués. J’avais même donné les miens, espérant pouvoir en ravoir avec un nouveau pressage, et ils ont stoppé net ! C’est la première fois que j’ai ces albums entre mes mains depuis 25 ans !!! Mais je comprends ce que tu veux dire...

Pour un large public, c’est une bénédiction de retrouver ces albums, à nouveau enfin disponibles pour tous ceux qui sont curieux de découvrir une toute autre facette de l’histoire de BLACK SABBATH. Mais pour nous, fans exigeants qui avons déjà tout, le contenu s’est avéré assez frustrant car il n’y a là absolument aucun véritable extra, aucun enregistrement live, rien du tout à part ces trois faces B en bonus...
Il devrait y avoir des choses à venir je crois... Mais là où ils ont voulu commencer, c’était bien trop compliqué de pouvoir tout rassembler. Ils se sont donc concentrés sur ces quatre albums – et peut-être que plus tard ils pourraient développer d’autres idées... et inclure bien d’autres choses que tu peux mentionner... des concerts et des choses comme ça. Mais ce que tu n’as pas, et ce peu importe même si tu possèdes les originaux, c’est ce nouveau son – et ça c’est incroyable. Absolument incroyable. Et le coffret ce n’est pas juste quatre albums : tu as aussi un poster dedans, un livret, un programme de tournée, et le contenu est magnifique. Je crois donc que c’est encore mieux que les versions originales, et je suis donc heureux de pouvoir le valider tel qu’il est aujourd’hui. Quand tu auras écouté les nouvelles versions, tu comprendras très bien de quoi je veux parler...

Oh je sais bien, le coffret tourne en boucle depuis que je l’ai reçu en promo il y a quelques semaines – ça oui, le son est absolument dément ! Mais nous sommes des fans vraiment hardcore du groupe, avec des attentes plutôt conséquentes autour de ce coffret attendu depuis des mois, et la frustration a été dans un premier temps à la hauteur du manque flagrant de contenu additionnel ou exceptionnel ici... à commencer par l’absence de l’officiel « Cross Purposes Live », sorti en VHS à l’époque, en 1995...
Comme je te l’ai expliqué plus tôt, les manigances politiques autour du groupe ont empêché tout cela. Et il faut que tu comprennes, les fans doivent comprendre, que tout n’est pas qu’une question de simples attentes : tu dois pouvoir le faire. Si les manœuvres politiques échouent, si les contrats ne peuvent pas être validés, cela n’arrivera pas. Il faut que tu nous pardonnes, autant que tu le peux, parce qu’on a travaillé pendant toutes ces années pour arriver à un résultat. Cela n’a pas été fait à la légère, ça n’a pas été emballé en deux temps trois mouvements : non ils ont bossé vraiment super dur pour sortir ce coffret. Et voici ce qui en est sorti. Et je crois fortement, d’après ce que l’on m’a dit, qu’il y en aurait davantage plus tard. Alors, appréciez ce que vous avez, et plus tard, nous verrons bien ce qu’il y aura de plus. J’ai des morceaux inédits que nous n’avons jamais publié : on pourrait en faire tout un album ! Mais est-ce que ça verra le jour à un moment ? (rires). Ca ça dépend de toutes ces personnes impliquées : est-ce que ces morceaux sortiront ? Ca c’est de la politique ! Ca ce n’est pas aux fans de l’exiger : ça c’est de la responsabilité du groupe de faire en sorte que ça marche bordel ! Et crois-moi à nouveau, en coulisse il y a des gens qui bossent réellement dur là-dessus... Le résultat est brillant et c’est une toute nouvelle version de tout ce que l’on a pu accomplir par le passé. Essayez donc d’apprécier cela, et en cours de chemin, j’espère bien que nous serons capables de rajouter d’autres choses.

Je n’ai aucun doute là-dessus mais les fans étaient en droit d’attendre une réponse nourrie quant à la déception de ne rien trouver d’autre que les albums, c’était tout à fait légitime, surtout au regard d’autres coffrets similaires aux contenus plus copieux, rien que dans cette collection opérée par BMG...
Crois moi, si on avait pu, on l’aurait fait… Mais quand c’est un « non », c’est un « non » : quand tu as un Ozzy ou une Sharon, ou une Wendy ou d’autres personnes qui ne veulent pas que quelque chose se passe en terme de contrats, tu as bien envie de leur demander pourquoi ils ne veulent pas que ça se fasse... Je n’arrive pas à comprendre de quoi ils s’inquiètent. L’ère Tony Martin est tellement différente de ce qu’ils ont pu faire ailleurs ; pour moi ça s’apparente un tout petit peu à de la jalousie ; parce qu’ils ont leur propre nom à protéger, leur propre marque ou leur propre son à protéger... Je peux comprendre en fait. Je ne suis pas aveugle par rapport à tout ce qu’il se passe, mais c’est tellement dur d’obtenir l’agrément de tout le monde… Mais on ne peut rien y faire. On fait de notre mieux pour satisfaire les fans... j’ai même un enregistrement d’Eddie Van Halen… mais même ça ils ne veulent pas le sortir... Il n’y a pas à avoir peur pourtant ! Mais avec la gestion du patrimoine Van Halen, maintenant qu’il n’est plus là, tout est plus compliqué encore. Voudront-ils le sortir un jour ? Peut-être... peut-être... A vrai dire on est aussi frustrés que tu peux l’être...

L’ironie de tout ça c’est que depuis le premier jour, la trajectoire de BLACK SABBATH a toujours été immensément complexe avec toutes ces histoires de malversations, de managements pourris, d’avocats, de comptables, de labels... et ça continue encore visiblement.
Et j’en plaisante moi-même. Et même Tony Iommi en plaisante à la longue ! Certains aspects de BLACK SABBATH s’apparentent à Spinal Tap ! C’en est même drôle ! Tu te rappelles dans le film ce qu’ils avaient fait sur scène avec ce décor à la Stonehenge – tout ça c’était en rapport avec BLACK SABBATH. Quant aux managers... Quand j’étais dans le groupe, il y avait cinq managers !!! J’en avais un, Geezer Butler avait un manager, Tony Iommi avait trois managers ! C’était complètement aberrant, voire ubuesque... Mais au final tu as un groupe tellement magique avec... combien d’albums, dix-sept ?

Non, dix-neuf au compteur !
Dix-neuf c’est ça. Mais le groupe sort encore des trucs ! Ca reste quand même un sacré nom avec une sacrée histoire… Je suis tellement honoré d’en avoir été une petite partie, d’avoir pu prendre part à un tel voyage... Et BLACK SABBATH représente quand même la raison pour laquelle le monde entier a pu découvrir ma voix. Et les gens peuvent désormais connaître le son de la voix de Tony Martin ! Personne ne savait qui j’étais avant que je ne rejoigne BLACK SABBATH : je dois tellement de choses à ce groupe... Et je sais pour sûr, depuis les coulisses, à quel point des gens travaillent dur pour que les choses se concrétisent – et c’est déjà un succès rien que de pouvoir le faire. Rien que d’avoir pu réussir à sortir ce coffret ! Et ça aurait franchement pu être pire ! Iommi a été tellement bon — il me disait d’aller de l’avant comme un soldat (« to soldier on », NDLR) ; en Angleterre c’est ce que l’on dit pour continuer à aller de l’avant face à l’adversité… Et je suis à nouveau heureux de pouvoir contribuer à cette promotion, cela ramène toute cette ère à une place bien plus heureuse...


Vous avez participé ensemble, Tony Iommi et toi, à un chat promo diffusé juste avant la sortie du coffret : comment cela s’est-il passé ? Avez-vous eu ce genre de conversation où vous auriez peut-être pu exprimer certaines frustrations que tu pouvais avoir ressenti à l’époque, et lui a-t-il reconnu cette situation inconfortable ?
Nous avons échangé tout au long du chemin – ce n’était pas la première fois... et il y même eu de nombreuses autres fois au fil des ans... Mais il est tellement occupé ; il travaille sans cesse sur de nouvelles choses ! L’année dernière il a collaboré au Black Sabbath Ballet ! Là il travaille sur son nouvel album, je ne sais pas trop quoi... Et ce n’est pas trop possible de discuter avec lui tous les jours ; mais oui, nous avons déjà eu des conversations sérieuses et oui iles avec moi – il aime ce que j’ai pu réaliser, et il pense que j’ai fait du bon travail. J’ai fait de mon mieux.

Au final, quels sont les moments dont tu es le plus fier lors de ton séjour chez BLACK SABBATH ?
Eh bien rien que d’avoir été dans ce groupe ça en fait déjà un ! Si tu peux imaginer quelqu’un qui vient vers toi et qui t’annonce : « ok, tu vas être le prochain chanteur de BLACK SABBATH ». Fucking hell ! Ca c’est une première chose : tu peux déjà être fier de ça ! Et puis il y a eu quelques moments, notamment après quelques concerts, où Tony Iommi est venu vers nous en nous disant « quel putain de bon groupe !!! » – ça c’est juste super agréable à entendre ! Une autre fois il est venu me dire : « maintenant que tu fais partie du groupe, chantes comme tu as envie de chanter ». Et ça ça a été génial parce que ça m’a donné bien davantage de confiance en moi et dans ce que j’avais à faire. Et ensuite la fierté d’avoir fait partie d’un groupe de camarades, avec Cozy Powell, Geezer Butler, Eddie Van Halen, Brian May, Ian Gillan... on se connaît tous bien maintenant...

Avec lesquels te sentais-tu le plus proche d’ailleurs ?
Mon meilleur ami dans le groupe c’était Geoff Nichols, le clavier. On était très proches et on habitait assez près l’un de l’autre – mais il est décédé maintenant... Sa disparition m’a beaucoup attristé, mais oui, il était mon meilleur pote… mais je dirais aussi Tony... Et Cozy, avec qui j’ai bossé pendant quelques années tout de même, au sein de son propre groupe Cozy Powell’s HAMMER... et puis Brian May a aussi joué sur mon album solo : ça a vraiment été un honneur de pouvoir travailler avec tous ces gens !

Avais-tu ton mot à dire en tournée sur les chansons choisies pour les set-lists des concerts ?
Un tout petit peu. Pour être honnête, tout dépendait avant tout des morceaux liés aux albums qui venaient de sortir, et ça c’était évidemment la priorité ; mais en fonction, ils pouvaient équilibrer avec quelques vieux morceaux... (rires) : mais je me rappelle avoir fait une petits boulette au tout début en leur disant que je pouvais tout chanter – waow : ça c’était une erreur parce qu’ils ont commencé à me proposer plein de très vieux titres obscurs des tout débuts et qu’ils n’avaient jamais joués auparavant ; mais heureusement j’avais le genre de voix qui pouvait s’adapter aux timbres et aux styles des autres chanteurs précédents – et ainsi faire de mon mieux pour faire passer l’exercice ! Mais c’était quand même du boulot !

Pourrait-il y avoir un avenir pour toi et Tony, à nouveau ?
On en parlé, je lui ai dit que s’il avait besoin de moi, qu’il me le fasse savoir, et il avait l’air ok avec l’idée. Mais je crois bien que les années de tournées de Tony Iommi sont bien derrière lui désormais ; et je ne peux pas l’imaginer repartir sur les routes comme avant. Cependant il pourrait très bien faire un ou deux concerts quelque part... et il y a déjà des discussions où il pourrait revenir avec Ozzy et Geezer... Mais ce qui est sûr, c’est que s’il veut que j’écrive quelque-chose ou que je chante quelque-chose je serais intéressé. On verra bien.

Et pour terminer, quels sont tes projets dans un avenir proche ?
Eh bien ce n’est pas encore terminé... il y a environ deux ans j’avais sorti mon troisième album solo, « Thorns », et je n’en ai pas encore terminé avec lui puisque la COVID est arrivée entre temps : ça nous a bien distrait et ensuite les trucs avec BLACK SABBATH sont arrivés et ça m’a dévié de mes occupations d’alors. On devrait pouvoir le sortie en vinyle ; et ensuite j’ai accumulé pas mal de chansons pour en faire la suite, « Thorns II ». Et puis j’ai bossé avec énormément de gens et de projets : ma carrière après BLACK SABBATH s’est surtout tenue dans des studios... et j’en suis très heureux – écrire et enregistrer. Je crois que ma voix apparaît aujourd’hui sur quelque-chose comme 89 albums ou projets... ce qui est très bien pour moi ! J’ai aujourd’hui la chance de pouvoir choisir ce que je veux faire – et je ne me plie pas à tout ce que l’on me propose. Je prends mon temps et me fie à ce qui est bon pour Tony Martin !

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
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