Il y a des moments qu’il ne faut pas louper, des moments où l’on sait déjà à l’avance qu’ils vont être exaltants. Et la vie est bien trop courte pour passer à côté. Ainsi, lorsque l’on sait que la dernière date de la tournée "Karma à travers la France" de MYRATH passe par la jolie salle de L’Empreinte à Savigny-Le-Temple, on n’hésite pas une seconde à traverser la région parisienne d’ouest en est pour rallier le lieu des festivités. Et surtout, on s’y prend tôt. Car on connait bien les joyeusetés que nous réserve le trafic routier, un vendredi après-midi, date de départ des vacances scolaires qui plus est. Alors, on s’arme de patience et d’une playlist conséquente pour nous tenir compagnie lors des deux heures et des brouettes que va durer le trajet. C’est quand même plus sympathique d’entendre de la musique que les bruits des moteurs des véhicules cul à cul dans le paysage désolant de l’enchevêtrement du réseau francilien. Et ça permet de réviser ses classiques en vue de la soirée qui nous attend.
C’est avec une immense joie qui nous avons accueilli l’annonce de la première partie. Ce sont en effet de vieilles connaissances qui sont en charge de chauffer le public. Les suivant depuis leurs débuts (live-report de leur release-party en 2018 ici), nous savons que les musiciens de DISCONNECTED sont des valeurs sûres pour retourner une salle en une fraction de seconde. Carrière débutée en fanfare avec la sortie d’un premier album, « White Colossus », en 2018, suivi d’une tournée en ouverture de TREMONTI, le projet d’Adrian Martinot (guitariste et compositeur) s’est mué très rapidement en véritable groupe. Peu de changement de personnel, si ce n’est l’arrivée d’Amaury Pastorelli derrière les fûts en remplacement de Jelly Cardarelli. On retrouve donc, en sus d’Adrian, les excellents Florian Mérindol (guitare) et Romain Laure (basse), ainsi que le charismatique Ivan Pavlakovic (chant), véritable boule d’énergie, toujours aussi intenable et déchaîné, qui tient son rôle de frontman avec maestria. Dès le premier morceau, "Life Will Always Find Its Way" issu du deuxième album, « We Are Disconnected » (2022), le public se prend une monstrueuse mandale dans les chicots. Et ça fonctionne ! Ceux qui ne connaissaient pas encore le groupe se laissent embarquer par le metal moderne catchy à tendance djent du groupe, et ceux qui les avaient vus précédemment en redemandent sans se faire prier. Seul léger bémol, les musiciens sont bien trop éclairés par derrière et donc souvent plongés dans l’ombre. Il aurait été plus juste d’utiliser les lumières de façade (L’Empreinte, si tu nous lis...).
Ivan s’y entend comme pas deux pour remuer l’auditoire et la chaleur dans la salle monte de plusieurs degrés instantanément. On reste dans le même ton, puissant et agressif avec le syncopé "For All Our Sakes". A noter que la relève à la batterie est parfaitement assurée par Amaury, qui maîtrise la technique et la frappe nécessaires pour cette musique exigeante. Petite pause douceur avec la très mélodique "I Fall Again". Enfin tout est relatif, car avec DISCONNECTED, la caresse a vite fait de se transformer en baffe ! Ce que va se charger de nous démontrer la suite avec "Blind Faith", le génial "Unstoppable" et le progressif "A World Of Futile Pain". Les musiciens ne se ménagent pas une seconde, malgré la fatigue qui s’est accumulée lors de cette tournée chargée et condensée sur une huitaine de jours. On les voit se déboiter les cervicales, sauter, parcourir la scène de long en large, haranguer la foule, tout en assurant une parfaite maîtrise de leurs instruments respectifs. Dernier cadeau offert au public, une toute nouvelle chanson, "We Carry On", agréable mélange de mélodicité et de hargne, qui se charge de mettre K.O. les éventuelles dernières résistances. Avec une joie communicative et une émotion non-dissimulée, les membres quittent la scène sous les applaudissements fournis d’un public conquis en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire. C’est certain, DISCONNECTED a encore gagné des points supplémentaires ce soir et on espère les revoir très vite sur scène, à l’occasion, qui sait, de la sortie d’un troisième album que nous accueillerons avec toujours autant de plaisir. Revenez vite, les gars !
Quelques minutes de patience qui permettent de reprendre son souffle avant l’arrivée très attendue de MYRATH. Le groupe franco-tunisien joue en effet à guichets fermés ce soir, comme sur la majorité de cette tournée. Après quelques dates en festival, voici enfin l’occasion de voir en live comment évoluent les nouvelles compositions issues de « Karma », sorti en début d’année. Décor sobre : le backdrop est toujours aux couleurs de l’album précédent, seuls la batterie et les claviers sont posés sur de petites estrades, et le sol a été recouvert de tapis colorés et chatoyants. Pas de danseuse sur cette date, mais on ne s’en offusque pas, la musique et les cinq artistes se suffisent à eux-mêmes et n’ont nullement besoin d’artifice supplémentaire pour que l’on s’immerge dans le voyage sonore.
Après une courte intro, Morgan Berthet (batterie) est le premier à rentrer en scène, suivi d’Anis Jouini (basse), de Kévin Codfert (claviers, chœurs) et de Malek Ben Arbia (guitare), avant que n’arrive le génial Zaher Zorgati (chant), qui ce soir, va nous faire une démonstration de son talent de chanteur, mais aussi de son irrésisitible sens de l’humour et de ses qualités indéniables de frontman. Ils entament fort avec "Into The Light", morceau dynamique et idéal pour démarrer un set. Puis ils enchaînent directement avec deux extraits de l’avant-dernier album, « Shehili » (2019), "Born To Survive" et "Dance", qui porte si bien son nom. Si la température était déjà élevée pour DISCONNECTED, elle monte encore de plusieurs degrés dans la salle pleine à craquer, qui se transforme alors rapidement en hammam. On reste dans le ton. La chaleur de cette musique est ainsi dans son élément.
Zaher Zorgati prend une première fois la parole pour nous dire à quel point ils sont heureux de l’accueil qui leur a été réservé sur cette tournée et de cette dernière date "sold-out" en région parisienne. « Nous sommes un groupe Tunisien, ou plutôt, ex-Tunisien car lui (Ndj : Morgan) nous a rejoint il y a plus de dix ans et lui (Ndj : Kévin), est notre producteur manager, réceptionniste, et tout ce que vous voulez, mais aussi claviériste depuis trois ans maintenant. Nous sommes fiers d’être un groupe franco-tunisien ! ». Mais aussi à quel point ils sont crevés, pointant notamment Morgan Berthet, alors malade, mais qui assure le show sans faiblir. « Donnez-vous à fond, pas pour moi, pas pour nous autres, mais pour lui, car c’est un cadavre derrière la batterie. Il est extrêmement malade aujourd’hui, mais il a tenu bon et a décidé de jouer quand même », dixit Zaher. Morgan nous montre la voie à suivre pour la suivante, "Child Of Prophecy", sur l’intro de laquelle le public illumine la scène à l’aide de centaines de portables dégainés pour l’occasion. "To The Stars" offre l’occasion aux spectateurs de donner de la voix sur ses « Ohohohohohohoh » en essayant de rester dans le ton, sous les yeux aiguisés de Kévin et Zaher. Il semblerait qu’on ne s’en sorte pas trop mal, à voir les sourires des musiciens et le « Bravo Savigny ! » que nous envoie le frontman. "Tales Of The Sand" ramène la chaleur brulante du désert, avec son rythme sensuel. Le son est excellent et le jeu de lumière, cette fois, met vraiment les artistes en valeur. Et si fatigue il y a, l’énergie déployée est telle qu’elle booste autant le public que les musiciens eux-mêmes.
Zaher Zorgati ne tient pas en place, danse, taquine ses coéquipiers, joue avec les spectateurs, et ce, à de multiples reprises. Un coup, c’est un fan au milieu de la fosse qui réclame lui aussi une bouteille d’eau à qui il dit « Ta gueule ! Nan, j’plaisante bien sûr ! » en rigolant, puis il lui offrira une bouteille plus tard. A un autre moment, il interrompt son laïus pour se moquer de Kévin Codfert, descendu de sa plateforme pour se caler un moment devant le ventilateur : « Qu’est-ce qu’il fait là ? On dirait le Coq Sportif. Bientôt il va s’envoler ! », le tout dans un grand éclat de rire. Anis Jouini en prend aussi pour son grade : « Ça vous a plu le solo d’Anis à la basse ? Avec sa teinture ratée, rouge, noire et jaune, on dirait le drapeau de la Belgique ! » Puis vient plus tard le tour de Morgan Berthet devant qui il fait tournoyer une serviette afin de lui servir de ventilateur, et tenter de rafraîchir le batteur blafard, les traits tirés. Non pas que ce dernier ait les joues bien plus colorées en temps ordinaire, mais lorsqu’on le connait, on sent bien que cette fois-ci, il est en souffrance. Cependant, cela ne se ressent nullement sur son jeu. Il donne tout ce qu’il peut et cogne ses fûts avec la même puissance que d’habitude. Il trouvera même le courage d’interpréter son superbe solo de batterie, "Jasmin", en intro de "Believer". Alors, ce soir, un énorme big-up à Morgan Berthet pour son professionnalisme et son incroyable détermination sans faille !
La set-list s’enchaîne. MYRATH pioche aussi bien dans son passé (le génialement heavy "Merciless Times") que dans ses morceaux plus récents ("Words Are Failing" et son irrésistible refrain, "Heroes", "Monster In My Closet", "Let It Go")... Que des tubes en puissance. "Candles Cry" donne l’occasion à l’homme derrière son clavier pivotant, Kévin Codfert, alias « Le Coq Sportif », de faire preuve de son talent de chanteur, en plus d’être un exceptionnel pianiste. Nous avons même droit à un bonus qui a été rajouté sur la set-list en dernière minute : "No Holding Back" qui voit la fosse sauter en rythme, comme si nous étions tous montés sur ressort. Et c’est bien le cas ce soir, tant la musique du groupe est entraînante, dansante, groovy à souhait, colorée et éminemment chaleureuse. De la joie, des sourires, de la lumière dans le cœur, et une positivité à toute épreuve. Première sortie de scène avant que le groupe ne revienne pour les excellents "Endure The Silence" et "Beyond The Stars", sur lesquels Kévin Codfert, Anis Jouini et Malek Ben Arbia brillent à tour de rôle. Ce dernier, bien que discret, n’en régale pas moins son auditoire avec son toucher unique. Il restitue à merveille les soli magiques des albums studio. Dernier rappel, dernier morceau, et non des moindres : "Believer" est encore à ce jour le morceau le plus connu du répertoire de MYRATH. A cela, rien de surprenant tant cette chanson concentre à elle-seule toute la magie, l’énergie solaire et la puissance contagieuse du groupe. On y jette ses dernières forces, aussi bien dans la salle que sur scène. On savoure jusqu’à la dernière note, on chante jusqu’à s’en briser les cordes vocales, on danse jusqu’à en perdre le souffle. On vit, on exulte, on explose de ce bonheur communicatif. Il suffit de jeter un regard autour de soi pour voir les yeux briller de cette flamme particulière, que l’on ne retrouve que lors de ces moments de partage, quand on réalise que l’on vient de vivre une autre de ces parenthèses enchantées qui nous transportent dans un autre espace-temps.
Applaudissements, ovation généralisée, remerciements chaleureux de la part des musiciens qui n’hésitent pas à venir au contact du public serrer les mains tendues, photo souvenir, et dernier cliché avec toute l’équipe de la tournée, les membres de DISCONNECTED et MYRATH au grand complet. Vient alors le temps de faire le trajet retour, qui semble forcément moins long, la tête encore plongée dans les étoiles venant du désert.
Photos © Benjamin Delacoux | Portfolio