Il est formidable, Jean-Charles...
Mis dans la confidence de son projet d'écriture depuis plusieurs mois, j'étais, disons-le, secrètement admiratif.
Non seulement il voulait se frotter à l'oeuvre complète d'un de ces intouchables du rock - un demi-siècle de carrière au compteur -, mais il annonçait "cash" un périlleux exercice sans filet : la trame historique, factuelle, qui remonte presque au paléolithique du sonique, se mélangerait en totale subjectivité à ses propres souvenirs.
Bref, Jean-Charles s'attaquait à une chronique géante de la discographie d'Alice Cooper comme d'autres partent gravir l'Everest. Arrivé au sommet, vous n'êtes qu'à mi-chemin. Encore faut-il être capable de redescendre...
Et puis, au cours d'une soirée de décembre 2014, Jean-Charles m'appelle et nous discutons, comme d'habitude, à bâtons rompus...
J'ai bientôt fini l'écriture... Tu sais, gamin, quand je vivais à Biarritz, pour sortir d'un ennui mortel, j'avais acheté mon premier magazine de hard rock. C'était ta revue, Hard Force, le numéro 28 de septembre 1989 (il est comme ça, Jean-Charles, précis).
C'est de là que tout est parti, la musique, mon envie de partager avec d'autres cette passion, puis l'écriture...
(ma petite voix intérieure) Il est vache ! 25 ans, ça fait un bail...
- Si j'ai pu contribuer à ton épanouissement musical adolescent, Jean-Charles, ça me touche beaucoup...
(voix intérieure) Flatteur ! Mais pourquoi me parle-t-il de ce numéro 28 ? Ne serait-ce pas... Bon sang, évidemment ! Alice Cooper en couverture et un titre si spirituellement choisi pour la sortie de son album "Trash" : "Alice au pays des poubelles"... Suite assez bas-de-gamme, j'avoue, de calembours éculés dont nous avions alors le secret.
Me reviennent en mémoire "Cooper sur la ville" et autre "Cooper de tête"...
Me reviennent en mémoire bien d'autres choses aussi...
Flash
Je suis dans la suite d'un hôtel parisien...
En face de moi, assis dans un confortable fauteuil d'époque, un homme dans la quarantaine, mais je ne saurais lui donner d'âge, en fait. Le visage fin, presque maigre, marqué par l'expérience, les expériences, certaines qui auraient pu lui être fatales comme l'alcool, me dira-t-il plus tard.
Après une poignée de main un peu intimidée - j'ai démarré trois ans auparavant dans le métier, je cherche encore mes marques - je rencontre pour la première fois Alice Cooper. Ou peut-être Vincent Furnier ? Je ne sais pas...
Il me sourit ! ALICE COOPER SOURIT !
C'est drôle de le voir sans maquillage... Une impression identique qui se produira avec le mime Marceau ou encore Gene Simmons et Paul Stanley de KISS dans les mêmes années. Au-delà de l'aura naturelle d'une star, la part de mystère supplémentaire qui se dégage d'un artiste habituellement dissimulé derrière un masque ou une autre identité...
Nous sommes au printemps 1988 à la sortie de "Raise Your Fist and Yell"...
D'aucuns diront que ce disque est anecdotique, mais peu importe, la période est symbolique et intéressante : Alice a connu sa traversée du désert, mais depuis "Constrictor", il revient, sobre d'abord, et avec une sorte de sagesse, de force tranquille... Lui dira... "sournoisement" ("Je suis plus vicieux que le diable")... Ses albums d'alors sont autant de prétextes à des concerts spectaculaires pour dérouler des standards historiques (pour ma part, le festival de Reading en tête d'affiche en 1987 reste un summum), mais ils préfigurent aussi sa prochaine réhabilitation dans les charts, en 1989, avec "Trash" justement. Annonce d'un nouveau départ, d'une deuxième carrière et de stature institutionnelle, dirons-nous.
Peu réalisent aujourd'hui à quel point Alice Cooper a marqué l'histoire. Précurseur de scénographies pour des générations entières de futurs-apprentis morbides du death ou du black metal, dans la droite tradition grand-guignolesque, influence directe sur des artistes qui lui doivent (presque) tout comme Rob Zombie ou Marilyn Manson, il a allié le visuel à la musique en un dosage malin.
"Je préférerais encore ouvrir un McDo que de jouer un jour sans maquillage, sans effet ni décor", avait-il confié à HARD FORCE. Façon un peu réductrice de reléguer sa musique à de l'accessoire, lui qui a été un avant-gardiste du hard rock des 70s. Ce n'est pas pour rien si MÖTLEY CRÜE l'ont invité sur leur récente tournée d'adieu, eux qui, à leurs débuts, ont puisé "à-go-go" dans toute la panoplie d'Alice. Et c'est là que l'impressionnante entreprise à laquelle s'est attelé Jean-Charles prend tout son sens. Redécouvrir l'ensemble d'une discographie dans sa progression, avec ses hauts, ses bas, dont des pans entiers restent méconnus, rendre hommage aux hits, bien sûr, mais aussi aux obscurités, mettre en perspective... Il me reste à aller caresser, non sans une certaine nostalgie, et sans me couper, le gant de Freddy Krueger qu'Alice nous avait un jour offert et de remercier Jean-Charles pour avoir réveillé le souvenir de ces premières rencontres.
Mais ça, ce ne sont qu'anecdotes et petit bout de la lorgnette...
Place à présent à un impressionnant décryptage minutieux et inédit de l'œuvre d'Alice Cooper, comme vous ne l'avez jamais lu !
"Remember The Coop'", une mine d'or absolument indispensable pour tout fan de l'artiste et un manuel pour celui ou celle qui n'a jamais pris conscience à quel point cet Alice Cooper était une figure essentielle de la musique anglo-saxonne.
Vous pouvez retrouver Jean-Charles Desgroux sur son blog HARD FORCE : http://www.hardforce.fr/blogger/jean-charles-desgroux
"Remember The Coop'"
de Jean-Charles Desgroux
Editions "Le mot et le reste".