
Ca y est, ils sont repartis. Ils ont gâté la France pendant quasiment deux semaines, alors que nous étions en pleine tourmente. Ils ont pansé nos coeurs et séché nos larmes, remplissant nos Zénith de leur rock 'n’ roll si chaleureux et généreux. Lille, Strasbourg, Lyon, Montpellier, Bordeaux, Toulouse, Grenoble et bien sûr Paris dans la nouvelle AccordHotel Arena (POPB), la grande salle de spectacle enfin rouverte et qui fut inaugurée jadis par le même groupe, un certain 29 février 1984 - une première historique.
SCORPIONS. Le quintette allemand a toujours su gagner le coeur des Français, particulièrement depuis cette même année 1984 où le groupe embrasa des couples avec leur méga-tube "Still Loving You", un "slow" comme on disait alors, qui a certainement généré une pointe de natalité explicite neuf mois après avoir squatté la deuxième place du Top 50. Un baby-boom ? Sûrement, le groupe ayant comptabilisé plus d’un million de ventes de 45 tours, le plus gros score des Allemands en France, LE groupe de l’année sur lequel se sont galochés autant de boutonneux, hardos au coeur tendre ou simples ados saisissant le moment en pleine, euh, boum.
Bref.
Entre SCORPIONS et la France, c’est donc une grande histoire : outre le fait d’avoir eu les honneurs de nombre de passages TV (plus ou moins glorieux, nous ne reviendrons pas là-dessus…), le groupe n’a jamais délaissé notre hexagone depuis 1976 : d’innombrables Olympia, Bercy ou Zénith, même lorsque le groupe était artistiquement au creux de la vague à partir des années 90 jusqu’au récent sursaut. On s’est d’ailleurs même laissé prendre lorsqu’ils annoncèrent leur retraite : la technique marketing pour susciter l’intérêt, comme chez JUDAS PRIEST, a parfaitement fonctionné. Tout le monde a donc voulu revoir SCORPIONS, encore plus cet automne alors qu’ils revenaient fêter cette fois-ci leurs cinquante ans de carrière. Une carrière jalonnée d’albums monumentaux, d’autres sympathiques et quelques-uns anecdotiques, mais aussi une carrière joliment documentée grâce à de très nombreux DVD et enregistrements lives et autres évènements unplugged à travers le monde.

Pour couronner ces 50 années de longévité et cette influence incroyable qu’ils ont pu laisser de manière indélébile sur le monde du hard-rock et du heavy-metal, les Allemands ont fait coïncider cette dernière partie de tournée quelques semaines avant Noël pour lancer sur le marché une (première ?) campagne de rééditions prestigieuses, une collection de huit albums in-dis-pen-sa-bles, nouveaux mètres étalons en terme de packaging et de contenu.
Allons : jusqu’alors, nous devions nous contenter de simples CD, deuxième génération de rééditions après l’ère vinyl qui n’apportaient franchement rien de neuf hormis une B-side par-ci, une cahuète par-là. Nous étions en 2001, et à l’instar de toutes les sempiternelles campagnes de rééditions CD remastérisées de la plupart des ténors du hard-rock, nous étions inlassablement déçus, sur notre faim. Que ce soient les JUDAS PRIEST, IRON MAIDEN, AEROSMITH, OZZY OSBOURNE, KISS, SAXON, BON JOVI ou autres, ces nouvelles versions estampillées nouveau millénaire n’étaient vraiment pas à la hauteur de ce que les fans attendaient, niveau bonus et épais livrets gorgés de photos, de memorabilia ou d’anecdotes. Autant pouvions-nous applaudir et baver sur ces superbes éditions Deluxe de manière ponctuelle ou systématique (les quatre premiers DIO, les premiers BLACK SABBATH, MOTÖRHEAD, THIN LIZZY, RAINBOW, WHITESNAKE), ou encore ces coffrets somptueux, bourrés d’inédits et de surprises, venant compléter un back-catalogue fraichement repackagé, tel que cela a été réalisé pour AC/DC (« Backtracks », « Plug Me In » entre autres), KISS ou encore IRON MAIDEN avec leurs « Eddies’s Archives »...
Cette fois, ce sont donc six albums studio majeurs (« Taken By Force », « Lovedrive », « Animal Magnetism », « Blackout », « Love At First Sting » puis « Savage Amusement »), ainsi que les deux lives cultes (« Tokyo Tapes » et « World Wide Live ») de SCORPIONS qui ont été particulièrement soignés par une équipe d’amoureux du travail bien fait, de quoi satisfaire les fans les plus exigeants. Soit l’âge d’or de SCORPIONS entre 1978 et 1988, son époque la plus populaire, entre l’avènement du hard-rock anglais et européen à la fin des années 70 et la fin des années 80, décennie placée sous la suprématie absolue du heavy-metal.
On commence donc avec « Taken By Force » en 1977, déjà cinquième album du groupe mais dernier opus avec le guitariste hendrixien Uli Jon Roth. Une simple édition ici, mais comportant tout de même "Suspender Love", la B-side du 45-tours "He’s A Woman, She’s A Man", suivi de cinq démos des sessions de l’album, dont la maquette instrumentale "Blue Dream".
« Tokyo Tapes » en 1978 capture bien sûr les concerts japonais de Tokyo, au Sun Plaza les 24 et 27 avril 1978, lors de cette dernière tournée avec Roth. Double CD complet qui répare enfin l’ignominie de la première réédition, et qui se voit rehaussé de huit morceaux supplémentaires captés les mêmes soirs, pour la première fois révélés en complément de ce double album live légendaire, sorti à une époque où ce même type de disques (U.F.O, DEEP PURPLE, CHEAP TRICK tiens…) en disait long sur l’importance des groupes qui se permettaient de remplir des salles mythiques devant des fans acharnés du Pays du soleil levant...
« Lovedrive » en 1979 présente un album de transition, plus heavy, et voyant l’arrivée de Matthias Jabs à la guitare auprès du pionnier Rudolf Schenker (qui monta donc le groupe en… 1965 !). Double CD engoncé dans ce nouveau digipack à la pochette iconique "made by Hypgnosis", et son déluge de surprises : outre les versions démo de "‘Cause I Love You" et "Holiday", un DVD présente une quarantaine de minutes d’images de cette tournée de 1979, un « Live In Japan » de huit titres en qualité exceptionnelle, suivi d’un long reportage sur l’histoire de l’album narrée par le groupe.
Dans la foulée, on retrouve le tout aussi culte « Animal Magnetism » en 1980 qui marque un tournant et ouvre une nouvelle ère : toujours aussi heavy sans oublier les mélodies et leur sens pointu de l’accroche - les classiques s’enchainent, de la splendide "Lady Starlight" à "Animal Magnetism" en passant par l’énigmatique "The Zoo". Ici, une édition simple, comportant en sus le morceau "Hey You", une fois n’est pas coutume chanté par Schenker, ainsi que cinq démos.
On passe ensuite à l’énorme « Blackout » en 1982 qui voit le groupe se transformer en un monstre international, tout particulièrement aux U.S.A. où il devient de plus en plus présent, à son tour influencé par de nouvelles sonorités : toujours aussi tranchant, SCORPIONS emprunte des orientations plus accrocheuses encore et se tourne vers les radios, imposant des singles qui cartonnent, à l’instar de "No One Like You". Outre quatre démos qui viennent compléter le CD (entre autres ce "Running For The Plane" complètement jouissif et très 70s, ou encore "Sugar Man"). Un DVD est inséré dans le digipack, à savoir les images enfin officielles du fameux concert de Dortmund en décembre 1983 : Rock Pop In Concert, un festival mythique à la Westfalenhalle ayant eu lieu sur deux dates, tous les groupes de l’affiche s’y produisant chaque jour. Outre SCORPIONS, la crème du heavy-metal s’était donné rendez-vous en Allemagne cet hiver-là, tous professionnellement captés par les caméras de la ZDF : QUIET RIOT, DEF LEPPARD, KROKUS, M.S.G, JUDAS PRIEST, IRON MAIDEN (on retrouve 45 minutes de leur show sur le DVD « The Early Years »…), Ozzy Osbourne, etc. Tout cela est évidemment disponible en VHS bootlegs depuis trente ans, mais quel plaisir de les revoir ici en qualité exceptionnelle ! Ce document est suivi des deux clips de "No One Like You" et "Arizona", ainsi qu’un documentaire narratif sur la conception de « Blackout ».
« Love At First Sting » en 1984 marque le sommet absolu de la carrière des Allemands, avec un album auréolé de succès tout autour de la planète. Ici, l’édition est non pas double, mais triple ! Après l’album et ses hit-singles ("Still Loving You" donc, mais aussi, et surtout, "Rock You Like A Hurricane", déterminant aux US, ainsi que "Big City Nights"), on retrouve cinq titres démos. Un deuxième CD nous gâte avec un live onze titres tiré de la soirée au Madison Square Garden de New York le 7 juin 1984 : inédit, sauf pour les amateurs de pirates, mais au moins parfaitement restauré et donnant un aperçu unique d’une nuit folle aux Etats-Unis avant que l’album live officiel, plus décousu, ne sorte… Une troisième galette donc : un DVD rempli de vidéos promotionnelles, de shows TV et d’un nouveau docu sur la conception de l’album.
« World Wide Live » sort donc en 1986 et présente les 19 morceaux de cet album live tout aussi myhtique, récompensant tous les fans ayant assisté à la tournée mondiale de 1984-1985. Le disque a ainsi été enregistré un peu partout, entre la Californie (San Diego, Costa Mesa et Los Angeles), Cologne en Allemagne et donc Paris à Bercy en février 1984 ! Le DVD donne enfin l’occasion de revoir pour la première fois le documentaire « World Wide Live » paru à l’époque en cassette, soit une rencontre in vivo auprès du groupe, sur les planches ou en coulisses, une heure d’immersion avec SCORPIONS en tournée au milieu des années 80 - suivi des habituelles interviews du groupe autour de l’importance et de la conception de leur disque...
Enfin, « Savage Amusement » en 1988 marque la dernière étape de ces rééditions avec un album plus controversé, car radicalement plus américain et aseptisé, SCORPIONS perdant alors son intégrité et une partie de sa personnalité au profit de compromis discutables, et en terme de compositions et au niveau de la prod’ du pourtant omniprésent Dieter Derks. Outre les neuf morceaux de l’album, on bénéficie d’une nouvelle salve d’inédits, soit cinq nouvelles démos et une reprise du "I Can’t Explain" des WHO, enregistré pour les besoins de la compilation « Make A Difference » en 1989. Le DVD bonus voit le dépoussiérage du reportage d’époque sur la première tournée du groupe en Russie en 1988, alors que le Rideau de Fer n’était pas encore tombé. Images live à Leningrad (aujourd’hui St Petersburg…) et docu-vérité sur ces pionniers de l’Europe de l’Est ! 45 minutes d’images suivies de quatre vidéo-clips et du docu-interviews autour de « Savage Amusement » avec les si sympathiques Klaus Meine, Rudolff Schenker, Matthias Jabs et Herman Rarebell.
Voilà. Si cela ne vous donne toujours pas envie… On pourra toujours émettre quelques interrogations quant au choix de ne pas avoir inclus les quatre premiers albums des SCORPIONS : « Lonesome Crow » en 1972 et « Fly To The Rainbow » en 1974, mésestimés et très peu connus de leur public habituel, ainsi que les mythiques « In Trance » en 1975 (disponible en CD qu’en import japonais !) et « Virgin Killer », dont on pariera sans difficulté que la pochette originale ne pourra JAMAIS revoir le jour (une fillette de douze ans, nue et attachée avec des cordes…). Pourtant ces deux derniers opus sont eux aussi des classiques absolus du hard-rock 70s.
Quant aux disques post-90s, « Crazy World » de 1991 est récemment ressorti chez Universal au sein de leur collection Deluxe dans le même esprit que ces rééditions BMG, avec B-sides et DVD de bonne facture… Enfin, les albums suivants ne jouissent ni de la même aura, ni du même succès que leurs prédécesseurs, et les images d’archives potentiellement associées ne présentent peut-être pas le même intérêt historique ni la même magie que tous ces documents dévoilés pour l’immense plaisir des fanatiques exigeants. A suivre...
Même si les fans les plus maniaques regretteront de ne pas trouver ci et là quelques perles rares, cependant non incluses pour respecter au moins une charte qualitative irréprochable, tous les dingues du groupe qui n’avaient pas encore tout déniché se voient comblés et savent comment retrouver le sourire en cette fin d’année. Outre l’achat d’un beau filet garni de huit albums majeurs du patrimoine hard-rock de tous les temps, on prend un plaisir assez merveilleux à (re)découvrir la richesse musicale de ces disques qui n’ont pas pris une seule ride, gage des chefs-d’oeuvre...