Franchement, nous nous sommes fortement indignés du langage politico-langue de bois d’ANTHRAX suite à leur gestion calamiteuse de leurs va-et-vient pathétiques de chanteurs et guitaristes au cours des dernières années : on n’avait pas vu ça depuis BLACK SABBATH dans les années 80 et, pire, tous les line-up putassiers et incestueux qu’entretiennent tous les groupes de hair-metal qui continuent piteusement l’aventure, même à géométrie variable en s’échangeant tous les musiciens possibles de la scène. Concernant ANTHRAX et l’alternance John Bush / Joey Belladona / Dan Nelson (au chant sur les pistes fantômes d’une première version de « Worship Music »), puis re-John Bush et re-Belladonna, tout ça entre 2005 et 2011, nous espérions avoir quelques honnêtes éclaircissements sur l’épineux sujet dans les dernières pages de « I’m The Man », l’autobiographie de Scott Ian : que nenni ! Aussi intéressante fut-elle concernant de nombreux aspects de sa vie et surtout des débuts du groupe, l’impasse est totale sur ces choix de personnel pour le moins opportunistes et honteux.
Bon, fans d’ANTHRAX de la première heure, nous ne pouvions secrètement que nous réjouir du retour de Joey Belladonna : retour que nous avions été applaudir chez eux à New York pour un concert absolument dévastateur le 7 janvier 2006 au club Nokia Theater de Times Square… Malgré les valses catastrophiques mentionnées ci-dessus, le chanteur phare de la reformation, quart éminent du Big Four, restait aux yeux des fans l’indiscutable figure de proue d’ANTHRAX, malgré tout le respect et l’admiration que nous portons à John Bush. Estime qui a été largement récompensée par l’excellente teneur de leur album « Worship Music » en 2011.
Cinq ans plus tard, avec toujours plus de difficultés à surmonter, son successeur tant attendu peinait à arriver. Annoncé comme plus vigoureux et robuste que le précédent, nous étions aussi excités que légèrement dubitatifs, appréhendant une certaine déception tant la barre fut haute - si « Worship The Music » n’était évidemment pas un chef d’oeuvre comme « Among The Living », il en restait un disque plus qu’honorable pour le groupe au bout de trente ans de carrière, inversement digne par rapport à la façon dont Scott Ian et Charlie Benante géraient leur petit personnel.
L’intro victorieuse, entre bande son épique d’un « Game Of Thrones » ou « Gladiator », nous ramène aux violons de "Be All End All" sur « State Of Euphoria », et annonce un excellent crû. En effet, dès "You Gotta Believe", la veine thrash-metal à toute berzingue est respectée : aucun doute, même animée par des quinquagénaires, ANTHRAX est plus que vivant et puissant. Putain ces riffs ! L’énergie des années 80 est intacte, portée par une production au moins aussi rutilante que « Worship Music » qui avait été mis en boîte par le guitariste démissionnaire Rob Caggiano. Cette fois c’est Jay Ruston qui s’en est chargé, respectant à la lettre les codes précédents : en six minutes effrénées, "You Gotta Believe" alterne speederies effrontées, refrain belliqueux, parties de double grosse-caisse éreintante, mais aussi passage atmosphérique soutenu par la basse cotonneuse de Frank Bello, et aussi l’occasion de présenter leur nouveau guitariste - Jon Donais n’a pas eu pour l’instant l’occasion de démontrer ses talents de compositeur reconnus dans SHADOWS FALL, mais il brille tout au long du disque sur ses soli.
L’album est long, particulièrement dense et saturé d’informations : treize morceaux (dont deux plages instrumentales, "Breathing Out" étant comme son nom l’indique une heureuse minute de respiration lumineuse), dont un "Blood Eagle Wings" qui frôle les huit minutes.
A certains moments, on se surprend à comparer des passages qui évoquent leurs inspirations passées, notamment de l’ère John Bush : le riff et le mid-tempo de "Monster At The End" ne rappellent-ils pas le "Only" de « Sound Of White Noise » ??? Quel que soit le clin d’oeil, ce titre est particulièrement jouissif, tant dans sa dynamique que dans l’expression de Belladonna, plus mélodique que jamais, tout en sachant montrer des dents.
Mais lâchons sans tarder ce qui s’avère ici l’une des compositions les plus grandioses jamais élaborées par ANTHRAX : "Breathing Lightning" est d’une puissance épique redoutable, possédant un je-ne-sais-quoi de groove et d’esprit classic-rock. On sait depuis longtemps que Belladonna est un fan invétéré de rock FM, d’AOR et de groupes comme JOURNEY, STYX ou FOREIGNER : sans jamais lorgner dans ce territoire, le chanteur donne ici le meilleur de lui-même dans une veine émotionnelle et incroyablement mélodique. Bien-sûr le morceau est-il porté par des riffs et des parties de guitares d’une grande puissance, mais les harmonies offertes sont du très grand art, quelque chose d’aussi prestigieux et ambitieux complètement inédit dans toute leur discographie. Pour s’en remettre et garder en mémoire les échos de sa ligne mélodique, suit justement l’intermède "Breathing Out", sorte d’outro toute en clarté et en choeurs qui reprennent le thème.
Derrière "Suzerain" contraste avec sa force de frappe colossale venant nous rappeler tout de même qu’ANTHRAX reste bien ANTHRAX ! Aussi percutante soit-elle, cette chanson sous forme de déluges de toms et de riffs basiques est-elle aussi drivée par des mélodies encore une fois exceptionnelles. "Evil Twin", premier single en hommage aux attentats parisiens de janvier 2015, vient cogner dur et rappelle le groupe à l’orée des années 90 sur l’album « Persistence Of Time » - en soit un morceau de thrash très classique à leur sauce.
L’autre pièce maîtresse de « For All Kings » est donc ce morceau super-heavy de 7’53, lui aussi contrasté de différentes ambiances, certes alimentées de double grosse caisse et de riffs soutenus, sur lesquels s’enchaînent soli assez furieux, rappelant quelque part MEGADETH - peut-être "Blood Eagle Wings" est-il un poil trop long, mais l’exercice voulu en impose ainsi la longueur, d’autant que son outro est elle aussi toute apaisée et en atmosphères.
En toute logique, ça bastonne grave derrière : "Defend Avenge" rappelle aussi l’ère Bush sur « Stomp 442 » il y a vingt ans, tandis que "All Of Them Thieves" se montre elle aussi très hargneuse, dans le sillage du précédent album. La basse grasse et épaisse de Bello sur "This Battle Chose Us" rappelle à nouveau ce petit côté old-school, renforcé par les choeurs aboyé par Scott Ian, alors qu’à nouveau, le refrain se montre des plus accessibles, avec derrière ses petites interventions de guitares à la tierce façon vieux JUDAS PRIEST. Enfin, "Zero Tolerance" achève l’auditeur dans une déflagration de riffs typiques, dernière démonstration scolaire de suprématie totale dans le domaine du thrash qui tâche !
Un dernier mot concernant la superbe pochette, artwork dessiné, traditionnellement vieille école, ambiance vitraux d’église et statues des membres du groupe sculptés tels des saints bienveillants : l’assurance de présenter « For All Kings » pour ce qu’il est réellement, un vrai futur classique d’ANTHRAX.