Il y a trente ans pratiquement jour pour jour, Lars Ulrich, batteur de la jeune formation américaine de thrash metal METALLICA venait seul en éclaireur à Paris pour assurer la promotion de son troisième album :
"Master of Puppets".
Lars et le numéro 2 du fanzine HARD FORCE entre les mains.
HARD FORCE, alors fanzine, a déjà publié trois numéros qui se sont arrachés dans les réseaux parallèles.
Il faut dire que sa formule papier glacé, sa maquette soignée et ses articles de passionnés le prédestinent à devenir certainement plus gros que ce qu'il est.
Mais pour l'heure, dans une France qui n'est vraiment pas hard rock culturellement et encore moins metal, avec deux magazines pionniers en train de s'essouffler (ENFER MAGAZINE, METAL ATTACK) et un HARD ROCK MAGAZINE que beaucoup considèrent alors comme un joli album photo, HARD FORCE tire son épingle du jeu, interviewe et rencontre les grands (et les futurs grands) : en quelques mois, IRON MAIDEN, DIO, BLACK SABBATH, ANTHRAX, MÖTLEY CRÜE, JUDAS PRIEST, BON JOVI, RATT, MOTÖRHEAD pour n'en citer que quelques-uns accordent des entretiens à cette publication éditée pourtant dans une petite bourgade de Seine-et-Marne et tirée à quelques milliers d'exemplaires à peine.
Une appréciation qui ne se refuse pas ! Dédicace/autographe sur le numéro 2 du fanzine HARD FORCE.
A droite, une autre dédicace personnalisée sur le papier à en-tête de l'hôtel parisien Warwick.
Replacé dans le contexte de l'époque, même si cela peut vous paraître incroyable, METALLICA est encore un groupe en pleine émergence. Il a certes fait deux albums essentiels, joué en France en concert et en festival, et surtout a bénéficié des faveurs des ondes nationales grâce à Francis Zégut (Wango-Tango) et l'émission "Live" de Dominique Farran sur RTL. De plus, il jouit d'un capital-sympathie extraordinaire auprès des fans. Un groupe de puristes pour les puristes de heavy metal radical. Il reste malgré tout une énorme marge de progression : ici, METALLICA est toujours sur un label indépendant, tandis que sa stratégie à l'étranger a déjà porté ses fruits (signatures progressivement sur des majors dans le monde entier, prise en charge par un management à poigne, premiers résultats commerciaux dans les pays anglo-saxons...).
Cet album est annoncé comme celui du break obligatoire : une sorte de va-tout vers le succès.
C'est celui qui doit logiquement transformer l'essai en Europe de "Kill 'Em All" et "Ride The Lightning" et passer au stade supérieur.
Pour cela, de gros efforts ont été faits sur la production, le marketing et, surtout, en France, on parle pour la première fois d'un Zénith à la fin de l'été dans le cadre d'une tournée mondiale plus globale en tête d'affiche.
Lars Ulrich et notre fougueux reporter, Joël Coudrier.
Voici donc, en ce début 1986, la rencontre de notre jeune équipe avec Lars, dans des locaux en sous-sols, situés en bas des Champs-Elysées (au 18 de l'avenue pour être précis), ceux de l'antenne française du label Music For Nations, New Electric Way.
Nous sommes loin des futures interviews-fleuves que nous obtiendrons les années suivantes avec METALLICA, mais c'est un vrai flashback inédit qui suit pour la plupart d'entre vous.
Votre album est intitulé "Master of Puppets". Quelle en est la signification ?
Lars Ulrich : Les "puppets" , c'est la masse d'individus qui suit sans réfléchir. Les "masters", ce sont les gouvernants. Ceci s'applique dans tous les domaines. Il y a aussi une autre interprétation, qui résume la soumission et la dépendance d'un individu à l'égard de la drogue. Les "puppets", c'est aussi cette catégorie de public prête à tout pour imiter ses idoles. En bien ou en mal, ils s'en foutent, ne réfléchissent pas.
Il y en a qui feraient des folies pour METALLICA...
Lars Ulrich : C'est vrai que nous donnons tout à notre public et jouons pour lui... et pour nous aussi ! Mais en dehors de la scène, notre vie privée ne regarde que nous.
Aujourd'hui encore, il y a débat : s'agissait-il d'un 45 tours promotionnel ou d'une sortie officielle à tout petit tirage ?
En attendant, cette édition française est un pur collector, car il n'existe pas d'édition étrangère équivalente du titre "Master of Puppets".
Vous vous définissez comme des forcenés du boulot, mais trouves-tu personnellement encore du temps libre et que fais-tu dans ce cas ?
Lars Ulrich : L'année dernière [1985 NdlR], je n'en ai pas eu beaucoup. J'aime écouter de la musique... de tout. J'aime lire. Tiens, ce matin, une fois à Paris, j'ai couru chez le marchand de journaux acheter le journal, le Herald Tribune, pour ne pas le citer. C'est une habitude, l'envie de s'informer. J'adore la plongée sous-marine et vais en faire aux Bahamas. Le tennis me plaît aussi. Je joue depuis plus de dix ans et mon père est un professionnel. Il a même fait Roland-Garros, incroyable !
Même si vous apparaissez sur les photos dans la presse comme des farfelus, êtes-vous concernés par des sujets d'actualité comme l'apartheid en Afrique du Sud ou la famine en Ethiopie, par exemple ? Ou est ce incompatible avec votre heavy metal destructeur ?
Lars Ulrich : Non, pas du tout. Nous nous y intéressons, mais nous ne faisons pas partie du mouvement de Dio, par exemple, car METALLICA ne se sent pas impliqué [à cette époque, Ronnie James Dio a réuni autour de lui des dizaines de musiciens anglo-saxons pour son projet "Hear N' Aid", en faveur de l'aide contre la faim en Ethiopie NdlR). Nous trouvons qu'il y a plus de pub et de promo pour ces groupes que de grand coeur. Nous ne sommes pas contre, mais METALLICA préfère donner de l'argent directement à ceux qui en ont besoin.
Revenons spécifiquement à la musique. En tant que batteur, notes-tu une évolution dans ta discipline depuis les origines du genre heavy metal ?
Lars Ulrich : Il y a 10 ou 20 ans, le style des batteurs était trop carré. Je m'explique : tu n'avais pas le droit de t'écarter des sentiers battus dans le heavy metal. Pour le jazz, il y a 30 ans, c'était le même problème. Il y avait un véritable sectarisme. Maintenant, les batteurs s'expriment librement.
Quels sont justement tes maîtres ?
Lars Ulrich : Ian Paice (DEEP PURPLE), Phil Rudd (AC/DC), Clive Burr (IRON MAIDEN), Nicko McBrain (IRON MAIDEN).
Et ton groupe favori ?
Lars Ulrich : DEEP PURPLE !
Tu te souviens l'année dernière sur la tournée de DEEP PURPLE du Beethoven qui marquait la mesure en animation sur scène ? Pourquoi ne pas mettre une grosse bouteille de vodka sur scène qui coulerait au rythme de votre musique ?
Lars Ulrich : Excellente idée, mais il faudrait souvent en changer ! (rires)
Le rédaction de HARD FORCE reçoit alors les dates de la tournée à venir (qui n'aura pas lieu)
en provenance de l'organisateur de concerts Garance Productions - A droite, le tour-book de la tournée 1986.
Abordons le sujet qui tient à coeur nos lecteurs et tous vos fans. Quand pourra-t-on vous voir sur scène ?
Lars Ulrich : Nous jouons avec Ozzy Osbourne à partir du 15 mars aux Etats-Unis et pour une durée de cinq mois, en débutant par le Texas. Nous attaquons ensuite le Japon pour plusieurs semaines. C'est un pays que nous apprécions énormément. Nous ne délaissons pas l'Europe puisque nous y débarquons pour plus d'un mois, et notamment une grosse semaine en octobre pour nos fans français.
Etonnant musicalement d'être la première partie d'Ozzy ! Que penses-tu de son dernier album, "The Ultimate Sin" ?
Lars Ulrich : J'aime bien ce disque. Il y a d'excellents titres comme "Shot in The Dark". Ceci dit, je ne suis pas l'un de ses plus grands admirateurs, mais ce qu'il fait est intéressant.
Vu votre succès grandissant, pourquoi n'êtes-vous pas tête d'affiche aux States ?
Lars Ulrich : On pourrait réaliser une tournée seuls ou en tête d'affiche, mais n'y aurait pas plus de 5000 à 8000 personnes par date. Ozzy en déplace 10 à 15 000 !
METALLICA est un jeune groupe, il doit se faire connaître. •
La publicité double page annonçant la sortie de "Master of Puppets" parue dans la presse française.
"Master of Puppets" deviendra un titre majeur du répertoire live et un album essentiel dans la discographie du groupe.
Le drame qui frappera le groupe le 27 septembre de la même année avec la disparition accidentelle du bassiste Cliff Burton sur une route suédoise ajoutera une dimension supplémentaire et prémonitoire à la pochette de ce disque. Mais cette tragédie renforcera également davantage la notoriété de METALLICA et les liens avec son public, tant et si bien que le groupe ne cessera dès lors son ascension vers le succès planétaire.
A gauche, la seconde publicité française parue dans la presse en octobre 1986 - A droite, une publicité japonaise.
J’adore la réponse de Lars: "On pourrait réaliser une tournée seuls ou en tête d'affiche, mais il n'y aurait pas plus de 5000 à 8000 personnes par date. Ozzy en déplace 10 à 15 000 !METALLICA est un jeune groupe, il doit se faire connaître."<br />
Les temps ont bien changé héhé !!!<br />