Les concerts se suivent et ne se ressemblent presque pas. Sommes-nous toujours satisfaits de la qualité de l’interprétation des titres joués ? Est-on toujours en symbiose avec les accoutrements parfois (souvent ?) ridicules de nos musiciens favoris ? Le spectacle est-il vraiment à la hauteur du prix exorbitant du sésame permettant d’assouvir ses fantasmes métalliques et inavouables ? Bref tout un tas de questions nous taraudent l’esprit à la sortie de la salle, grande ou petite, mais il y en a une qui toujours est évacuée par la petite porte de derrière… Oui, vous savez bien de quelle porte il s’agit. Celle par laquelle tout être humain normalement constitué décide de précipiter aux oubliettes ses pensées les moins admissibles ; celles dont on se dit qu’on est le seul péquin ou la seule clampine à avoir en tête et sur laquelle on préfère jeter un voile pudique, plutôt que de le lever… le voile ! Allez, ne soyez pas hypocrites, sortez du bois ! Nous sommes tous pareils. Oui, la seule question qui vaille est bien celle-ci :
« Mais bordel, pourquoi ils n’ont pas joué MA chanson ! Bande de gros cloportes ! Je ne mettrai plus jamais un pied à leur concert. Enfin si, mais… ».

Eh bien c’est ce "mais" suivi de pointillés -ils ont leur importance- que nous vous proposons de développer en votre compagnie car vous qui nous lisez savez très bien l’essence même de ces quatre lettres enguillemettées. Chacun mettra les mots qu’il veut à la place des pointillés, l’usage de cette conjonction de coordination sera le même pour tous les amateurs de concerts et la suite toute personnelle cependant que la seule chose qui intéresse l’ensemble des amoureux transis de décibels demeure bien évidemment… la set-list. Oui cette petite feuille de papier sur laquelle sont inscrites les chansons jouées chaque soir par les groupes et qui peut varier, ou pas, selon les concerts. Qui n’a pas rêvé d’y écrire discrètement sa chanson favorite du groupe ? Mais au-delà de sa propre petite personne, les groupes, quels qu’ils soient et dans le style que vous préférez, restent seuls maîtres à bord de leur vaisseau aussi petits soient-ils. La question du renouvellement de la set-list des artistes d’une tournée à l’autre est parfois abordée, souvent bannie volontairement des impressions des chroniqueurs de concerts par peur de représailles plus ou moins agressive ou déçue du lecteur fanatique de son groupe fétiche. Et pourtant, voici un sujet qui a longtemps divisé, qui divise et qui divisera toujours. Quelle prise de risque de la part du musicien pour quel plaisir de SON public ? Quelle mise en danger pour l’artiste qui sort de sa zone de confort pour quelle authenticité de l’instant vécu par SON fan ? Train-train habituel pour cachetonner ou vrai plaisir de donner et d’échanger avec SON public ? Voilà quelques questions supplémentaires pour lesquelles nous allons essayer de rester les plus authentiques et intègres avec la hauteur d’esprit nécessaire au bon fonctionnement du transit intestinal.
Car enfin, mesdames et messieurs les jurés, prenez le temps de repenser votre cas personnel avant de juger le nôtre. Nous sommes certains qu’il vous est arrivé de vous sentir médusés ou mécontents en sortant d’un concert d’AC/DC, par exemple, en vous disant que quand-même "Hells Bells" et "Highway To Hell" c’est chouette, mais « …qu’on se prendrait bien un "Riff Raff" dans les gencives ou un "Night Prowler" entre les feuilles de chou (à scandale – Jay si tu nous lis, elle est pour toi celle-là !) ». On est toujours ravi d’entendre le concert démarrer sur presque systématiquement toutes les tournées par le dernier single du dernier album de la bande à Angus mais que « …bon "Heatseeker" ou "Up To My Neck In You" le feraient tout autant qu’un "Live Wire" en lieu et place de l’éternel "For Those About To Rock…" comme final de chaque concert. ». Bonjour les surprises !! On entre-aperçoit déjà des dents qui se serrent et qui grincent rien qu’avec la phrase écrite à l’instant même qu’elle vient de défiler sous les yeux ébahis par tant d’audace des propriétaires des molaires sus nommées… « Mais comment osent-t-ils critiquer AC/DC, eux qui n’ont jamais rien fait de leurs dix doigts à part les mettre à un endroit que rigoureusement ma mère m’a défendu d’nommer ici ? » vous dites-vous à raison. Et pourtant c’est une simple affirmation qui ne remet en aucun cas la qualité des shows d’AC/DC et que chacun d’entre-nous est à même d’admettre. Vous tous, fans et moins fans… Ne seriez-vous pas tellement plus heureux de voir la set-list totalement remaniée d’une tournée à l’autre, plutôt que de tenter de se convaincre que le concert était génial, même s’il le fut, et « …qu’on est super content de l’instant que l’on vient de passer, surtout au vu des prix pratiqués ! Et puis, c’est vrai quoi… ’Sont plus tous jeunes les vieux, alors, hein !!! » Argument de l’âge balayé dans la seconde car jouer "Back In Black" ou "Squealer", c’est du pareil au même. L’âge n’a rien à voir là-dedans, mais la fainéantise de se renouveler et la facilité oui. Rangez vos barres de fer les amis, cela ne servira à rien. Le constat est sans appel. De quoi parle-t-on, au juste ? De plaisir tout simplement. Mais de quel plaisir ? Celui des artistes ou celui des fans ? Ou pourquoi pas des deux… ?
Les concerts donnés par AC/DC en mai dernier ne sont qu’un exemple, certes, mais tellement éloquents. Deux concerts au Stade de France, deux set-lists identiques. Ok vous allez nous répondre que Malcolm Young n’est plus là, que Phil Rudd n’est plus présent non plus et que c’est pas facile… Mais cela a toujours fonctionné comme çà. Brian Johnson, Angus Young et leurs amis ont toujours joué la sécurité au détriment du bonheur qu’ils pourraient procurer à leurs fans (nous parlons ici des fans hardcore, pas de ceux qui viennent voir le groupe au Stade de France comme ils vont à Disneyland en famille avec sodas, cornes rouges surtaxées et pop-corn à la main). De là à dire qu’AC/DC ne procure pas de bonheur aux gens, il n’y a qu’un pas… que nous ne franchiront pas bien évidemment, chaque concert étant synonyme de décharge d’adrénaline et de plaisir instinctif. Cela étant, il ne nous est pas interdit de nous poser certaines questions avec tout le respect dû à un groupe de l’envergure d’AC/DC. Où donc est passée la remise en question d’un tel groupe ? Pourquoi diable AC/DC ne sort-il jamais de cette routine propre à leurs shows desquels on sort bien évidemment très heureux mais auxquels il manque toujours ce petit plus… qui a pourtant existé un soir de juin 2001 en France (!) à l’occasion d’un "Ride On" non prévu donc d’autant plus jouissif pour tout le monde, y compris pour le groupe lui-même. C’est bien la preuve que quand on veut, on peut. Mais ces moments sont tellement minuscules à l’échelle de la carrière du groupe… Tout juste trouve-t-on un titre un peu plus rare joué et changé à chaque tournée ("Have a Drink On Me" à Paris, mais il s’agit du même lors des autres dates à n’en point douter). Avouez quand-même que cela fait un peu léger pour un groupe de cette envergure avec un tel back-catalogue et après tant de décennies à défendre bec et ongle ce rock and roll que nous aimons tant. On pourra le regretter ou pas, mais force est de constater que le groupe ne se déplace désormais d’une ville à l’autre que dans le but de satisfaire un train de vie fort coûteux que la vente de leurs albums seule ne parvient plus à couvrir… Où est donc passé la niaque, l’envie d’en découdre, le plaisir de surprendre SON public, de lui faire plaisir et par là même de SE faire plaisir. Pourquoi ne pas avoir fêté, par exemple, les 30 ans de la sortie du film Let There Be Rock en donnant un concert totalement spécial au Zénith de Paris, le Pavillon de Paris n’existant plus, avec une set-list le plus proche possible de celle de la VHS ? Vous allez nous répondre que AC/DC au Zénith, c’est trop petit, qu’en 2010 ils n’étaient pas en tournée… Ok en 2015 alors çà fait 35 ans. Mais c’est vrai… Le Trabendo était trop petit pour les ROLLING STONES et pourtant… ! La Boule Noire était trop petite pour METALLICA et pourtant… ! L’événement aurait été de taille, naviguant entre dimension historique et émotion pure proche de l’orgasme pour les fans die-hard. Et ce concert ultime serait resté dans l’Histoire comme un événement majeur du rock and roll au sens le plus large, le plus noble et le plus généreux du terme. Ah l’émotion… ! Jolie notion quand on y pense. Gageons que le concert donné ce mois de mai à Marseille aura son lot de surprises… ou pas.

Cependant, d’autres formations ne sont pas en reste côté prise de risques proche de l’encéphalogramme de la mouche. SLAYER ne varie quant à lui ses set-lists qu’au compte-goutte. Qui n’a pas rêvé d’entendre "Kill Again" ou "Crionics" à la place des éternels "Dead Skin Mask", "South Of Heaven" ou "Rainning Blood" ? Parce qu’un concert de SLAYER se doit d’avoir ses classiques indéboulonnables et qu’il est inenvisageable de ne pas entendre "War Ensemble" nous dites-vous. Dont acte. Ce à quoi nous vous prions de prendre tous les disques que vous possédez du gang de Los Angeles et d’établir votre set-list de rêve de 16 ou 18 titres. C’est fait ? Maintenant comparez avec une set-list type de SLAYER… Combien de morceaux en commun ? Pas tant que çà à n’en point douter. C’est bien là que le bât blesse. Le manque de volonté flagrant de voir les formations, y compris les plus grosses, éviter à tout prix de sortir de leur zone de confort, préférant aligner classiques sur classiques et ce à chaque concert, pire à chaque tournée. Honnêtement, Kerry King est-il encore heureux de jouer "Angel Of Death" 30 ans après sa création ? Oh le bougre va sûrement nous répondre que oui, que c’est un riff super, que les fans deviennent dingues à l’entame de la chanson. Soumettez-lui une seule fois l’idée de jouer l’entame de "Hardening Of The Arteries" ou mieux encore "Haunting The Chapel" afin qu’il puisse juger par lui-même de l’état du public niveau dinguerie… Nous avons notre petite idée quant à l’état mental de ses fans, de la réponse du King et de l’effroi qui s’emparerait de lui à l’idée de retravailler ses propres compositions afin de satisfaire SES fans. Le syndrome de Stockholm en quelque sorte.
Oui les termes sont lâchés, on y est. Certains artistes sont atteints d’une sorte de syndrome de Stockholm dans lequel ils se complaisent sans vergogne dans un état végétatif de contemplation de leur répertoire scénique pour lequel ils trouvent une sorte de compassion et de plaisir malsain à le rejouer presque inlassablement derrière les barreaux dorés de la prison qu’ils se sont eux-mêmes fabriqué. Cependant, à bien y réfléchir, il n’y a pas tant de notions si complexes que cela qui interviennent lors d’un show, qui n’est autre qu’un échange entre l’artiste et son public : outre celle de plaisir, l’empathie et l’affect, voire la frustration dans certains cas, en sont les principaux piliers. Le plaisir évident d’être sur scène devant son public pour l’artiste et l’énergie qui lui est renvoyé par ce dernier reste le maillon fort de l’échange. Mais l’empathie n’est pas toujours au rendez-vous, que ce soit du côté de l’artiste que du côté du public. L’artiste ne peut bien entendu pas plaire à tout le monde et ne peut satisfaire chaque personne le temps d’un concert. Mais en admettant que l’artiste, faisant preuve d’un minimum de compréhension des émotions et du ressenti, non pas de chacun car impossible, mais de la globalité d’une assistance, ferait un pas en avant considérable pour ménager l’affect de SON supporter. Pour ce faire, certains groupes prennent le temps d’élaborer des set-lists intéressantes en n’hésitant pas à piocher allègrement dans n’importe lequel de leurs albums. Le premier nom qui vient immédiatement à l’esprit est forcément METALLICA, qui peut se targuer d’être capable d’un soir sur l’autre de dégainer "Blackened", "The Struggle Within" ou "Metal Militia", tout aussi bien que "Bleeding Me" ou "Leper Messiah". Même "Dyers Eve" et "Escape" ont été sortis du placard pas plus tard qu’il n’y a pas longtemps. Attention, nous ne parlons pas de la qualité de l’interprétation des dites chansons mais de la volonté belle et bien réelle et tout à fait respectable et respectée de varier les plaisirs… Leur plaisir, notre plaisir, nos plaisirs. Prendre le temps de ressortir la set-list de la date précédente dans la même ville ne doit pas être quelque chose de totalement impossible à réaliser nous semble-t-il... Question d’envie, question d‘empathie et de sincérité dans la démarche. L’empathie côté public réside bien-sûr dans la compréhension que l’artiste n’est pas en mesure de ne jouer que pour une seule personne du public et ne peut, par définition, plaire à tout le monde, elle-même en premier lieu. Le choix des chansons sera donc un mal autant qu’un bien nécessaire qui provoquera une montagne russe d’émotions. L’affect quant à lui découle directement de l’empathie bien que différent même si totalement complémentaire. Chacun d’entre-nous peut ressentir une tendresse particulière pour telle ou telle chanson car cette dernière peut évoquer chez nous des souvenirs plus ou moins heureux ou malheureux de notre vie personnelle. Chaque auditeur/spectateur sortira donc de la salle ou du stade avec une étrange sensation de bien-être mélangée à une forme de frustration qui peut se situer à plusieurs degrés. La frustration de n’avoir pas entendu SA chanson… Celle sur laquelle on a embrassé la première fois ou vomi sa première bière pour la centième fois. Mais il y a aussi ce que l’on pourrait appeler la frustration du medley. Oui ces petits bouts de chansons mises les unes à la suite des autres et qui nous plongent dans un état d’excitation extrême à chaque entame de bouts de titres mais qui nous frustrent à un point inimaginable lorsque l’extrait suivant pointe le bout de son nez… Le mélange des émotions parfaitement imparfait. A ce petit jeu, les cavaliers du sus nommé METALLICA ont longtemps joué avec les nerfs de leurs fans en interprétant un medley de l’album « …And Justice For All », prétextant que les morceaux étaient beaucoup trop longs pour être honorés entièrement mais qu’il fallait bien en jouer un peu quand-même. Nous vous laissons seuls juges capables d’apprécier cette démarche pas courageuse pour un sou et téméraire comme des batteurs/chanteurs imbus de leur personne, incapable de rester courtois dès lors qu’ils ont un tant soit peu de répondants en face, préférant l’insulte gratuite et pratiquant la censure quasi instantanée. Au cours de sa récente tournée promotionnant son dernier album en date « Return To Forever » paru il y a un peu plus d’un an, SCORPIONS a effectué la même démarche en piochant dans son back catalogue long comme le bras et en proposant un horrible medley des années 70. Pas que les titres prévus au programme eût été mauvais, loin s’en faut, mais vraiment… Quelle déception et surtout quelle frustration de n’entendre que des bribes de "Top Of The Bill", "Steamrock Fever", "Speedy’s Coming" et "Catch Your Train"… Il aura fallu quelques minutes à votre humble serviteur pour remonter dans l’ascenseur émotionnel à l’étage 18 du plaisir auditif. Alors, valait-il mieux quelques notes de chacun de ces quatre bijoux ou seulement deux exécutés entièrement ? Là encore, le débat reste ouvert et à l’appréciation de chacun.

Mais ne voyons pas que du négatif à propos des set-lists de nos groupes préférés. Certains font l’effort de se remettre en question, de jouer la carte de l’insécurité en sortant de cette trop fameuse zone de confort. Attention, il ne s’agit pas d’encenser les groupes qui ont cette approche plutôt que leurs petits camarades de jeu jouant la sécurité et la facilité. Il s’agit simplement de souligner une forme de courage et d’envie de progresser (dans le sens ne pas stagner), tout en essayant de proposer quelque chose d’inhabituel au public. Un exemple ? A l’instar de METALLICA précédemment cité dans cet article, IRON MAIDEN s’évertue à proposer des choses différentes, réussies ou non. En 2006, à l’occasion de la sortie de l’album « A Matter Of Life And Death », le groupe de Steve Harris s’embarque dans une tournée avec une idée toute simple : jouer l’intégralité de ce dernier album sur scène. Que l’on aime ou pas ce disque, force est de constater que MAIDEN ne joua pas la facilité, proposant quelque chose de neuf dans sa carrière déjà fort longue à l’époque et qui fut salué par nombre de critiques et de fans du groupe, alors que celui-ci aurait pu enfiler ses classiques comme les perles qu’ils sont pendant 1h45. Une prise de risque qu’il est bon de saluer comme il se doit, amateurs du groupe et du disque ou pas. Dans un même ordre d’idées, IRON MAIDEN, lors du départ de Bruce Dickinson en 1993, n’avait pas hésité à se lancer dans une tournée d’adieu dans des salles de petites capacités en y interprétant des titres beaucoup moins joués par le groupe depuis de nombreuses tournées comme "Prowler", "Transylvania" ou "Where Eagles Dare", avec un show incandescent à l’Elysée-Montmartre (n’y voyez aucun jeu de mots), dont les fans parisiens se souviennent probablement encore la larme à l’œil.
Comme constaté à la lecture de ces quelques lignes, les exemples de groupes ne variant pas ses set-lists sont légions car la facilité aidant, beaucoup se satisfont de cette situation en incluant un ou deux titres de leur dernier effort en date histoire de jouer la promotion minimum sans se soucier véritablement de l’attente maximum de leur public. A contrario, d’autres formations jouent le jeu en proposant des set-lists variées et/ou équilibrées en n’omettant aucune ère de leur carrière lorsque celle-ci est longue. Il nous faut souligner tout de même que les exemples de combos figurant dans la deuxième catégorie sont vraiment les plus rares. Indépendamment des émotions ressenties à la sortie d’un show, certains esprits chagrins n’auront retenu que les mauvaises chansons mal agencées quand d’autres trouveront toujours un aspect purement jouissif et conciliant du groupe avec son répertoire et pardonneront aisément tous les faux-pas à leur groupe favori. Ah le pardon… Là aussi, un jolie notion quand on y pense. On y travaille !