16 mai 2016, 17:12

METALLICA

Les coffrets « Kill 'em All » et « Ride The Lightning »

Il y a des jours où l’on se sent un peu plus vieux. Comme ce vendredi 13 : courbé comme un vieillard, même, victime d’une sciatique qui vous scie les reins. Quelqu’un ose frapper à la porte et m’extraire du canapé : bonjour et merci facteur, le colis remis pèse trois tonnes. Trois tonnes de metal. Le ramener du palier au salon est une séance de torture digne d’une scène de Ben-Hur. Un peu plus penché au-dessus de l’objet par l’excitation et dans une cambrure douloureuse, on parvient, en grinçant, à extraire les objets du carton : le film plastique scellé et rutilant est odorant et protecteur – on hésite presque à le déchirer, bah, tant pis pour le sticker. Car après tout, ils sont là : les deux coffrets METALLICA, « Kill 'Em All » et « Ride The Lightning ».



Un peu plus vieux aussi, parce que l’univers vacille un instant. On se revoit au collège, vingt-sept ans plus tôt, un casque de walk-man vissé sur les oreilles, écoutant en boucle ces deux albums de chevet portable. Le premier disque acheté de METALLICA fut «…And Justice For All» en 1988, confisqué dans la foulée au même titre que ma platine vinyle pour cause de bulletin scolaire arrivé le midi même dans le foyer doux foyer. Maudite 3e. «Plus de musique jusqu’à nouvel ordre» : la pire punition de l’univers, j’aurais préféré être fouetté jusqu’au sang par un tortionnaire serbe. Mais j’avais planqué mes cassettes – et juré que, tiens prends ça, être un hardos ne se limiterait pas à la difficile période de l’adolescence, mais bien à une vie entière. Croix de bois, croix de fer.

Donc, c’est non sans émotion que ces deux disques remontent à mes doux souvenirs, rappelant une nostalgie associée au poids des âges – et des lombaires, liées aux cervicales, peut-être une conséquence de trois décennies de headbanging ? Nostalgie pas aussi déroutante que ce message laissé par mon vénérable ami Olive’, qui s’enorgueillit sur FB de l’avoir «acheté le matin du jour de sa sortie en France à la FNAC Montparnasse en 83». Et qui, je le sais, avait aussi acheté «No Life ’Til Leather» à New York. Je t’en dédie d’ailleurs l’écoute remastérisée de "Seek & Destroy", ami quinqua, moi qui me sens là si sick and destroyed.

Cela faisait des années et des années que je fantasmais sur une série de rééditions de tout leur back-catalog : allons, des artistes bien plus "minables" que ça ont déjà leur discographie complète revue et corrigée depuis belle lurette… METALLICA RIEN, nada. Et autant leurs premiers albums sont sans fautes, autant leur mastering d’époque est bien faiblard. Enchaîner "Whiplash" après n’importe quel morceau de LAMB OF GOD, il vous faudra bien monter le volume d’un bon tiers pour que ça tienne la route. Niveau composition, c’est par contre imbattable. On ne va pas vous faire l’affront de commenter tous les morceaux ni l’importance capitale de ces deux albums sur le thrash, le heavy metal et l’ensemble du paysage rock depuis plus de trente ans – d’ailleurs s’il en reste encore un parmi vous qui ne possède pas ces disques, euh… que faites-vous encore ici ???

Outre l’importance capitale du mastering revu selon les normes d’aujourd’hui (les albums sont également disponibles en éditions simples), l’intérêt majeur de ces rééditions réside dans leurs copieux bonus. A l’instar des rééditions LED ZEPPELIN supervisées par Jimmy Page en personne (dont les tout aussi massifs coffrets ne comportaient cependant que peu de matériel par rapport aux éditions doubles et leurs inédits – les boxes n’étaient prétexte qu’à des artworks plus cossus avec leur lot de reproductions de memorabilia), ces pavés METALLICA sont non seulement de toute beauté, mais comportent tous ces nombreux inédits attendus.

On commence par « Kill ’Em All » : le CD, le vinyle reproduit, le picture-disc maxi 45 tours de "Jump In The Fire", et surtout le double LP du fameux live à L’Espace Balard de Paris en première partie de VENOM le 9 février 1984 : un concert jusqu’ici détenu par RTL, prêté au groupe par notre Francis Zégut, et bien évidemment enregistré à l’époque avec une qualité radio. Douze morceaux témoignant de l’énergie juvénile des Four Horsemen, 21 ans d’âge moyen à l’époque.

Suivent un CD gavé d’interviews en 1984, un CD ras-la-gueule de mixes différents de l’album et de répétitions ; un autre CD d’un concert made in Bay Area au Keystone de Palo Alto le soir d’Halloween le 31 octobre 1983 (avec déjà quatre futurs morceaux de « Ride The Lightning ») ; un CD sept titres en concert à New York au J Bees Rock III le 20 janvier 1984 et enfin, le DVD du concert intégral donné dans le mythique club Metro de Chicago le 12 août 1983, dont on connaissait déjà deux titres sur la vidéo « Cliff’Em All », à savoir "No Remorse" et "Metal Militia". Ici, vous aurez TOUT le gig.

Le coffret serait incomplet sans un patch vintage et surtout un livre format 33 tours qui offre en 72 pages un aperçu ultra-riche en documents de toute l’époque 1983-1984 : des centaines de photos d’époque, réalisées par de timides professionnels, des fans ou des potes, des set-lists, des paroles de chansons manuscrites, des flyers, des affiches, des contrats, des cartes postales souvenir écrites par les membres du groupe à leurs proches en cours de tournée, etc., etc. : une mine d’or pour les collectionneurs complétistes qui vont voir ça pour la première fois de leur vie.



On se relève, on craque le dos, et on passe au deuxième coffret : « Ride The Lightning ». Là encore, le CD et le vinyle (bleu, hein, pas vert), ainsi que le picture-disc maxi-45 tours de "Creeping Death". L’autre LP est un live bien connu des fans : le concert du Hollywood Palladium de L.A. donné le 10 mars 1985, ici intégral et décliné en deux vinyles. On retrouve un CD d’interviews pour des magazines et autres radios américaines, ainsi qu’une galette remplie de démos plus ou moins brutes, issues des archives de Lars Ulrich : le son est des plus honorable et puissant au plus faible, mais l’aspect historique est indéniable, tout comme les trois autres CDs live qui suivent : un concert au fameux Lyceum de Londres le 20 décembre 1984, un autre à domicile au Kabuki Theatre de San Francisco le 15 mars 1985, et enfin leur première performance, difficilement audible, aux Monsters Of Rock de Donington le 17 août 1985.

Enfin, un DVD vient compléter l’épaisse box : on connaissait déjà trois extraits du festival Metal Hammer à St. Goarshausen en Allemagne le 14 septembre 1985 ("The Four Horsemen", "Fade To Black" et "Seek And Destroy" sur « Cliff’Em All ») : aujourd’hui nous disposons des onze autres de la journée. Pareil pour le Day On The Green d’Oakland le 31 août 1985 : cette fois, la vidéo connue de "For Whom The Bell Tolls" est précédée ici de "Creeping Death" et de "Ride The Lightning". Trois interviews différentes avec Lars Ulrich et James Hetfield comme protagonistes complètent le DVD.
 

Comme pour « Kill ’Em All », un effort colossal d’archéologue metal a été ordonné pour illustrer ce nouveau livre de 72 pages qui offre le panorama le plus complet, humain, saisissant et drôle de leurs années 1984-1985, déterminantes. Et en bonus, trois posters couvrant deux shows zurichois (un avec VENOM en tête d’affiche, l’autre avec METALLICA en headliner + TANK), ainsi qu’un petit carnet de poche qui offre des répliques de paroles manuscrites et diverses annotations du groupe.

Voilà. C’est... euh, tout.

Les râleurs vont pouvoir commencer à râler et déverser leur bile haineuse sur le plus gros groupe de metal de la planète. C’est devenu une habitude depuis le « Black Album » (les snobs avaient d’ailleurs commencé avec « Ride The Lightning » et la trahison "Fade To Black"), le monde du metal se divisant et se livrant à des débats souvent stériles autour du groupe et de son intégrité soi-disant amputée. Oui, comme n’importe quel énorme groupe de stade, METALLICA fait de l’argent et multiplie les produits que personne, cela dit, n’est obligé d’acheter. Oh, ils auraient pu se contenter de ne pas évoluer et, pourquoi pas, de régresser, de faire du sous-TANKARD et d’ouvrir des festivals en Europe de l’Est à 10 heures du mat’ en portant des cartouchières ramassées sur des champs de bataille tchétchènes. Ça, on vous l’accorde, c’est de la putain d’intégrité bien ivôle.

Mais non. METALLICA s’applique à sortir des albums surprenants, à essayer de ne pas se répéter et de tenter des expérimentations, sans trop se soucier des vœux, de toute façon volatiles, de leurs fans. Chacun de ses concerts marathons est disponible au téléchargement légal sur sa propre plateforme : les complétives fortunés peuvent ainsi s’offrir tous ses concerts, ou bien se payer un souvenir de sa soirée. Pour les fétichistes, METALLICA multiplie le merchandising : la demande est phénoménale, mais personne encore ne vous oblige à acheter le moindre objet. METALLICA sait se faire plaisir et en faire bénéficier ses fans, au cours d’occasions qui peuvent être des plus modestes (des shows surprises dans des garages, chez des disquaires indépendants, sur des parkings, etc.), des plus surprenantes (des concours pour emmener des fans sous une bulle au Pôle Nord, les trois concerts du 11 juin 2003 dans trois salles différentes à Paris, etc.), aux plus démentielles (les concerts organisés pour filmer leur film Through The Never). Bref, METALLICA sait varier les plaisirs au-delà du simple fait de créer de la musique et d’enregistrer des disques, sachant se montrer accessible auprès des fans hardcore (QUI peut se permettre cela à un tel niveau ??? Mais bien sûr cela reste des exceptions, toutefois répétées tout au long de sa carrière), et à voir grand, très grand pour honorer ses envies les plus folles et épater son public, toujours plus demandeur.

Et donc, il y a ceux qui se régalent, quelle que soit l’occasion. Aujourd’hui, ce sont les tables de la loi du thrash-metal qui sont réhabilitées : tous les acteurs du Big Four l’avaient déjà fait, ANTHRAX, MEGADETH et SLAYER ont tous réédités et remastérisés leurs albums, au cours d’éditions diverses. METALLICA ressort ainsi ses deux premiers disques historiques, à un tarif normal pour les CDs simples (enfin dignes d’une écoute dynamique) et au prix fort pour des objets exceptionnels destinés aux plus acharnés d’entre nous.

L’attente et l’investissement en valent largement la chandelle et l’on s’impatiente déjà de recevoir la suite, « Master Of Puppets » et « … And Justice For All » que mes parents ne pourront plus me confisquer, je me suis rattrapé. On mise ça sur la fin de l’année autour de Noël, et en 2017 le reste de sa discographie, accompagnée d’incroyables documents – les spéculations vont déjà bon train, tant le groupe s’est mis à TOUT documenter à partir du « Black Album » en 1991 : au moins vingt-cinq ans d’archives exhaustives nous attendent-elles ?


Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
Ses autres publications

1 commentaire

User 3526
User 3526
le 08 août 2016 à 19:10
Les coffrets sont excellents mais pourquoi ne pas avoir proposé à chaque fois version vinyle ET CD de chaque live? Quelqu'un qui ne possède pas de platine vinyle aura du mal à se laisser tenter, c'est assez frustrant !
Merci de vous identifier pour commenter
Cookies et autres traceurs

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de Cookies ou autres traceurs pour mémoriser vos recherches ou pour réaliser des statistiques de visites.
En savoir plus sur les cookies : mentions légales

OK