
Agitateur depuis 1994, NO ONE IS INNOCENT fait partie de ces groupes engagés pour qui la musique ne se conçoit pas sans message. Alors que les musiciens sont sur la route depuis plus d’un an pour promouvoir le percutant « Propaganda » et le live « Barricades », Kemar, le frontman, a bien voulu s’arrêter au confessionnal…
L'orgueil
Dirais-tu que tu as déjà eu le melon ?
C’est marrant parce qu’à nos débuts, on a beaucoup entendu dire qu’on se la pétait. La trajectoire de NO ONE a été spéciale et a surpris beaucoup de gens. Un an et demi après notre formation, on signait avec Barclay pour notre premier album. On était des mecs super simples, ça faisait dix ans qu’on jouait dans différentes formations, mais personne ne connaissait le groupe et les trajectoires de chacun. Je pense que c’est la jalousie qui a fait dire à certains qu’on avait le melon parce qu’on avait signé sur une major, alors que personne n’en voulait à NTM, NOIR DÉS’ ou LA MANO NEGRA. On ne comprenait pas pourquoi on était des cibles… Juste parce qu’on était un groupe de rock vénér’ et un peu revendicatif, il fallait qu’on signe sur un label indé ? Rien à foutre !
Nous, on traçait notre route, on faisait nos concerts, souvent dans des conditions déplorables parce que c’étaient les débuts de NO ONE. Ça s’est calmé par la suite, quand les mecs nous ont vus dans des concerts importants, quand ils nous ont rencontrés. Mais nos ennemis étaient nos meilleurs alliés car en nous crachant dessus, c’est eux qui nous faisaient la meilleure pub. Je ne me la pète pas, je sais d’où je viens et au cas où, j’ai des amis qui sont là pour me remettre à ma place si je dépassais les bornes. Mais il y a quand même un cas où je peux “me la péter” : s’il faut protéger les miens – les mecs de mon groupe. Un exemple : l’an dernier, une nana de l’organisation entre dans nos loges alors que ça faisait au moins trois semaines qu’on ne s’était pas vus. C’était assez intense, on avait des choses à se raconter et tout d’un coup, elle commence à nous prendre en photo, sans demander. Je lui ai demandé d’arrêter et elle a remis le couvert. Alors je lui ai dit de dégager. A ses yeux, peut-être que je me la pétais.
Y a-t-il des musiciens internationaux que tu as rencontrés et qui t’ont déçu parce qu’ils avaient la grosse tête ?
Quand on a ouvert pour GUNS N’ ROSES (en 2012), je n’avais déjà pas beaucoup d’estime pour Axl Rose, mais là, j’en ai eu encore cent fois moins à cause de son attitude et de son côté diva qui nous ont royalement énervés. Il arrivait avec une heure en retard sur scène, avait des desiderata de dingue… Mais il y avait aussi tout le staff de GUNS autour qui nous a bien gonflés. On sentait une sorte de parano ambiante, on n’avait pas le droit de faire grand-chose… Tout était surdimensionné et sur-ridicule.
Quand tu as vécu, comme nous, les Zénith avec MOTÖRHEAD ou le Stade de France avec AC/DC (NDJ : les 23 et 26 mai 2015), c’est là que tu sens vraiment la différence. Il y en a certains qui feraient bien de redescendre un petit peu. Quand tu es en train de faire ta balance au Stade de France avec AC/DC, tu as d’un côté le staff du groupe qui te traite aux petits oignons et tu as l’impression d’être dans un club, dans la coolitude. Et de l’autre, tu es au Zénith, avec GUNS N’ ROSES, et il y a une espèce de tension, une pression de dingue. C’est ahurissant…
Ta plus grande fierté ?
Avoir réussi ma vie familiale. Avoir épousé la femme que j’aime et voir grandir nos filles.
L'avarice
Chanteur de NO ONE, ça permet de vivre décemment de sa musique ?
Quand tu es auteur/compositeur, tu arrives à en vivre. Sinon, c’est un peu plus dur.
Quel est le plus beau cadeau que tu t’es offert ?
Le secteur où je peux dépenser le plus de thunes, c’est les voyages. Il y a quelques mois, nous sommes allés à Cuba pendant quinze jours avec nos filles, notre premier grand voyage avec elles. Un super moment, se retrouver à Cuba avec tout ce que ça représente, tout en étant objectif, voir le pour et le contre... Sinon, il y a aussi le costume que je me suis acheté pour mon mariage et le fait qu’avec ma femme, on a payé l’hôtel à tous nos potes. Ils étaient une centaine…
Le premier voyage que j’ai fait en Arménie, avec mes potes LES OGRES DE BARBACK, m’a beaucoup influencé pour certains morceaux de « Propaganda ». J’arrivais dans une région du monde où je n’étais jamais allé et j’ai compris beaucoup de choses.
Justement, tu es d’origine arménienne et tu parlais du génocide arménien dans “Another Land” sur votre premier album. Te sens-tu proche des musiciens de SYSTEM OF A DOWN ?
SYSTEM OF A DOWN, c’est un groupe très important. Quatre Arméniens qui font du rock vénér’ et qui sont connus dans le monde entier, c’est un miracle total ! Je n’ai jamais eu l’occasion de les rencontrer mais ça m’intéresserait de discuter avec eux. Entre autre, de l’acharnement de la diaspora internationale à vouloir absolument reconnaître le génocide arménien. C’est important car quand tu vas en Arménie et que tu y restes un peu, tu t’aperçois que pour les gens sur place, le plus important, ce n’est pas forcément la reconnaissance du génocide, c’est de bouffer. D’avoir l’électricité chez eux. D’avoir une vie décente. J’aimerais bien donner mon point de vue et écouter le leur.
Quand tu as des rentrées d’argent, tu mets de côté ou tu es plutôt du genre flambeur ?
Je suis l’antithèse du mec qui flambe, je préfère garder mon oseille. Je pense que ça vient sans doute un peu de mes origines, une espèce “d’instinct de survie” qui ressort. Si je dépense de grosses sommes, c’est rarement pour moi.
Si une marque que tu n’aimes pas te proposait pas mal d’argent pour t’endorser, tu accepterais ou pas ?
Ça ne m’intéresserait pas. Je préfère être libre. Je viens d’un univers très roots, je n’ai quasiment pas de matos et parfois, un simple dictaphone m’aide à faire des bons titres. Mais je suis chanteur, pas batteur, bassiste ou guitariste.
L'envie
En mode “Dans la Peau de John Malkovich”, tu peux passer une journée dans celle d’un musicien que tu adores. Qui choisis-tu ?
Ça ne m’intéresserait pas, ce qui me plaît, c’est l’échange, le partage. Les émotions, avec NO ONE, j’en ai eu des complètement dingues et je n’ai pas besoin d’être dans la peau d’un autre pour en vivre. Par contre, passer un moment pendant une session voix avec Zach de la Rocha (RAGE AGAINST THE MACHINE) ou Iggy Pop, par exemple, ça, ça me brancherait. Chez les gens que j'admire, il y a aussi des sportifs qui comptent vachement pour moi, comme Maradona ou Mohammed Ali qui sont d’ailleurs en photo sur mon frigo.
Quel talent rêverais-tu d’avoir ?
J’admire énormément les bâtisseurs, les gens qui ont de l’or dans les mains. Ça me fascine parce que moi, je ne suis pas trop manuel. Quelqu’un qui va transformer complètement une maison et en faire un palais, ça m’impressionne. Et puis j’admire aussi les artistes qui font des one-man shows. Etre seul sur scène, être à nu, c’est vraiment une performance. Je m’identifie complètement parce que m’imaginer tout seul sur scène sans mes gars… houla. C’est chaud.
Si, d’un claquement de doigts, tu pouvais avoir un bon niveau avec un instrument, lequel choisirais-tu ?
Je suis un guitariste rythmique moyen mais ça me suffit pour travailler. Non, ça serait la batterie parce que c’est le cœur du groupe. Je ne retiens pas trop le nom des musiciens mais j’ai été très impressionné par le jeune batteur qui jouait avec BLACK SABBATH quand on les a vus au Zénith (NDJ : Tommy Clufetos) parce qu’il était hyper juste. C’est souvent difficile de reproduire ce qu’a fait un mec qui a sublimé un groupe et lui le faisait super bien. Il y a aussi Lombardo, à la fois pour son jeu et son son de batterie très vintage.
Qui sont tes chanteurs préférés ?
Springsteen, Joe Strummer (THE CLASH), Bon Scott, Zack de la Rocha, Bob Marley… Et il a aussi les chanteurs de soul music, la musique de l’émotion, du fragile, du palpable. Des mecs comme James Brown, Al Green, Marvin Gaye… Depuis que je fais de la musique vénér’, j’ai remarqué que la plupart des chanteurs sont fans de soul music. Parce que pour nous, c’est quelque chose d’inaccessible. On ne rêve pas forcément d’être Tom Araya ou autre mais plutôt d’être des chanteurs de soul. Parce que c’est à l’opposé de ce que l’on fait et qu’il y a une espèce de fantasme.
La colère
Tu as déjà pété un câble sur scène ?
Non, j’arrive à garder mon sang-froid. A part il y a une quinzaine d’années au Free Wheels, un festival de bikers à Clermont, où l’on a été obligé de quitter la scène. Juste avant de chanter “La Peau”, j’avais fait un petit discours un peu anti-facho et ça n’a pas plu à une poignée de mecs sur les plusieurs milliers de personnes présentes. Ils ont balancé des bouteilles en verre sur scène, jusqu’au moment où le bassiste en a reçu une sur sa basse et où j’ai dit à mes gars : « Allez, on s’arrache »…
Tu t’es déjà battu ?
Quand j’étais ado, deux-trois petites bastons mais rien de méchant. J’ai souvent freiné un départ de bagarre grâce à ma grosse voix…
Au quotidien, qu’est-ce qui te soûle ?
Je peux être à fleur de peau quand j’ai mal au dos, je peux m’énerver très facilement quand j’entends des mecs klaxonner dans la rue. C’est con mais c’est viscéral, je me sens agressé même si ça n’est pas après moi… Ce qui me rend très en colère, c’est l’arrogance, le mépris, l’injustice, la mauvaise foi, l’égocentrisme, le narcissisme… Je peux réagir beaucoup plus violemment que certains quand je me retrouve confronté à ce genre de comportement.
La luxure
Certains musiciens reconnaissent que si au départ ils se sont mis à la musique, c’était en partie pour essayer de se taper un maximum de filles. C’était aussi une de tes motivations quand tu as commencé ?
Je faisais plutôt un transfert sur des musiciens que j’admirais en me disant qu’ils étaient tellement géniaux qu’il devait y avoir des milliers de nanas qui voulaient se les taper (sourire)… Faire de la musique pour me faire des meufs, ça n’a jamais été mon moteur, même à mes débuts. La musique, pour moi, c’est passionnel. Ce qui me fascine, c’est la transe que me procurent des mecs comme ceux que je t’ai cités tout à l’heure. Parce qu’il y a un rapport avec le corps.
As-tu un sex-symbol ?
Penelope Cruz (Vanilla Sky, Vicky Cristina Barcelona, Pirates des Caraïbes – la Fontaine de jouvence). Je suis complètement envoûté rien que de dire son nom…
NO ONE a-t-il ou a-t-il eu des groupies ?
Non, pas vraiment. On a des fans mais en fait, on est super mal à l’aise avec certains ou certaines qui en font trop, qui sont en transe, avec qui tu ne peux pas avoir une conversation normale…
La gourmandise
Quel est ton plat préféré ?
Les boulettes que fait ma femme. Il y a des épices, des herbes, une bonne cuisson, un peu de riz, un poil de moutarde et c’est magique. Après, ça peut être aussi une pizza à Naples, ça te transporte. Et puis une bonne petite pâtisserie… Par contre, même si je crevais de faim et que tu m’amènes un bol de câpres, je n’en voudrais pas (sourire)…
De quoi es-tu gourmand dans la vie ?
J’ai une fascination pour la mer et les fonds marins. Ça fait à peu près trois ans que j’ai un peu levé le pied, mais j’ai fait énormément de plongée. Déjà parce que c’est le monde du silence et que c’est le contraire de mon métier, et aussi parce que je suis fasciné par les requins. C’est un grand fantasme pour moi de plonger avec des squales en Afrique du Sud. Le spot qui m’a le plus excité, c’était en Egypte, par 40 mètres de profondeur. C’était magique. J’étais tellement aimanté que j’étais en train de descendre en regardant les six ou sept squales qui m’entouraient. Il a fallu que l’on vienne me récupérer pour me demander ce que je foutais…

La paresse
Avec du recul, dirais-tu que tu as toujours autant travaillé ta voix et ton phrasé que tu l’aurais dû ou as-tu eu des périodes de flottement ?
J’ai pas mal bossé le chant au début parce que j’entendais des chanteurs qui cartonnaient pas mal et je me rendais compte que j’étais tout petit par rapport à eux. Je voulais comprendre les rudiments pour ne surtout pas me casser la voix. L’articulation, la respiration… J’ai pris six mois de cours, bien avant NO ONE, quand j’ai commencé à chanter avec mon premier groupe de hard-rock dans les années 80. J’ai travaillé ensuite tout seul pendant un an-un an et demi et c’est à peu près tout. Sauf pendant les prises en studio pendant l'enregistrement d’un album. Là oui, je bosse. Quand tu fais un album avec Fred Duquesne (réalisateur de « Propaganda » mais aussi guitariste de MASS HYSTERIA), il te fait bien bosser. C’est un perfectionniste, alors quand tu adhères à son mode de fonctionnement, tu sais que pendant trois semaines, il faut que tu sois au taquet. Ça me plaît, ça a un côté challenge et pas seulement dans la technique vocale mais aussi dans le texte. C’est vachement important d‘être à côté de quelqu’un qui peut te remettre en question sur ce que tu as écrit. La technique vocale, ça ne m’a jamais impressionné. Ce qui m’intéresse, c’est la façon dont un mec va interpréter son texte.
Pourquoi le chant et pas un autre instrument ?
Parce que ça correspondait à ma personnalité, mon caractère, mon côté instinctif. Et puis j’ai vite compris que c’était une place plutôt pas mal dans le sens où tu n’avais pas de matos à porter (sourire). Par contre, tu as d’autres responsabilités : il faut faire des bons textes, faire passer le message, l’émotion… Les autres musiciens du groupe ont aussi cette charge-là, mais c’est différent. Le plus difficile, c’est de trouver le phrasé, d’être crédible quoi. D’être en parfaite adéquation avec le ton de la musique.
Tu es paresseux pour quelque chose ?
Faire à bouffer, si je peux éviter… j’évite ! En fait, je veux bien faire mais j’ai peur de ne pas y arriver.
Le prochain NO ONE, c’est pour quand ?
On a déjà quelques ébauches de morceaux. Il y a une super bonne vibe, on s’est remis à bosser naturellement. Il y avait trop longtemps que l’on n’avait pas recomposé. Ça fait un an qu’on est en tournée et on ne compose pas sur la route, on n’a pas l’énergie ni la concentration. J’aime bien cette sensation de manque… Je pense qu’on devrait rentrer en studio à l’automne 2017. On est super exigeants avec nous-mêmes et ce n’est pas parce que « Propaganda » a reçu un super accueil que l’on peut se permettre de sortir n’importe quoi. Au contraire, il y a un vrai challenge pour faire encore mieux.
