Quand j'écoute "Southern Native", j'entends un groupe avec de belles qualités. Mais j'entends surtout quelque chose qui n'a strictement rien à voir avec BLACKFOOT, ni de près, ni de loin. Et c'est bien là que se situe le malaise... C'est une forme d'usurpation d'identité cautionnée par l'un de ses fondateurs, ce qui rend l'entreprise encore plus ambigüe. Noble intention que celle de Rickey Medlocke de vouloir passer le flambeau générationnel, en grand parrain de la scène sudiste qu'il se retrouve incarner aujourd'hui malgré lui, vu l'hécatombe environnante. Mais au nom de quoi vouloir le faire sous le nom BLACKFOOT sans qu'aucun membre originel - exception faite de lui, et en guest plus qu'autre chose - n'en fasse partie ? Au pays des avocats-rois et des procédures, je ne m'aventurerai même pas à comprendre comment Charlie Hargrett et Greg T. Walker n'ont pas eu voix au chapitre. Et comment Rickey Medlocke a trouvé le moyen d'écarter ces besogneux qui alimentaient la flamme pendant qu'il triomphait dans LYNYRD SKYNYRD, puis a candidement envisagé que d'autres musiciens très sympathiques, plus jeunes, plus frais et peut-être plus doués puissent leur chiper la place et se faire passer pour BLACKFOOT auprès des amateurs du genre.
Oh, j'entends déjà les arguments fourbis du volubile Rickey...
Allez, fermons les yeux et imaginons un instant qu'on écoute du BLACKFOOT...
Euh... non, ça ne tient pas une seconde.
Où est la folie de la voix ? Où est le son des guitares ? Et surtout... surtout... où est la section rythmique, la marque de fabrique qui a façonné la légende ? Certes, Jakson Spires n'est plus de ce monde et des batteurs comme lui, des "thunderfeet", ça ne court pas les rues, mais il n'y a quasiment à aucun moment la moindre tentative d'approche, de référence à cet alliage de southern hard rock/british blues complètement articulé autour de tempos infernaux basse/batterie qui puisaient à la source des réserves indiennes.
Pas une composition n'arrive à la cheville du triptyque "Strikes"/"Tomcattin'"/"Marauder", n'a la rugosité qu'inspirait chacun de ces albums.
"Southern Native", une fois soigneusement descendu en flèche (oh-oh !) par les puristes que nous sommes, est-il pour autant un mauvais album ? Non, il s'écoute même par moments avec plaisir, avec d'excellentes parties de guitare (sur "Everyman", calme et sobre, l'un des grands moments de ce disque, par opposition au tricotage à la limite shredder de "Need My Ride", introduction hard rock tape-à-l'oeil qu'un disque revendiqué sudiste tolère difficilement - il y a des codes à respecter !). "Call of A Hero" pourrait prétendre jouer dans la même cour que BLACK STONE CHERRY, mais toujours avec cette absence de mordant. Le thème de "Take Me Home" me fait étrangement penser au refrain "Everything You Need" du ALLEN COLLINS BAND... les spécialistes me confirmeront... Il y a des instants accrocheurs mais c'est toujours très hard rock et jamais véritablement sudiste dans l'âme, malgré la promesse du titre. On s'attaque aussi au sacré (la reprise d'"Ohio" de CSN&Y), avec une belle performance vocale, mais leur interprétation live, aux premières images qui circulent, est plus rentre-dedans que sur cette version studio un peu proprette.
Justement, le live, c'est aussi la croix que risque de porter ce groupe : un héritage tellement lourd de compositions qui ne sont pas les siennes en face duquel toute nouvelle chanson ne tient pas un instant la comparaison. Au risque de faire passer en concert ce BLACKFOOT 2016 pour un tribute band du BLACKFOOT 1982. Alors, un conseil les gars, vivez pleinement votre carrière, faites-vous plaisir, composez, enregistrez et éclatez-vous sur scène, mais de grâce, pour vous comme pour nous, changez de nom !