16 novembre 2016, 18:15

INTERVIEW VINTAGE

METALLICA - Lars Ulrich - Juin 1993

© DR - Phonogram

Le 13 juin 1993, METALLICA débarque à l’Hippodrome de Vincennes avec le “Nowhere Else To Roam Tour” et, dans ses flycases, THE CULT et SUICIDAL TENDENCIES, au sein duquel évolue alors un certain Robert Trujillo. Deux ans auparavant, les Four Horsemen ont commercialisé leur « Black Album », celui de la consécration. Flash forward. Vingt-six plus tard, le 12 août 2017, ce dernier son vingt-sixième anniversaire. Petit coup d’œil dans le rétro avec une interview “vintage” de Lars Ulrich

(HRM 105 – août 1993)

METALLICA
Les fans ont la parole

On se souvient du n° 103 de Hard-Rock Mag qui proposait aux valeureux lecteurs d’interviewer eux-mêmes les Four Horsemen à l’occasion de leur date parisienne, le 13 juin. La meilleure journaliste en herbe, désignée par le comité de rédaction de HRM, ayant été révélée en la personne de Christel Py, de Paris, l’heureuse élue, accompagnée de notre Lolo Faure locale, a rencontré l’inusable Lars Ulrich. Voilà comment tout a commencé.

Deux ans de tournée et une moyenne de trois interviews par date n’ont pas émoussé la légendaire logorrhée de Lars Ulrich. C’est sûr, le pire qui pourrait lui arriver serait une extinction de voix ! Profitant de ses bonnes dispositions naturelles, Hard-Rock Magazine proposait à Phonogram, maison de disques du quartette, d’organiser un concours, “Posez votre question à METALLICA”, qui donnerait à l’auteur de celle jugée la plus originale le privilège de rencontrer le groupe en noir – comprendre en fait le quart du groupe, mais quel quart !

Plusieurs centaines de questions plus tard et après de longues délibérations, c’est Christel Py qui remportait la timbale et l’honneur de rencontrer le volubile batteur le jour du passage du groupe à l’Hippodrome de Vincennes. Parallèlement, Stéphane Nevière, gagnant du concours “Sculptez le serpent de la pochette”, nous accompagnait dans cette aventure qui, bien que n’ayant pas lieu dans les îles lointaines (suivez mon regard* – NDJ 2016 :  au printemps 1993, Pestilence était parti à la rencontre du groupe à Porto Rico où le concert avait été annulé pour cause d'inondation) n’en fut pas moins un véritable parcours du combattant.

Après avoir affronté les odieux cerbères qui entourent le quartette et subi moult changements de planning, l’entrevue, prévue à 19h30, aura finalement lieu “après le concert”, c’est-à-dire à 1h30 du matin ! Heureusement, Lars s’avouera séduit par le principe de l’interview. « Je commence à en avoir un petit peu marre que l’on me pose toujours les mêmes questions sur Bob Rock et la tournée. C’est une bonne idée de laisser la parole aux fans. » De la cinquantaine de questions sélectionnées par la rédaction pour leur intérêt et leur fréquence, Lars ne répondra qu’à une petite dizaine, le temps étant compté.

Comment arrivez-vous à faire la différence entre vrais fans et profiteurs ? (Christel Py)
Quand tu as passé plus d’une dizaine d’années dans ce milieu, tu reconnais les profiteurs à leur attitude, à la façon dont ils te cirent les pompes, ne te contredisent jamais et boivent tes paroles. La plupart du temps, il suffit de regarder les gens dans les yeux pour savoir s’ils sont sincères ou non. Mais il arrive que l’on se laisse berner. Aux USA en particulier, on se laisse parfois prendre au piège des excès du rock’n’roll lifestyle. Tu es sans cesse entouré de gens qui veulent te fourguer de la drogue ou plus simplement t’offrir un verre pour impressionner leurs copains. Il nous arrive de nous laisser avoir mais dans l’ensemble, nous nous en sortons plutôt bien.

Demeure-t-il des démos de titres inédits enregistrés avec Cliff Burton ? (David Jadoul)
Non, nous avons tout utilisé. Bien sûr, j’ai des démos de nos premiers titres enregistrés en répétition ou des versions légèrement différentes des morceaux sortis sur les trois premiers albums. Mais à ce jour, il n’y a pas une seule chanson de METALLICA composée que nous n’ayons enregistrée et sortie. Nous utilisons tout ce que nous faisons.
 

« Je trouve intéressant de noter que METALLICA existe depuis douze ans et que le line-up Helfield-Ulrich-Burton-Mustaine qui a tant marqué les fans n’a pas duré plus de six ou sept semaines. L’union de ces quatre fortes personnalités ne pouvait pas être durable. » – Lars Ulrich


Penses-tu que l’évolution de METALLICA aurait été différente si Cliff et Dave Mustaine étaient toujours dans le groupe ? (Arnaud Cathelat, Arnaud Laparige, Philippe Aliard, Pascal Toupin)
Il m’arrive de me poser la question mais je pense que la réponse est non. Une des raisons pour lesquelles nous avons viré Mustaine, en dehors de son alcoolisme et d’un certain nombre d’autres problèmes, est que ça ne pouvait pas fonctionner. Chacun de nous avait une personnalité beaucoup trop forte pour que METALLICA soit viable. Je trouve intéressant de noter que METALLICA existe depuis douze ans et que le line-up Helfield-Ulrich-Burton-Mustaine qui a tant marqué les fans n’a pas duré plus de six ou sept semaines. L’union de ces quatre fortes personnalités ne pouvait pas être durable. Dans un groupe, il faut des locomotives et des musiciens qui suivent pour que cela puisse tenir la distance.
Pour ce qui est de Cliff, je ne sais pas s’il aurait accepté de jouer une ligne de basse aussi simple et dépouillée que celle d’“Enter Sandman”. Nous avons été obligés de calmer Jason (Newsted, le bassiste) qui voulait en rajouter et je pense que Cliff aurait peut-être refusé de la jouer telle quelle. Nous ne le saurons jamais. Pour répondre à ta question, je dirais que, considérant la forte personnalité de Cliff, la musique de METALLICA aurait forcément été différente, mais pas tant que ça.

Pourquoi avez-vous viré Mustaine ? (Camille Etter)
Comme je l’expliquais à l’instant, ses problèmes de boisson et sa dépendance à la drogue le rendaient trop incontrôlable. Quand nous avons composé “The Call Of Ctulu” et “Fade To Black” (présents sur « Ride The Lightning », sorti en 1984), qui étaient plus variés que le matériel de « Kill ’Em All », nous avons réalisé que nous avions besoin d’un guitariste plus mélodique que Dave car son approche musicale était trop restreinte. De plus, j’ai découvert par la suite, car je n’en avais pas conscience à l’époque, que James (Hetfield) et Dave ne se sont jamais vraiment bien entendus. Pour ma part, j’apprécie le genre de personnalité de Mustaine, son caractère imprévisible et entier d’écorché vif, mais la situation était beaucoup trop difficile à gérer.

Si vous aviez composé “Fade To Black” et “The Call Of Ktulu” à l’époque de Mustaine, pourquoi ne pas les avoir inclus sur « Kill ’Em All », sorti en 1983 ?
Parce que les dix titres de « Kill ’Em All » sont les dix premiers que nous avons composés, “Call…” et “Fade…” étant les onzième et douzième. Nous avons composé la moitié des morceaux de « Ride The Lightning » avant l’enregistrement de « Kill ’Em All». “Hit The Lights” est le tout premier titre que nous ayons écrit et “Whiplash” le dixième. Le huit suivants sont sur notre deuxième album.

Comment s’est passé votre concert à Milton Keynes, le 5 juin dernier, auquel vous avez convié MEGADETH ? (Arnaud Christophari)
Très bien ! En fait, MEGADETH nous accompagne sur plusieurs dates en Hollande, en Italie et en Suisse. Nous voulions qu’ils jouent aussi à Paris mais ils n’ont pas pu obtenir d’autorisation.

Peut-on considérer que la hache de guerre est enterrée ?
Oh man… Ces histoires de “haine” ont été amplifiées par la presse anglaise. Il est exact que pendant des années, Dave nous en a voulu à mort de l’avoir viré de METALLICA et il racontait pas mal de conneries dans ses interviews. Mais je le connais bien et je sais que c’est en quelque sorte du second degré. Il est parfois confus et je ne dis pas ça dans un sens péjoratif. Il lui arrive de trop jouer le jeu de l’interview et de répondre ce que l’on attend de lui. Il était normal que tôt ou tard, MEGADETH, qui est l’un des meilleurs groupes de heavy metal actuels, partage la même scène que METALLICA, comme le 31 décembre 1985 à San Francisco (NDLR : concert auquel s’étaient joints METAL CHURCH et EXODUS).
 

« J’aimerais penser que METALLICA est intemporel dans le sens où nous n’avons jamais été affectés par ce qui s’est passé autour de nous. J’espère sincèrement que notre succès durera. » – Lars Ulrich


Vous allez prendre des vacances pendant au moins un an avant de vous atteler à l’enregistrement de votre sixième album. Dans deux ans, pensez-vous que vous occuperez toujours une place prédominante dans la hiérarchie musicale ? (Stéphane Grimaldi)
Je ne sais pas. Nous voulons vraiment faire ce break, mais même si nous avions encore envie de continuer à tourner, il nous faudrait nous retirer pour nous faire un peu oublier du public. Cela fait deux ans que METALLICA est en couverture de tous les magazines et nous ne voulons lasser personne. Tout est devenu tellement imprévisible que l’on ne peut jurer de rien : qui aurait pu croire, il y a deux ans, que des groupes comme PEARL JAM, NIRVANA ou STONE TEMPLE PILOTS susciteraient un tel engouement et dépasseraient les ventes de BON JOVI et DEF LEPPARD ? J’aimerais penser que METALLICA est intemporel dans le sens où nous n’avons jamais été affectés par ce qui s’est passé autour de nous. J’espère sincèrement que notre succès durera.

Que feras-tu pendant ce break ? (Stéphane Chambon)
Quand tu es en tournée, ta vie est réglée comme du papier à musique, tu dois suivre un emploi du temps à la minute près (Lars brandit un planning format livre de poche où sont consignés ses moindres faits et gestes) tous les jours ! Impossible de faire autre chose que ce qui est prévu. Tu es toujours coincé et tu en arrives à développer un sentiment proche de la claustrophobie, tu as besoin d’air. J’ai envie de me réveiller tous les matins et de ne pas savoir ce que je vais faire – de pouvoir décider sur un coup de tête que je vais faire du scaphandre ou partir à Copenhague. Tous les jours, en tournée, tu as des responsabilités que certains musiciens fuient en buvant ou en se droguant, comme GUNS N’ ROSES ou ALICE IN CHAINS, qui a annulé sa tournée avec nous. Nous avons de la chance de ne pas nous en sortir trop mal.

Etes-vous mariés ? (Alain Azéri)
Kirk, Jason et moi avons été mariés mais nous avons divorcé.

Est-il trop difficile d’avoir une relation suivie avec la même personne quand on est sans cesse en tournée ? (Sylvie Perron)
Je ne peux parler que pour moi. Je me suis marié en 1986 et j’ai divorcé quatre ans plus tard. En y repensant, je comprends que j’étais beaucoup trop jeune et pas assez mûr. Mais après l’accident, j’avais et nous avions tous besoin de nous reposer sur quelque chose de solide. Ma relation avec mon ex-femme était très forte mais je crois que c’est surtout le disparition de Cliff qui nous a rapprochés et, au bout de trois ans, nous avons commencé à nous éloigner l’un de l’autre. J’ai été le premier marié du groupe et le premier divorcé et les autres font toujours comme moi (rires)… du moins pour ça !
 

« Quand tu as 20 ans et que tu tournes aux USA, tu expérimentes le sexe, les drogues et le rock’n’roll. Ça a duré cinq ou six ans, puis nous nous sommes calmés à l’époque du “Master Of Puppets Tour”, époque à partir de laquelle nous avons commencé à avoir des relations suivies et durables. » – Lars Ulrich


Et avant d’être mariés, quand vos moyens ne vous permettaient pas, comme maintenant, d’emmener votre petite amie en tournée avec vous ? (Christel Grincourt)
On s’amusait beaucoup (rires) ! C’est une facette de METALLICA sur laquelle nous ne nous sommes jamais beaucoup étendus car nous estimons qu’il n’est pas nécessaire d’étaler nos conquêtes, mais nous répondons sans problème quand on nous pose la question. Dans certains groupes, les musiciens se débrouillent toujours pour ramener ostensiblement la conversation sur leurs exploits : « Oui, je vais te parler du nouvel album, mais avant, laisse-moi te raconter ce que j’ai fait hier soir avec dix nanas… » Nous étions très jeunes lorsque nous avons formé METALLICA et nous n’avions que 18 ou 19 ans lorsque nous avons entamé notre première tournée américaine. Et quand tu as 20 ans et que tu tournes aux USA, tu expérimentes le sexe, les drogues et le rock’n’roll. Ça a duré cinq ou six ans, puis nous nous sommes calmés à l’époque du “Master Of Puppets Tour”, époque à partir de laquelle nous avons commencé à avoir des relations suivies et durables. Nous pouvons toujours boire autant et faire les mêmes conneries que les autres groupes mais nous n’éprouvons pas le besoin d’en parler, voilà tout. Contrairement à beaucoup, nous avons la chance de pouvoir contrôler nos excès. Quand nous en arrivons au point où nos délires affectent le show, nous arrêtons, tout simplement ! Nous n’avons pas à partir dans des cliniques spécialisées comme beaucoup de musiciens.

Quelle est la chose la plus étrange qu’un fan t’ait jamais demandée ? (David Leroy)
M’interviewer pour un magazine (rires) ! Je ne sais pas, je ne suis pas trop bon pour ce genre de choses. David Lee Roth te raconterait certainement une bonne dizaine d’anecdotes qui ne lui sont jamais arrivées, mais moi, je cale. Aux USA, tu rencontres souvent des mères avec leur fille qui te proposent de passer du bon temps… enfin, tu vois de quoi je veux parler ! C’est très marrant quand tu as 20 ans. Très souvent, les fans te demandent gentiment de venir chez eux boire un verre, dîner ou rester dormir. Attends, si, il m’est arrivé un truc bizarre chez moi, à San Francisco. Deux fans japonaises étaient devant chez moi et quand je suis sorti, une d’elles m’a expliqué que son amie venait d’arriver du Japon et ne savait pas où aller. Elle voulait savoir si elle pouvait s’installer chez moi, en contrepartie de quoi elle ferait le ménage, la cuisine et s’occuperait de moi. Je lui ai répondu que ça ne m’intéressait pas ! Mais ça m’a fait flipper de voir qu’elles avaient trouvé mon adresse. Elles ont refusé de me donner leurs sources.

Si tu as des enfants, les aideras-tu s’ils te disent un jour qu’ils veulent devenir musiciens comme toi ? (Laure Beaucé, Fabienne Charbonnier)
Franchement, je n’en sais rien. Je pense que j’aimerais partager mon amour de la musique avec eux. Mes parents ont toujours été très ouverts dans tout ce que j’ai fait, ils ont toujours accepté mes choix sans m’obliger à faire ce qui ne me plaisait pas. J’agirai de la même façon avec eux : s’ils veulent être musiciens, très bien, s’ils veulent faire autre chose, pas de problème.

Quand tu es sur scène, es-tu dans un autre monde ? (Philippe Santos)
Quand je joue, je suis dans un certain état d’esprit que je ne peux pas expliquer car il faut le vivre soi-même pour le comprendre. Nous gardons suffisamment le contrôle de la réalité pour savoir tout ce qui se passe et nous ne sommes pas dans un autre monde. Tu ne peux pas imaginer à quel point je suis concentré quand je joue. Je suis tout aussi concentré que quand je tourne sur un circuit de voitures de course. A plus de 250 km/h, si tu n’es pas très concentré, tu es très mort (rires) ! C’est un état d’esprit différent.

Selon toi, quel morceau résume le mieux METALLICA ? (Olivier Granger)
Je ne peux pas me contenter d’un seul morceau. Pour la période 1983-1990, “One”, et depuis, “Enter Sandman”. Je pense qu’ils sont les plus représentatifs du groupe et de son évolution.

Te bases-tu sur tes goûts personnels ou sur la réaction du public ?
Sur les deux (rires) !

Une panne inopinée de magnétophone marquera la fin de ce joyeux entretien et Lars, après avoir signé quelques autographes et s’être laissé photographier de bonne grâce, se retirera avec sa douce amie. N’espérez plus mesdemoiselles, son cœur est pris !

Blogger : Laurence Faure
Au sujet de l'auteur
Laurence Faure
Le hard rock, Laurence est tombée dedans il y a déjà pas mal d'années. Mais partant du principe que «Si c'est trop fort, c'est que t'es trop vieux» et qu'elle écoute toujours la musique sur 11, elle pense être la preuve vivante que le metal à haute dose est une véritable fontaine de jouvence. Ou alors elle est sourde, mais laissez-la rêver… Après avoir “religieusement” lu la presse française de la grande époque, Laurence rejoint Hard Rock Magazine en tant que journaliste et secrétaire de rédaction, avant d'en devenir brièvement rédac' chef. Débarquée et résolue à changer de milieu, LF œuvre désormais dans la presse spécialisée (sports mécaniques), mais comme il n'y a vraiment que le metal qui fait battre son petit cœur, quand HARD FORCE lui a proposé de rejoindre le team fin 2013, elle est arrivée “fast as a shark”.
Ses autres publications

2 commentaires

User
Erik le Rouge
le 16 nov. 2016 à 10:08
j'aime bien ces interviews .une idee; pourquoi ne pas compiler tous les interviews de metallica faits sur hr mag et hard force? sur papier ou sur le site?
User
Christophe Droit
le 16 nov. 2016 à 16:58
C'est une bonne idée, faire un dossier spécial METALLICA, même si cela a déjà été fait, c'est à réfléchir ;)
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