Metal et géopolitique : vous avez quatre heures. Ca tombe bien, revoilà ARKAN. Plan en trois parties, classique : l’album, le live report, l’interview. Dans l’intro, rappel du contexte : l’Orient, l’occident, les guerres, le terrorisme, les migrations, le nouvel album de METALLICA. Après un disque, « Sofia », qui n’avait peut-être pas toujours été bien compris par les fans et la critique (et qui avait été moyennement assumé, notamment sur scène, par le groupe), puis le départ de sa chanteuse Sarah Layssac, ARKAN est de retour depuis le 10 novembre avec « Kelem », un album qui ne passera pas inaperçu. Le 22 novembre, pour rassembler la famille et les amis, les garçons (désormais) et le label ont organisé une release party sur la Seine. L’interview avec Foued Moukid, gardien du temple d’ARKAN, et Manuel Munoz, nouveau chanteur : bientôt. Tout de suite une chronique mise en abyme dans un live report – ou l’inverse.
Les membres du groupe et la maison de disque auraient-ils pu prévoir que le retour d’ARKAN dans les bacs, avec « Kelem », allait être à ce point cannibalisé par la sortie de « Hardwired… To Self-Destruct », le nouveau METALLICA, une semaine plus tard ? Pas de bol, vraiment. Quelques confrères français et européens ont pourtant consacré une chronique à « Kelem » avant la sortie de l’album. Ils sont unanimes : d’abord ARKAN frappe extrêmement fort, avec un album sensible et puissant (dans un autre style, mais dans un esprit qui n’est peut-être pas si différent de celui de GOJIRA, avec « Magma ») ; ensuite l’intégration de Manuel Munoz, comme parolier et chanteur "clair", est une réussite complète.
Difficile de trouver une traduction univoque de « Kelem », comme terme arabe. Cette translitération personnelle à ARKAN évoque évidemment Qalam, "le verbe", au sens biblique : celui du commencement. Elle fait aussi référence à Kalâm, une théologie de l’Islam basée sur la discussion et la dialectique, concurrente tolérante des écoles obscurantistes évoquées en boucle par les médias – et qui n’est pas sans faire écho de manière amusante au goût immodéré du Judaïsme pour les discussions sans fin sur le sexe des anges.
Voilà comment se positionne en 2016 la figure de proue du metal oriental franco-méditerranéen : dans la réflexion profonde, la complexité, la symbolique, l’humilité – et une forme de mystère préservée. Pour ceux qui ont écouté « Kelem » et qui ont eu la chance d’en discuter avec deux des artisans de cet album singulier, mais universel par ses thématiques, l’attente est d’autant plus grande quand ARKAN monte sur Seine, à Petit Bain.
Le concert s’ouvre comme l’album, avec "Kafir", son arpège et sa minute de montée progressive vers le vif du sujet : mécréance, mort violente, foi, mensonge, des âmes et des esprits empoisonnés, avec peut-être, au bout, le double choix de l’apostasie et de la vie. Fabuleux morceau à clés, qui laisse d’emblée exploser la puissance et la gamme vocale de Manuel, pendant que le mur de son des instruments prend soin de l’échauffement de la nuque. « Kelem » est sobrement dédié à toutes les victimes du terrorisme, voilà déjà une clé.
L’intro de "Nour" (ce prénom arabe signifie "lumière") évoque une marche militaire, une entrée en guerre. Deuxième morceau de l’album et du set, il raconte l’histoire d’une petite fille qui rentre de l’école sous un bombardement. La rage de la voix de Florent répond aux émotions entremêlées de celle de Manuel. Quand on a écouté les morceaux de « Kelem » en lisant leurs paroles, comment ne pas être saisi par cette première livraison live ? L’adrénaline. C’est pour ça qu’on continue d’aller au concert, non ?
Ainsi se présente souvent « Kelem » à ceux qui auront envie de l’explorer : un jeu de piste pour émotions, un dialogue permanent entre la musique et la vie, entre les souvenirs, bons ou mauvais, et les espoirs pour l’avenir.
Le concert se poursuit sur "Inner Slaves" et "Deus Vult", deux des titres phares de « Salam » (2011). Avec celle de Sarah, c’est l’ombre de Kobi Farhi, le chanteur israélien d’ORPHANED LAND – guest sur le deuxième morceau – qui danse sur la scène, autour de musiciens ravis de retrouver leurs fans, entre deux panneaux qui magnifient l’artwork de « Kelem ». Signé Seth, par ailleurs chanteur et bassiste de SEPTICFLESH, le visuel ouvre à l’imagination de nouvelles portes encore. Cette créature mutilée et décharnée n’est-elle pas une cousine de celle qui orne « Extinct », le plus récent album de MOONSPELL, explicitement dédié au très regretté Peter Steele ? Les fantômes ne sont pas tous méchants, spécialement s’ils nous rejoignent pour headbanger, au moment où la fraternité méditerranéenne d’ARKAN se rassemble.
La deuxième partie du concert alterne les retours vers « Kelem » (avec le planant et envoutant "Just a Lie" ou le très directement malouf et violent "The Call") et les détours par « Salam » ("Origins") et « Hilal » (2008, avec "Tied Fates" et "Groans Of The Abyss") qui laissent parfois à Florent le devant de la scène, et la deuxième guitare à Manuel.
Il faut alors malheureusement clore la soirée, avec deux morceaux de « Kelem », évidemment : d’abord "Beyond The Wall", qui est peut-être le titre le moins percutant d’un album de très haute tenue, si on a vraiment envie de pinailler et d’exprimer un avis personnel ; "Erhal !" enfin, le premier single du disque et une orgie de violence exutoire, tous azimuts, qui laisse le public pantois et lessivé.
Reste à souhaiter à ARKAN une grosse tournée bientôt, pour partager la bonne parole de « Kelem », dont les immenses qualités, sur album et en live, parviennent à nous faire accepter l’absence de l’inoubliable déhanché de Sarah – sans parler de son sourire…
A très vite pour une interview de Foued Moukid et Manuel Munoz, qui reviennent largement sur la genèse de « Kelem » et les projets d’ARKAN.