Mesdames et Messieurs, une fois n’est pas coutume, nous allons attirer plus particulièrement votre attention sur l’aspect artistique de la pochette du troisième album de TRIAL intitulé « Motherless ».
Ce chef d’œuvre contemporain a été dessiné par Costin Chioreanu, accessoirement guitariste dans des formations roumaines assez peu réputées (du black metal avec BLOODWAY ou du thrash avec MEDIOCRACY), mais surtout brillant illustrateur au cahier de commandes bien rempli : PARADISE LOST, POSSESSED, SPIRITUAL BEGGARS, DARK THRONE, CANDLEMASS, POSSESSED, AT THE GATES, EINHERJER... Excusez du peu !
« Motherless », que l’on peut traduire par "orphelin" ou "sans mère" plus exactement, est emblématique du travail de l’artiste déstructuré et protéiforme basé essentiellement ici sur les spectres bleus et marrons.
Première chose qui frappe le regard : la présence de dualités qui s’opposent autant qu’elles se complètent : les triangles face aux ronds, le solide et le liquide, le matériel et l’immatériel, le masculin et le féminin, le figé et le fluctuant, le bien et le mal.
L’illustration se scinde horizontalement en deux grands ensembles : la partie haute où se trouve le visage blanc (l’immatériel) dont les courbures tout autour s’apparenteraient aux pensées ou aux synapses, la partie basse (le matériel) représentant l’univers. Plusieurs formes triangulaires apparaissent dans l’illustration : la chevelure du personnage central, sa cape en deux parties, son sexe à la fois masculin et féminin (selon le sens) ainsi que le A de TRIAL et les V que forment son cou et la silhouette des oiseaux. De l’autre côté, nous avons en opposition la forme ronde du visage, celui du cœur d’où émerge une lumière, le rond des planètes, des étoiles et du soleil caché dans les entrailles, le rond du cerveau de l’enfant, les ronds sous les lettres du nom du groupe.
Nous constatons également la présence symbolique des 4 éléments : la planète gorgée d’eau qui s’écarte pour laisser la place (terre) à l’embryon, le feu intérieur au centre de l’image et l’air dans les alvéoles de la cape ressemblant à des branchies, dans les ouvertures "pulmonaires" du corps ou dans la chevelure. L’air enfin qui permet aux oiseaux de voler.
Nous sommes à n’en pas douter en présence d’une représentation de la déesse créatrice (la nature, donc) qui a enfanté l’univers et qui, une fois l’espèce humaine créée symbolisée par le fœtus, semble diriger ses pensées vers d’autres préoccupations plus lointaines. Le terme "orphelin" prend ici alors tout son sens et se libère ici de toute interprétation religieuse. Chacun peut comprendre que la nature existait bien avant notre propre existence et qu’elle existera bien longtemps après. C’est une force incommensurable qui avance, quelques soient les obstacles. Même si par malheur un jour nous détruisons la terre et la rendons stérile, l’univers continuera son expansion et les planètes du système solaire de tourner. La race humaine, par son histoire et son impact, demeure insignifiante à l’échelle de l’univers, par déduction la vie d’un homme ou d’une femme pire encore. Cette vision proche du paganisme pose alors la question de la pertinence qu’aurait une divinité de guider un être humain à l'existence si courte, par de quelconques commandements ou recommandations; l’absence de main dans le dessin renforce cette idée. La main qui créé, qui punit, qui caresse, qui dénonce, qui explique : la nature n’en a pas besoin pour accomplir tout cela malgré tout. Elle n’a jamais rien écrit à l’intention des hommes car elle s’y est prise autrement en l’inscrivant dans ses gènes (cordon ombilical).
La partie corporelle de "mère nature" (dont les cheveux ressemblent à des racines ou des écorces comme un rappel à l’arbre de vie Yggdrasil utilisé dans la mythologie nordique, notamment) met en évidence les principaux traits de l’existence : le "pouvoir" du sexe (feu) qui fixe les âmes en ce monde et assure la pérennité de la race. La partie gauche du corps qui ressemble au système digestif rappelle aux obligations du plan matériel comme au cycle du renouvellement de la matière. Le cœur prend, lui, l’image du tunnel que voient ceux qui ont connu des NDE (Near Death Experience) comme s’il s’agissait d’une porte vers l’au-delà qui s’ouvre quand l’organe cesse de palpiter. On peut y voir également la lumière qui guide le monde personnalisé par l’amour, la compassion et la générosité.
Lorsque le spectateur regarde l’illustration dans son ensemble, le corps de "mère nature" disparaît et prend la forme d’un visage masculin, celui d’un démon borgne au nez biscornu (un Oni peut-être, vêtu de son chapeau de paille de riz conique et d’une longue cape noire), bouche grande ouverte. Sans doute la matérialisation des forces négatives qui empêchent l’élévation de l’âme (les oiseaux) sur un plan uniquement spirituel. Mais est-ce vraiment le but de l’âme ? Ne faut-il pas y voir un cycle de renouvellement de l’immatériel ? Avec la mère nature, l’embryon et le démon mâle, nous voici devant une vision de la trinité (repris par le nom du groupe, les 3 points sous les lettres A et R) : le père, la mère et le nouveau-né... Finalement eux-aussi dénués du sens accaparé par les religions, ce qui est précisément le but recherché par la pochette de « Motherless » : une vision païenne de l’existence.
Voilààààà ! C’était le quart d’heure intello du jour (moi j’vais aller me prendre un Doliprane…). Il aurait été souhaitable que le groupe TRIAL soit aussi intéressant que la pochette qui illustre si brillamment le nom de leur album. Il n’en est rien, malheureusement, TRIAL s’empêtrant dans du heavy plaintif et braillard un brin psychédélique (comprenez "long et pénible"), véritable copier/coller de PORTRAIT qui empruntait déjà à KING DIAMOND et à CANDLEMASS en moins bien déjà. Selon les titres, on alterne entre riffs heavy metal années 80 ("Cold Comes The Night") avec des chœurs années 70 ("Juxtaposed"), du gros mou ("Birth") avec du méga-rapide ("Aligerous Architect"), le tout sur des structures alambiquées qui sonnent moins metal que sur "Vessels", l’album précédent (à croire qu’ils n’étaient pas dans leur assiette ce jour-là… mdr).
On finit par se demander dans quelle direction les Suédois veulent bien aller… Ils ne le savent sans doute pas eux-mêmes.