11 avril 2017, 23:49

GHOST

@ Paris (Olympia)

Jusque là, tout était parfait. Idéal. Une belle journée presque-d’été comme on les aime, embaumée de ce doux parfum estival qui prend possession de la capitale quand on aime tant flâner quelques heures avant un concert, ce genre de moments où les terrasses des cafés autour de Bercy sont prises d’assaut pendant que les marches du dôme de béton gazonné deviennent invariablement le théâtre d’apéros houblonnés en ces fins d’après-midi de juin avant LE concert pré-estival. See what I mean ? Ce genre de vibrations régnait bien dans l’air de ce 11 avril, quelques heures avant l’un des concerts les plus attendus de l’année - au même titre que le GOJIRA dix jours plus tôt dans ce même Olympia mythique qu’ils ont tant mérité, que le GUNS N’ROSES bientôt au Stade de France, et que le METALLICA à la rentrée.
Mieux encore : avec la fine équipe de METAL XS, on avait rendez vous à 17h30 avec A Nameless Ghoul pour une entrevue dans les loges de l’Olympia. L’excitation est bien là : on suit GHOST depuis la révélation du premier album, lorsque le label Rise Above nous avait envoyé « Opus Eponymus » en 2010. De ce hard-rock antique aux saveurs méphistophéliques au sein duquel s’insinuait un retour bienvenu au shock-rock irrévérencieux, et bordé de solennité gentiment satanico-cheap, on en tirait de grands espoirs. En une poignée d’années, le buzz a grandi, colossal, les rumeurs les plus folles se sont propagées dans l’underground, et les disques se sont succédés, avec une maîtrise affirmée du songwriting, et, succès aidant, une popularité qui divise grandement la communauté metal, creusant des écarts abyssaux entre admirateurs de plus en plus obsédés par l’image du groupe, et haters de tous poils.



De notre côté, on applaudit l’entreprise. Vraiment. Sincèrement. GHOST prolonge l’esprit mystique du BLUE ÖYSTER CULT et entretient une image savamment orchestrée, un decorum habile et une identité mystérieuse. « Infestissumam », puis l’EP « If You Have Ghost » et ses reprises déroutantes : rien ne peut cependant annoncer le carton réalisé en 2015 avec leur troisième album « Meliora », qui enflamme les fans, touche les radios avec "He Is", et attise de plus en plus la polémique. Ici, on adore encore plus, presque aveuglément tant GHOST symbolise toute une sensation que l’on n’avait pas réellement retrouvé depuis le carnage SLIPKNOT, jeux de masques et anonymat théâtral obligent. Et ce n’est pas ce fameux nouvel EP « Popestar » balancé à la rentrée 2016 qui allait nous faire vaciller, et encore moins douter : après un disque foncièrement metal quoique sublimé d’arrangements plus accessibles, GHOST osait à nouveau le jeu des reprises, stellaires, abordables - ou alambiquées -, témoignage finalement risqué de leur audace artistique. N’empêche que si cet EP a plus que jamais précipité l’écart entre les fans et ceux qui le méprisent, GHOST n’a jamais été aussi puissant, arrogant et dominant sur une scène metal si désespérée de trouver ses nouveaux hérauts, pour assurer la relève.

Il ne me manquait qu’à confirmer tout ça sur une scène digne de ce nom. Ma seule réelle expérience live avec GHOST fut en plein jour lors de la seule journée consacrée au metal du Main Square Festival à Arras en juillet 2014 : franchement, la scène encore ensoleillée avait rendu les Suédois complètement inoffensifs, et bien fades. Sans contraste, sans menace, sans effets, sans cette théâtralité, l’aspect masque en mousse et costumes synthétiques fut décuplé par un manque total de prestance, aux antipodes de la sensation recherchée. Ouais bof, quoi. Heureux d’entendre les chansons, mais déçu par une prestation ultra tiède. 
Le show, apparemment phénoménal pour certains, donné à Clisson l’an dernier au Hellfest s’est déroulé devant moi sans réelle implication : c’est en essayant de conserver une place raisonnable pour le show de BLACK SABBATH devant la Main Stage 1 que j’observai par écrans interposés ce qui était en train de se dérouler sur la Stage 2, alors que GHOST délivrait un show très attendu. Là encore, mon investissement dans le concert est minime : je ne suis pas dedans, et je ne peux absolument pas me faire un avis ainsi. Non, j’attends de les voir dans une vraie salle pour pouvoir enfin juger. Si sur disque je suis vraiment conquis, c’est sur scène que mon opinion prendra une toute autre tournure - non sans une certaine impatience.



Si l’on a volontairement zappé la prestation de ZOMBI - duo synthétique et progressif à la Goblin -, la fébrilité est à son comble pendant les quelques dizaines de minutes passées à attendre le groupe dans la fosse - cette sensation encore agréable d’être dans une expectative languissante et de ne toujours pas passer pour un vieux con blasé, tout en partageant cette même impatience avec le reste du public, complètement chauffé à blanc. 

C’est donc à 21:14 précises, comme annoncé, que l’intro habituelle se fait entendre alors que l’Olympia est plongé dans le noir. Et quel frisson jusqu’à l’apparition des Nameless Ghouls et de Papa Emeritus, dans une explosion de fumée, au son de ce "Masked Ball", montée en puissance bien dark, sulfureuse et mystique. 
Ca y est ! GHOST est en pleine possession de la scène, le public est en transe, et chaque mouvement étudié de Papa Emeritus est scruté comme l’avènement d’un Messie. Une vraie Pope Star en somme, comme l’annonce si justement le nom de cette dernière tournée européenne. La mise en scène est intéressante : les lumières jouent entre ombres et balayages subtils, et parviennent à créer l’illusion avec cet inamovible rideau de fond de scène, backdrop façon vitraux, tout de même un peu passéiste et peu réaliste. Pas grave, on reste dans l’univers du metal à Papa (…), et certains trucs continuent à fonctionner - sans réelles surprises. 
Musicalement, les Nameless Ghouls font le job : ses nouveaux musiciens sont carrés et efficaces, et s’approprient le jeu solide déjà façonné par ceux qui se font désormais entendre à visage découvert, et qui intentent une action en justice à leur ex-patron ex-gourou. Peu importe cette polémique aussi fraîche qu’inédite, le hard-rock de ce soir est saignant et c’est tout ce que l’on attend. Si les Ghouls restent quant à elles forcément mystérieuses et charismatiques, tous les regards sont portés sur Papa Emeritus, IIIème du nom. 
Mais en ce qui me concerne, c’est principalement là que la déception commence à éluder tout le reste. Derrière le masque, derrière le maquillage, derrière ces robes, derrière ces costumes, derrière ces poses, amples, maniérées, solennelles, il n’y a pas grand chose. Pas de substance. Pas de réelle personnalité. Pas de profondeur. Rien de vraiment accrocheur, rien de vraiment choquant, rien de croustillant. Rien de rock’n’roll. Si ce chanteur est indiscutablement en voix, elle reste monotone et sans malice, sans ce petit quelque chose de grinçant qui pourrait nous faire frémir, qui pourrait nous inquiéter. Même si l’ajout de choeurs renforce l’aspect grandiloquent et massif de l’ensemble, l’émotion est plate. J’ai alors l’impression de flotter parmi des fans en liesse, parmi des jeunes gens gorgés de passion en plein messe païenne - mais je ne ressens RIEN. La nuque, elle, fait ce qu’elle a à faire : bouger ma tête, instinctivement - aucun doute, les morceaux qui s’enchainent sont accrocheurs. Rien à dire sur toutes ces compos, magistrales, que l’on retrouve magnifiées sur scène et sur lesquelles on fantasmait depuis d’innombrables écoutes sur disque. C’est "Square Hammer", seule chanson originale de l’EP « Popestar », qui ouvre le bal, le concert n’étant ensuite qu’une succession de hits occultes, qui visitent les trois opus du groupe. De "Con Clavi Con Dio" à "Cirice", les chansons s’enchainent avec plaisir, l’enchainement "Mummy Dust" et "Ghuleh / Zombie Queen" étant entre autres absolument délectable.



Mais les discours assénés par Papa Emeritus sont complètement stériles - voire débiles -, et meublent sans substance quelques minutes de show par ci par là où tout l’élan artistique retombe à plat. Ces mêmes discours s’avèrent d’ailleurs aussi effrayants que ceux d’un intermittent du spectacle chargé d’accueillir les enfants dans une attraction de Disneyland Paris. Vraiment peu impressionnant : on se tue à se plaindre que l’on vit aujourd’hui dans une époque définitivement aseptisée, GHOST sur scène nous en confirme la tendance. C’est du shock-rock pour fillettes. De la mise en scène grotesque et sans la moindre once de dangerosité. Encore une fois, on ne va pas faire le coup du « c’était mieux avant », d’autant que, sans cynisme aucun, on sait que de nombreuses légendes sulfureuses de l’univers du metal ont été savamment orchestrées pour générer des coups de pub fumants. Même le maître absolu de la mise en scène, le vénéré Alice Cooper, qui était le premier à avoir recours à des astuces de plus ou moins bon goût, dégageait-il - et dégage-t-il même toujours !!! - une aura absolument magnifique et redoutable, un charisme franchement impressionnant. Seulement voilà, après Cooper, quoi faire ? Qui ? Dur dur, j’en conviens… Mais ce Papa Emeritus, qui a au moins ce mérite de bien savoir vendre son image auprès des médias et de ses partenaires des corporations de merchandising, ne possède vraiment rien de transcendant. Il ne s’agit là que d’une pantomime de spectacle faussement satanique et complètement édulcoré. Un ersatz peinturluré de star du rock, mou et poseur. Une imposture, où tout est si tristement calculé - on en pardonnerait si facilement le dessein si seulement on se surprenait à y trouver quelque chose de voluptueux, d’enivrant, de scandaleux. Leur dimension implicitement érotique est aussi insipide que l’aspect faussement irrévérencieux de cette mascarade religieuse reste terne. Et au-delà du concept, le spectacle ne peut pas reposer sur ces quelques colonnes de fumée, ces quelques flammèches (ah ! de la pyrotechnie !), et de ces rideaux de décor de nef posés sur une tringle. Du music-hall en roue libre, avec une absence totale de magie. Mais reste l’orchestre, que l’on ne saura trop s’acharner à applaudir.



Alors on ne recherche pas forcément l’outrage ni la performance suicidaire à tout prix : juste suffisamment de frisson et de quoi vraiment bander un peu. Et bâtir une vraie légende - fut-elle moderne. Encore une fois, je salue sans équivoque la prestation musicale de GHOST : on a affaire à une vraie vision artistique, pas forcément très originale, mais super bien foutue, entre hard-rock 70’s et pop réelle, sans complexes. Quelque chose qui rappelle bon nombre de références pour les anciens, et qui peut se fredonner tout à fait innocemment. Mais je suis près à parier du TRES LOURD que sans tout l’attirail, sans cet apparat bien orchestré, sans cette recherche de l’image à tout prix, GHOST n’attirerait pas grand monde, et qu’il serait loin de la sensation qu’il est indiscutablement aujourd’hui. 
C’est con, KISS est déjà passé par là. Si on peut en rire à quarante ou cinquante ans dans les années 2017, dans les années 70 c’était du sérieux, du jamais vu, de la science fiction. On ne peut plus remuer les mêmes artifices sans leur dose de soufre, de sexe et de rock’n’roll. Sans réels épices, la recette est fade.

Tant mieux pour eux, tant mieux pour les fans, tant mieux pour les ateliers de fabrique de t-shirts à Guangzhou. Mais moi, désormais, je me contenterai de GHOST dans mon salon, entre deux enceintes. Et en fermant les yeux, je m’imaginerai mon propre délire. Comme avec un bon bouquin, sans passer par la nécessaire adaptation cinématographique ratée.


Galerie complète par CélEye Kopp dans le portfolio.


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