28 août 2017, 10:52

QUEENS OF THE STONE AGE

• "Villains"

Album : Villains

Bonne France oblige, il est depuis un moment de bon ton de dénigrer les QUEENS OF THE STONE AGE. La faute à une présence très populaire quasi réservée aux festivals bobos, tels que Rock En Seine, et qui a vu une grande partie de leur public initial s'écarter du phénomène. Et la faute aussi à cette même bande d'initiés qui n'a jamais digéré que le groupe aille plus loin que la sphère enfumée des clubs, que le talent du grand rouquin soit désormais reconnu et surtout adopté par des légions de fans bien peignés ou à la mèche bien plaquée, finition étudiée du jeune rockeur looké par papa et maman.
On grince en effet parfois des dents plombées de devoir se retrouver au milieu de milliers de gens vêtus des mêmes jeans noirs slims et des mêmes Perfectos flambant neufs, voire punaisés de quelques badges vintage aux slogans à propos, et de constater qu'ils n'ont pas forcément compris ce à quoi ils avaient affaire - tout ce qui importe, c'est d'être là, c'est de voir Joooosh clope au bec, désinvolte, de calculer sa classe, de brailler "Feel Good Hit Of The Summer" ou de se dand(y)ner sur "Make It With Chu".
Peu d'entre eux savaient qu'il remplissaient à peine un Arapaho ou un Divan du Monde il y a vingt ans, et que peu de temps après, ils ridiculisaient MONSTER MAGNET à l'Elysée-Montmartre, alors qu'il n'assuraient que leur première partie. Nous y étions, et depuis, nous applaudissons et le talent, et l'envergure.
Avec ou sans Nick Oliveri, avec ou sans Dave Grohl.

Les ignorants et autres limités du bulbe ne savent d'ailleurs pas vraiment comment s'y prendre pour circonscrire l'entité QUEENS OF THE STONE AGE. Forcément affilié à la scène desert-rock, le projet protéiforme de Josh Homme n'est certainement pas ce que l'on pourrait qualifier, même au sens le plus large de l'expression, du stoner - qui avait de toutes façons déjà posé tous ses fondamentaux lors de la première moitié des années 90 : au-delà, c'est même du gras, sans jeu de mot.
S'il a pu être à raison identifié à cette scène balbutiante avec ses premiers travaux (le tout premier enregistrement "18 A.D." sur la compile made-by-Roadrunner
"Burn One Up ! Music For The Stoners", puis sur le split-EP partagé avec son défunt groupe KYUSS, le temps de morceaux enregistrés en tant que GAMMA RAY, déjà dispos en 45-tours - ainsi que le premier album éponyme, qui laissait déjà entrevoir de sérieuses possibilités de tangentes aventureuses en 1998), QOTSA démontre dès "Rated R" en 2000 qu'il sera désormais totalement inapprivoisable, juste au moment où il rentre aussi dans une autre cour.
Hors du temps, hors du champ, hors du lexique.
Et dès lors que l'on parle musique avec Josh Homme, il ne sert à rien de remuer les sempiternelles histoires de Generator Parties clandestines et poussiéreuses au fond des canyons du low-desert. Parce que l'homme en question est justement un aventurier de la quête sonique. Pour lui, le rock 'n' roll ne se limite pas au bas plafond orchestré par des guitares sous-accordées et filtrées par des amplis de basse, sous peyotl et THC.

Josh Homme ne jurait alors que par Iggy Pop, que ce soit les trois albums des STOOGES ou ses deux premiers opus solo sous perfusion Bowie. Mais ce n'est pas tout : le chanteur est aussi éduqué au punk-hardcore US, façon GERMS ou BLACK FLAG, et se passionne pour le strict autre bout du spectre, au rayon kraut-rock allemand, en piochant ses délires hypnotiques chez CAN ou AMON DUUL II, voire le robotisme de KRAFTWERK.
Tiens, un indice que je ne donne généralement qu'aux amis : écoutez un peu le "Mother Sky" de CAN. Un peu, pour voir. Comprendre, vous allez.
Pour assaisonner le tout, une bonne dose de transe-funk, si possible école James Brown, et derrière une myriade de groupuscules fiévreux qui viennent titiller ce sens du groove, et de quoi faire décaniller les rotules d'Elvis à force de bouger son bassin.
Et comme Tarantino au cinéma, Homme est friand de toute bizarrerie exotique et bancale, que l'on ne rangera que dans la case "bis".

Et BLACK SABBATH ? Connait pas, par contre.

En revanche, une des façons dont il envisage de créer de la musique, c'est sous la forme d'un laboratoire avec, entre autres, ses Desert Sessions.
Au nombre de dix volumes, ces expérimentations voient le géant chanteur guitariste et des potes musiciens (reconnus ou anonymes de la scène locale) s'échanger leurs instruments et créer de la matière, harmonieuse ou foutraque, de manière spontanée sur une base d'improvisations.

Et sans forcément comparer ces récréations au reste de son travail plus rigoureux et orchestré, la musique des QUEENS OF THE STONE AGE s'apparente toutefois à ce que l'on peut caractériser du plus proche de la liberté créatrice totale.
Zéro formule et le plaisir complètement égoïste de brouiller les pistes et d'innover, sans calcul.
Et ça, que ce soit les gentils bobos de St. Cloud absorbés par la coolitude contagieuse de Jooooosh ou encore l'intelligentsia de la presse britannique branchée, rien ne pourra le faire dévier de son axe : créer, tout en pouvant remuer son corps de la manière la plus convulsive souhaitée.

Et dès le début de ce septième album tant attendu, comment ne pas voir d'emblée un prolongement de son association avec John Paul Jones au sein des incompris THEM CROOKED VULTURES ? Si le morceau démarre comme un instrumental pompeux, genre peplum kitsch et cauchemardesque arrosé de synthétiseurs acides entre ceux du "Low" de David Bowie et GOBLIN, "Feet Don't Fail Me" se vit comme une sévère invitation à la danse. Et justement, la sophistication du rock électronique de Bowie vient irriguer le funk du "Trampled Under Foot" de LED ZEPPELIN, en mode caoutchouteux, élastique, groovy baby. Qui peut résister à ÇA ??? Qui peut décemment ignorer ses propres sens primitifs et s'empêcher de bouger son big booty comme une prostituée nicaraguayenne au fond d'un juke-joint ?

"The Way You Used To Do" conjugue le glam de T-REX et le boogie-rock hillbilly sous amphèts de ses EAGLES OF DEATH METAL, avec ces claps de main qui enjoignent à la fête et cette guitare maigrelette qui tourne comme une obsession. Plus loin, dans un ordre d'idées similaires, "Head Like A Haunted House" s'emballe dans une frénésie carrément punk, en rognant sur le territoire des CRAMPS, façon speed et fausse low-fi.
Mais aucune de ces premières indications ne pourra vous donner une idée de la couleur principale de l'album. Si un lien sensible le rattache toutefois du précédent "...Like Clockwork" en 2013, rappelons que celui-ci marquait l'achèvement d'un processus douloureux et post-dépressif, fort marqué par la présence en filigrane de David Bowie, période "Station To Station". Bowie qui faisait à nouveau le lien sur l'oeuvre suivante, cette fois le "Post Pop Depression" d'Iggy Pop, complètement emprunt de ces fructueuses collaborations opérées entre l'américain et l'anglais, à travers leurs deux albums entre Hérouville et Berlin dans les années 76-77.
Bien sûr une telle empreinte ne s'efface pas de sitôt et l'on en perçoit encore les stigmates ci et là sur certains titres ("Fortress"), ainsi que sur des colorations instrumentales si cliniques et glaciales - principalement ces touches de synthés qui ramènent si naturellement aux balbutiements de la new-wave, en mode expérimental.

Pourtant "Villains" est clairement un disque rock, quoi qu'en disent déjà ceux qui ne l'ont pas encore écouté, pour beaucoup à cause de la présence de Mark Ronson derrière la console.
S'il y a définitivement un aspect pop et dansant voulu, le rock des QUEENS OF THE STONE AGE est paradoxalement aussi élémentaire et instinctif qu'il est si sophistiqué et parfois retord dans ses formulations. Le pont idéal entre rock dur et danse, et entre musicalité et sexe, idéalement agencé par le producteur du moment, grand sujet à polémique.

Clairement rock, donc, avec un son aride et minéral comme sur leur album "Era Vulgaris", mais ici arrangé avec une telle ingéniosité : Bowie est encore là sur "Un-Reborn Again", cette fois à son époque "Scary Monsters (And Super Creeps)" au tournant de 1980 (rappelez-vous des tubes "Fashion" et "Ashes To Ashes"), lorsque les claviers, ronds et généreux, ne rappellent pas parfois la power-pop synthétique de THE CARS.
Le brillant "The Evil Has Landed" redéfinit le classic-rock zeppelinien à travers un prisme néo-rétro : ne manquait presque qu'une cow-bell martelée pour compléter la frappe sèche enveloppée de basse chewing-gum gluante, ici une nouvelle formule des plus excitantes et imparables, les pas de danse agiront sans le vouloir jusqu'à ce que le morceau s'accélère le temps d'un sprint final.
Enfin, l'album se clôt sur "Villains Of Circumstance", qui pique ouvertement la basse du "Walk On The Wild Side" de Lou Reed le temps d'une première partie éthérée et limite ambient, avant que son refrain, plus conventionnel mais néanmoins solaire, ne l'emporte.

Une fin de disque grandiose sur lequel Josh Homme chante divinement bien, et qui risque de chahuter quelque peu nos habitudes d'écoute, tant "Villains" va demander un certain nombre de relectures pour pouvoir en appréhender toutes les subtilités.
Le travail opéré est ici magistral et Homme un réel génie, qui se contre-fout pas mal de ce qu'on va tous en penser. Et la coolitude absolue c'est avant tout ça.
Punk, qui plus est : "dont give a good damn fuck". 

Mais alors, c'est quoi cette histoire ? Du kraut-funk californien ? Nul le sait, et c'est diââââblement bon. 

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
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