10 septembre 2017, 11:42

PROPHETS OF RAGE

• Interview Tom Morello & B-Real

Bras tendu, poing levé, arborant une guitare sur laquelle est inscrite une gentillesse sans équivoque à l'égard du nouvel occupant de la Maison-Blanche, Tom Morello est tel qu'on l'a toujours connu : engagé. Mais le fossé des inégalités et des injustices entre classes dirigeantes et les laissés-pour-compte de la société s'est creusé plus que jamais depuis 25 ans et les premiers soubresauts révolutionnaires de RAGE AGAINST THE MACHINE. Morello ne pouvait donc rester impassible face aux évènements politiques qui secouent l'Amérique et, par extension, le reste de la planète. Armé du RATM originel - sans Zack de la Rocha- , il a trouvé de nouveaux porte-voix en Chuck D (PUBLIC ENEMY) et B-Real (CYPRESS HILL) dont la légitimité à bousculer les consciences apparaît comme une évidence.
PROPHETS OF RAGE : un nouvel appel à la mobilisation et à la résistance dans une société parvenue au bout de son modèle.


Nous nous rencontrons aujourd'hui dans le cadre des festivals d'été. On aura découvert PROPHETS OF RAGE en France d'abord dans cet environnement avant de voir la formation en salles. C'est un contexte qui vous plaît ?
Tom Morello : Absolument. Il n'y a rien de tel que le sentiment de jouer de la musique que tu as écrite ou de la musique que tu aimes devant un public qui t'est reconnaissant et ce, à travers le monde. C'est un boulot plutôt très sympa, je trouve. Mes ancêtres étaient des mineurs de charbon dans le centre de l'Illinois, donc ils ont passé toute leur vie à trimer dans une mine. Moi, j’ai de la chance de jouer du rock par une belle journée en France. On a vu pire, non ?

Pourrions-nous revenir quelques instants sur la genèse du projet. Quel a été l'élément déclencheur de votre rencontre, ce qui vous a poussés à faire de la musique ensemble ?
B-Real : Eh bien, tu sais, ces deux gars-là, Trump et Bernie Sanders, parlaient de s'élever contre le système en reprenant l'expression "rage against the machine" à leur compte. Ça a réveillé chez nous une furieuse envie de réagir...
Tom Morello : J’étais très très... énervé !
B-Real : Oh, ça, c'est sûr qu'il était énervé. Il a appelé Tim et Brad et leur a dit : “Nous devons jouer cette musique à nouveau et partout. Nous devons réveiller les gens." Ils nous ont appelés, Chuck et moi. Ça semblait génial sur le papier, mais une fois réunis, nous avons compris que nous tenions quelque chose de vraiment très spécial. En plus, de cette première tournée pour réveiller les consciences, nous nous sommes sentis obligés de proposer davantage. Autant y aller et utiliser l’alchimie qui existe entre nous en tant que soi-disant "supergroupe", créons de nouveau morceaux qui évoquent ce qui se passe aujourd'hui dans notre société.

Et là, pas de chance, malgré tous vos efforts, Trump est élu. Comment expliquez-vous que cela se soit produit ? C'est un gros revers pour vos convictions...
B-Real : Je pense que les gens étaient fatigués des politiciens après des années et des années à entendre les mêmes mensonges, sous différents noms ou étiquettes politiques qui s'y rattachent. Les gens ont perdu confiance et il y a une grande déconnexion entre le peuple et les hommes politiques. Et c'est devenu une prise de position pour certaines personnes - peut-être la mauvaise prise de position, mais une position néanmoins - et ils l'ont exprimée en disant : “nous sommes fatigués de ces politiciens.”
Ce qui est important, c'est que cette élection ait réveillé les gens. On a aujourd'hui à notre tête un gars qui n'a aucune expérience dans le fonctionnement d'un gouvernement. C'est une star de la télé-réalité. Et cela nous a fait peur, c'est ce qui nous a poussés à faire ce que nous faisons-là, pour nous opposer aux injustices et aux aberrations qui se produisent dans le monde, et pas seulement chez nous. Je pense que c'était une surprise pour beaucoup de voir cela se produire. Voilà ce qui arrive lorsque les gens s'endorment.

Vous espérerez quoi, maintenant qu'il est à la Maison-Blanche ? Sa destitution ?
Tom Morello
 : Je ne suis pas sûr que ce soit la bonne option. S'il est destitué, nous aurions Pence comme président, qui est d'une certaine manière pire, parce que c'est un vrai administrateur, qualifié en tant que fasciste, et pas  le clown homme/enfant que nous avons actuellement.
B-Real : Il n’y a pas de moyen de s’en sortir. Nous sommes foutus avec ce gars et nous serions foutus avec l’autre.
 


(Photo Renaud Corlouër/HARD FORCE)
 

"Trump et Bernie Sanders parlaient de s'élever contre le système en reprenant l'expression "rage against the machine" à leur compte.
Ça a réveillé chez nous une furieuse envie de réagir" - 
B-Real

 

On en arrive donc à la grande question : en quoi la musique peut-elle changer la donne et éveiller véritablement une conscience politique et sociale au coeur du public. Après toutes ces années de combat, tu y crois encore, Tom ?
Tom Morello : Certainement. La musique m'a aidé à me réveiller dans ma vie, et cela résonne de manière définitive à travers une forme d'art unique. Trump est la mauvaise réponse à la bonne question, et la bonne question est de savoir pourquoi le gouvernement et la société ne répondent pas aux besoins du vrai peuple. C'est un terrain fertile pour un néo-fasciste raciste et misogyne de condamner les boucs-émissaires habituels - immigrants, personnes de couleur, musulmans - et les problèmes sont en réalité causés par une économie grotesque et les deux partis politiques de notre pays profitent de cette inégalité. La musique possède une caractéristique très unique : c'est une forme originelle de communication humaine, quelque chose de profond dans l'ADN de chacun. Quand la bonne combinaison entre le rythme et le message est atteinte, cela touche à la vérité. Et pendant toute notre carrière, dans tout ce que nous avons fait, nous avons essayé de dire la vérité. Et nous le faisons aujourd’hui encore.

Il y a quelque chose de Woody Guthrie dans ta démarche artistique...
Tom Morello : Je prends cela comme un compliment.

Je le dis d'autant que tu as participé à la reprise de "Old Man Trump"...
Tom Morello : Oui, c'était une chanson de Woody Guthrie (chanteur/guitariste folk américain engagé - 1912-1967 NdlR). Il l’avait écrite à propos de ... En fait, le père de Donald Trump (Fred Trump) était le propriétaire de Woody Guthrie, vraiment ! Il se comportait en maître tout-puissant, un vrai raciste en plus, et Woody Guthrie a écrit cette chanson (en 1950 NdlR), "Old Man Trump". Je l’ai enregistrée avec des copains - Ani DiFranco et mon ami Ryan Harvey ont repris cette chanson. Vous trouverez ça sur Internet... (l'originale / le clip avec Tom Morello)
 


(Photo Renaud Corlouër/HARD FORCE)

 

"Trump est la mauvaise réponse à la bonne question." - Tom Morello

 

Alors que dans quelques mois, nous fêterons les 25 ans du premier album de RAGE AGAINST THE MACHINE, arrives-tu encore à expliquer ce qui te pousse toujours et encore à aller de l'avant dans cet engagement musical et politique ?
Tom Morello : L'important est d'alimenter les feux de résistance aux politiques inhumaines. Et quel que soit le leader, qu'il s'agisse d'un démocrate ou d'un républicain, que ce soit en France ou que ce soit en Afrique du Sud, où qu'il y ait injustice et partout où les gens cherchent la libération humaine et une planète plus décente et juste.
Ces mouvements nécessitent une bande-son et c'est ce que nous essayons tout simplement de proposer.
 

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