18 octobre 2017, 9:11

TRIVIUM

• Interview Matt Heafy & Paolo Gregoletto

Enregistré avec le producteur Josh Wilbur (LAMB OF GOD, GOJIRA...) dans les Hybrid Studios de Santa Ana en Californie, « The Sin And The Sentence » est le premier album de TRIVIUM avec le batteur Alex Bent qui a rejoint le groupe en 2016. Cet été, la vidéo du titre qui donne son nom à l'album a recueilli plus de 1,5 millions de vues en seulement 3 semaines, annonçant alors un retour prometteur pour le groupe de Matt Heafy. Nous l'avons rencontré il y a quelques semaines, accompagné du bassiste Paolo Gregoletto, dans les bureaux de leur label Warner Music à Paris, heureux de présenter ce nouvel album avant de démarrer une longue tournée aux Etats-Unis à partir du 27 octobre, qui les amènera jusqu'à Houston, Texas, début décembre.


Voici votre nouvel album « The Sin And The Sentence ». Quel est votre état d’esprit aujourd’hui ? Est-il différent d’il y a 2 ans à la sortie de « Silence In The Snow » ?
Paolo : Oui, je pense que nous nous sentons bien mieux dans notre peau. Les deux dernières années ont été mouvementées, on a passé beaucoup de temps à chercher un bon batteur. Du coup, ce dernier album a été un peu plus compliqué que les autres à réaliser. Matt a dû gérer ses parties vocales, on a donc changé de batteur… Créer un nouvel album dans ce contexte était vraiment une prise de tête, mais à y réfléchir, il est facile de se rendre compte que nous nous sommes concentrés plus que jamais sur ce que nous devions faire. Nous avons écrit les 6 premières chansons, sommes repartis en tournée en mars, puis avons écrit les 6 chansons suivantes. Faire cet album a été vraiment différent de ce que nous avions connu auparavant.

Vous ne composez pas quand vous êtes en tournée ?
Paolo : Plus tant que ça en fait. Lorsqu’on est en tournée, on partage nos idées. On peut discuter des éventuelles démos que certains apportent, mais s’asseoir dans les loges avec des écouteurs et essayer de trouver des idées sur le tas, ça ne fonctionne pas. J’ai essayé, en vain. Ça ne donne rien de bon. Nous sommes revenus à notre ancienne méthode, composer à la maison en dehors des tournées. On en tire de meilleures choses que lorsqu'on se force à écrire en tournée. On a de la chance... on tourne beaucoup, mais on a aussi beaucoup de pauses pendant lesquelles nous pouvons nous consacrer à l’écriture.

Deux événements importants ont eu lieu pour cet album, un nouveau batteur, comme tu le disais, et tes parties vocales, Matt. Par quoi on commence ? Ta voix ? Tu es revenu à un chant plus agressif...
Matt : Une des meilleures choses qui me soient arrivées, c'est d’avoir retrouvé ma voix. Quand je l’ai perdue, c’était horrible. Les premiers mois, disons la première année, j’ai cru ne jamais la retrouver, mais je me suis ensuite rendu compte que rien n’est irréversible. J’ai pris un nouveau prof de chant et pas seulement pour avoir de nouveaux conseils ou faire de nouvelles choses, c’était vraiment un changement de vie. C’est une restructuration totale, une espèce de renaissance, une prise de conscience de tout ce que tu es capable de faire. J’avais énormément confiance en mes cris, cela me faisait toujours mal mais je progressais. J’ai pris les choses comme elles venaient. Mon chant ne cessait de perdre en puissance au fur et à mesure des années et je diminuais son intensité, je donnais alors quelques parties à Paolo. Mais après m’être entraîné un peu, mes parties vocales se sont améliorées. Quand on a fait «Silence In The Snow», je ne savais pas si je pourrais crier à nouveau un jour. J’ai travaillé sur de nouvelles techniques de cris et me suis amélioré jusqu’à maintenant, ce que cela donne aujourd'hui, même si c’est différent de ce que je faisais autrefois. En live, le problème, c'est le soutien quand je dois chanter tous les jours. Je dois m’économiser, ne pas tomber malade. Il faut que je tienne sur le long terme et c’est ce que je travaille. Pour l’enregistrement de l’album, c’est un peu différent. Il a fallu que je donne tout ce que j’avais. Donc, j’ai pu utiliser mon ancienne technique de cri et chanter correctement pour que le tout sonne plus intense. Je suis très content et confiant en tant que chanteur. J’ai réussi à retrouver ma voix. C’est pour cela que je me suis beaucoup entrainé et j’espère que cela n’arrivera plus.

Beaucoup pensent que tes hurlements ne demandent aucune technique particulière, qu’il suffit juste de crier très fort. C’est un bon moyen de leur montrer à quel point ils ont tort...
Matt : Il y a des groupes avec des chanteurs qui ne font que chanter et d’autres ont des crieurs qui ne font qu’hurler. Et c’est logique, car ce sont deux techniques très différentes et difficiles à maîtriser. Il n’est vraiment pas facile de combiner les deux et surtout les combiner ensemble. C’est comme jouer de la guitare, de la batterie, être peintre. Tu t’améliores en pratiquant.

Comment trouves-tu le bon équilibre entre parties chantées et parties criées, en particulier sur cet album?
Matt : Nos meilleures décisions sont instinctives. On n’analyse plus trop les choses. On ressent si c’est bien ou non. Faire des albums et être dans le groupe depuis 1999, ensemble, au moins trois d’entre-nous tout le temps, permet à nos cerveaux de travailler en harmonie. On communique ensemble d’une façon que d’autres ne peuvent comprendre. On sait simplement, on sait quand un album est bon et ce dernier marque vraiment un bon équilibre.
 

"Tu peux facilement attirer l’attention des gens avant une sortie d’album" - Matt Heafy / TRIVIUM



Alex Bent est-il toujours un batteur de session ou est-il en train d’intégrer le groupe ?
Paolo : Il fait partie du groupe. Quand il a rejoint TRIVIUM, on a mis à plat tous les problèmes que nous avions rencontrés au long des années et il a compris pourquoi nous avons eu tant de changements. Il a eu une chance et l’a saisie. Tout ce que tu mets dans ce groupe, tu repars avec. C’est ce que nous trois avons toujours fait, on a toujours tout donné. Il attendait une opportunité comme celle-ci. A chaque fois qu’il partait en tournée ou qu’il jouait à la maison, il se voyait faisant partie d’un projet comme le nôtre. Et jusqu’à présent, il a l'air d'adorer ça ! J’espère d’ailleurs qu’il va adorer ça pour toujours, parce qu’il a été parfait sur l’album. Tourner avec lui a été un énorme plaisir, un accord parfait. Cela nous a pris du temps pour trouver quelqu’un. Il y a beaucoup de batteurs dans le circuit, mais pour trouver la bonne personnalité, le bon type de batteur, c’est vraiment moins simple que cela peut paraître. On n’aurait pas pu se fixer tant qu’on n’avait pas trouvé le bon gars.

Comment définirais-tu son style techniquement ?
Paolo : C’est comme une sorte de chaos sous contrôle. Si tu fermes les yeux et que tu écoutes son jeu de batterie, ça ressemble à quelqu’un qui est en train de se battre, de lutter, de taper sur tout ce qui l’entoure aussi fort que possible. Et quand tu ouvres les yeux, tu as ce type qui contrôle parfaitement la situation. Il sait déjà sur quel fût il va taper avant même de l’aborder, car il n’y a aucune hésitation, il va droit au but. Je pense que cela vient de ses années de pratique, de son style. Il est très impressionnant. Le jour où il est entré dans le studio, on a ri en pensant que c’était ridicule, mais en fait, il fallait que ça sonne comme ça. C’est le genre de gars que mérite notre musique, que nos fans méritent. Il apporte une nouvelle vie à des chansons qu’on joue depuis toujours, elles nous semblent fun à jouer avec lui. On ne s’ennuie pas, même si on a repris sans cesse pendant des heures des morceaux que nous avions déjà joués tous les trois des milliers de fois.

Pour l’album, vous avez publié un teaser par jour, qui s'est révélé finalement un extrait de chaque chanson...
Matt : Oui, on a voulu faire pour TRIVIUM ce que nous n’avions jamais fait auparavant et surtout que les autres groupes ne font pas. On a bien observé ce que les gens font aujourd’hui grâce à tous les médias, les réseaux sociaux et les messages postés. Tu peux facilement attirer l’attention des gens avant une sortie d’album. Comme pour les films où tu peux voir des plans de scènes avant même leurs sorties, et leurs bandes annonces. On voulait faire l’inverse : ne rien divulguer avant que l’album sorte, finir tout l’album mais aussi toutes les vidéos et les sortir au moment où on serait certains du timing, où les choses seraient planifiées, où tout pourrait être fait proprement. Chaque chose que nous sortons doit être aussi spéciale que notre musique peut l’être.

Est-ce que vous avez déjà recueilli de bons échos ?
Paolo : Oui, je pense. Il y a une chose que tu peux contrôler aujourd’hui avec tous ces réseaux sociaux, c’est ce que tu donnes à ton public. Et en ne divulguant rien à propos de notre enregistrement avant sa sortie, je pense que les gens apprécient que nous sortions un album et qu’on les appâte avec des teasers. Je pense qu’ils apprécient cette expérience et ne pas avoir toutes les infos à propos de l’album en amont, pour finalement leur demander ensuite leur carte de crédit. On voulait que cela reste cool et que les gens sachent qu’il restait encore des surprises à venir.
 

"Quand tu ne sors qu’un clip, les gens restent sceptiques, ils se demandent si tout l’album sera dans la même veine que le single" - Paolo Gregoletto / TRIVIUM


Vous avez néanmoins sorti des singles comme "The Sin And The Sentence" et "The Heart From Your Hate"...
Paolo : Ils représentent tous les deux des parties différentes de l’album. "The Sin And The Sentence" nous paraissait être plus représentatif de l’album dans son intégralité, mais "The Heart From Your Hate" a son importance et je pense que c’est bien qu’on l’ait sortie en deuxième. On n’avait pas envie que les gens pensent qu’on avait encore opéré un énième changement dans ce que nous offrions, que nous revenions à ce que nous faisions avant par nostalgie. On apporte quelque chose de nouveau en mélangeant les éléments du passé avec de nouveaux ingrédients. Ces deux chansons sont donc une bonne représentation de l’album.

Il est beaucoup question de la religion, même de l’image de Jésus-Christ. De quoi traitent vos textes cette fois ?
Paolo : Il est surprenant de voir le pouvoir des images sur la définition des chansons et ce dont elles parlent réellement. Nous évoquons la chasse aux sorcières comme une métaphore pour la société actuelle et la culture mafieuse, en ligne en particulier, qui attaquent les gens qui ne l’ont pas mérité et demandent à ce qu’une personne soit renvoyée à cause de ce qu’elle peut diffuser par exemple. Ce qui est cool c’est que je n’ai jamais expliqué tout cela à John Paul (Douglas) qui a fait la vidéo et un peu de l’artwork, mais en écoutant les chansons sans aucune influence ni directive de la part d'un membre du groupe, il a trouvé des idées et des icônes qui s'inspiraient de la religion. De fait, chacun peut interpréter le morceau à sa guise, comme moi je le pense, ou comme John Paul le voit. Et, bien sûr, chaque fan peut avoir sa propre interprétation de ce que la chanson ou son titre signifie. On nous a souvent demandé s’il y avait un fil conducteur dans nos albums. On ne le conçoit pas intentionnellement, mais si les gens le ressentent ainsi, c’est très sympa car ce n'est pas prémédité.

Avez-vous un autre clip à venir ?
Paolo : Oui, ce sera la dernière chanson de l’album "Thrown Into The Fire"... On voulait terminer avec quelque chose de différent...
Matt : ...quelque chose de plus heavy. Nous sortirons aussi un autre titre, mais pas sous forme de vidéo.

Cela fait beaucoup de sorties visuelles...
Paolo : Oui mais je pense que les gens aiment bien entendre de nombreux éléments avant d’aborder un album complet. Quand tu ne sors qu’une vidéo, les gens restent sceptiques, ils se demandent si tout l’album sera dans la même veine que le single. Je pense que les gens veulent plus acheter l’album quand ils connaissent une grande partie du contenu. Par exemple, nos deux chansons qui sont vraiment à l’opposé l’une de l’autre à certains points de vue, font se poser beaucoup de questions à nos fans : dans quel sens va aller l’album ? Du coup, ils seront surpris de la façon dont nous avons équilibré l’album et les mélodies.

Quelle est ta chanson préférée sur l’album ?
Matt : Si je le prends aujourd’hui, probablement "Betrayer". J’ai hâte de la jouer en concert.

Et tu penses que tu vas changer d’avis ?
Matt : Probablement oui...
Paolo : Ca dépend de mon humeur. Des fois, je préfère les chansons plus mélodiques. Parfois les plus heavy. C’est pour ça que nous avons créé ce groupe. Il est façonné de cette façon, selon nos humeurs, à la fois mélodique et heavy...
Matt : C’est une question d’instinct. Si je regarde la chanson que je préfère à un moment donné, elle combine les différents aspects de notre musique. On n’aurait jamais pensé à les assembler, mais cela fonctionne.



On en parlait précédemment, est-ce que les réseaux sociaux vous sont utiles pour montrer la façon dont voyez le monde personnellement, mais aussi la façon dont vous vous en inspirez musicalement ?
Paolo : Notre musique reflète le monde, la façon dont nous ressentons le monde dans lequel nous vivons, nos propres relations. C’est un peu comme si on s’ouvrait au monde. On peut partager nos opinions. Cela peut être un peu effrayant d’écrire de la musique, surtout si tu vis dans le concret. Si tu es plus abstrait dans ta démarche, les gens peuvent juste te dire qu’ils ne comprennent pas ce que tu dis. Il y a toujours le risque que les gens interprètent mal les choses, mais je pense que dans cet album, nous avons trouvé un équilibre entre ce que nous ressentons à propos du monde et ce que nous pensons. On a toujours été très honnêtes et je pense qu’il est important pour les artistes de donner leur point de vue réel à propos du monde. Le heavy metal est vraiment un bon moyen pour ça. Ce n’est pas pour juger l’histoire ou la façon dont le monde tourne, ou nous en échapper, c’est un moyen pour nous de nous y confronter. On espère que les gens qui nous écoutent auront le même sentiment.

Est-ce qu’il y aura un DVD live de vos prestations ?
Paolo : Oui, on a quelques films des festivals auxquels nous avons participé, mais je pense que si on sort un DVD à proprement dit, on devra rassembler d’autres documents et voir les choses sous un autre angle. Ce sera peut-être pour cet album ou le prochain. Mais bon, pour nous voir live, allez sur YouTube et vous nous trouverez.
Matt : Et il faut surtout venir en concert, car on ne peut pas reproduire l’émotion d’un show en DVD.
Paolo : Ce serait vraiment bizarre pour moi de ne faire qu’un album live alors que Youtube existe.

Les gens filment avec leurs téléphones pendant les concerts, vous le voyez de la scène ?
Matt : Oui, mais c’est risqué de sortir votre téléphone pendant un concert, il pourrait se casser dans la fosse...



Je vois que vous portez des t-shirts assez classiques. Qu’est-ce que vous écoutez en ce moment ?
Matt : J’adore le black metal français, je pense que vous avez les meilleurs groupes du monde. J’aime bien ALCEST, qui ne sont plus vraiment black, ils ont commencé par faire du black... BLUS AUS NORD aussi, mais également des nouveaux groupes comme ARCHITECTS.

En parlant d’ARCHITECTS, vous avez entendu parler de l’histoire de son chanteur qui a dénoncé une agression sexuelle dans le public en plein concert ? Vous feriez la même chose ?
Matt : Bien sûr ! Nous avons cette responsabilité, surtout quand c’est un homme qui chante. On provoque ces débordements dans la foule et les gens ont parfois tendance à oublier qu’il faut garder le contrôle et il faut leur rappeler d’arrêter de se pousser avant de casser quelque chose.
Paolo : Si on voit quelque chose de négatif, on se doit d’arrêter. C’est mieux d’arrêter le concert et casser l’atmosphère un moment que de laisser faire.

C’est encore plus le cas lors de festivals, non ?
Matt : Oui, il faut être encore plus vigilant bien que les festivals aient en général de bons agents de sécurité.

Pour conclure, il serait dommage de ne pas parler de votre relation privilégiée avec la France...
Paolo : J'en suis très reconnaissant et nous sommes ravis d’avoir pu faire cet album pour nos fans, et entre autres, ceux qui nous suivent en France. Continuez à nous soutenir car on n’a jamais eu autant de succès dans votre pays qu’aujourd’hui. D'ailleurs, c'est même le cas aux USA où l'on ne cesse de grandir et les gens parlent de nous. Tout cela n'est rendu possible que grâce à nos fans.


Interview Leonor Ananké
Traduction Aude Paquot

Photos TRIVIUM : 2017 © Justin Borucki


Blogger : Leonor Ananké
Au sujet de l'auteur
Leonor Ananké
S'arrêter d'headbanger pour prendre des photos avec un gros appareil au milieu de la folie des concerts : un peu étrange, non ? C'est également ce que pense Leonor en commençant à écrire ses premiers live-reports qu'il faudrait bien illustrer. En peu de temps, c'est devenu quelque chose de naturel et d'exaltant… Jusqu'à ce qu’elle ne puisse plus s'imaginer se déplacer pour un concert sans prendre avec elle son reflex... en plus de sa paire de cheveux. Faire vivre le metal à travers sa dimension visuelle est devenu un véritable activisme, sans pour autant s'empêcher de continuer à réaliser chroniques, live- reports et interviews en secouant toujours aussi frénétiquement la tête.
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