Le label Les Acteurs de l’Ombre, infatigable défenseur d’une ligne de conduite prônant le mélange des genres extrêmes, fête ses dix ans en 2018 ! Et force est de constater que le label a laissé bien plus qu'une trace dans le paysage métallique hexagonal, voire au-delà de ses frontières (AU DESSUS et WILDERNESSKING en sont de bons exemples), et qu'il répond toujours présent lorsqu'il s'agit de répandre la sombre mais bonne parole auprès de ses fidèles ouailles ! Retour sur une décennie de ferveur et de passion avec Gérald, le fondateur du label…
Bonjour Gérald. Si je ne m’abuse, Les Acteurs de l’Ombre ont démarré au début des années 2000 sous la forme d’un webzine. Quelle était alors la ligne éditoriale ? Etais-tu seul à bord du navire ?
Bonjour. C’est exact, tout a commencé en 2001 lorsque j’ai créé l’association Les Acteurs de l’Ombre avec deux amis : à la base, nous étions un webzine au sein duquel une cinquantaine de rédacteurs ont exercé leurs talents. Nous avons également organisé de nombreux concerts et festivals, dont le fameux Cernunnos Pagan Fest qui existe toujours d’ailleurs.
Quel est l’événement qui t’a fait basculer du côté obscur de la force pour passer le cap du label et créer Les Acteurs de l’Ombre Productions ?
J’ai dû quitter la présidence de l’association en 2008, en prévision d’une mutation professionnelle, et c’est à ce moment-là que j’ai proposé de monter le label pour notre association. C'était une idée qui me trottait dans la tête depuis quelques années déjà, mais pris dans les spirales infernales qu'étaient le webzine et l'organisation de concerts, je n'avais jamais vraiment eu le temps d'y réfléchir. J’ai donc commencé seul et les coups de main de la part de mes amis se sont enchaînés. J’ai sorti le premier album de PENSÉES NOCTURNES en 2009, l’album a reçu un très bon accueil du public et des critiques, tout comme le second, soit dit en passant. Puis en 2011, c’est CULT OF ERINYES qui est entré dans la danse. Et depuis 2012, nous sommes une équipe de bénévoles soudés…
Te souviens-tu du contexte et de ce qui s’est passé à l’époque de la première sortie du label en 2009, « Vacuum », l’album de PENSÉES NOCTURNES ?
Oui. Il se trouve que Vaerohn, membre de l'association, cherchait à faire signer son projet PENSÉES NOCTURNES. Cela collait parfaitement à l'identité que je voulais donner au label. Je me suis alors lancé sans forcément penser à un label en particulier qui m’aurait inspiré, même si j’ai une véritable admiration pour ceux avec lesquels j'ai grandi comme Osmose, Holy et Adipocère. Cela m'a juste paru naturel, après avoir chanté dans des groupes, tenu un webzine et organisé des concerts pendant plus de dix ans... c’était un bon moyen de boucler la boucle !
Ensuite, l'association m'a alloué un budget pour cette sortie qui couvrait les frais de pressage et de promotion. Nous n'avions pas de frais liés à l’enregistrement en studio puisque Vaerohn a tout produit lui-même. J'ai commencé sans grande prétention, c'était un premier essai et je ne savais pas vraiment où j'allais mais je ne ressentais pas pour autant de pression. David de Season Of Mist m'a mis en relation avec Raphaël de Great Dane Records qui a servi d'intermédiaire pour distribuer ce premier disque.
En termes de promotion, j'ai envoyé cet album aux médias qui s'étaient montrés intéressés. Alexxx d'OTARGOS, qui était graphiste à l'époque, s'est occupé gracieusement de l'artwork, il a même dessiné le logo de PENSÉES NOCTURNES. Le suivi de la promotion était bien plus fastidieux en revanche puisqu’il fallait relancer les médias pour chroniquer un album… d'un groupe venu de nulle part sur un label qui était tout autant inconnu ! Je ne m'attendais pas d'ailleurs à un aussi bon accueil et au final, le disque s'est bien vendu !
"Je nous verrais bien signer un groupe de post-rock, du moment que c’est un coup de cœur"
Depuis la création du label, dix ans se sont écoulés, ce qui est relativement long au vu de l’espérance de vie dans le monde du disque. Qu’est-ce qui fait que vous avez passé chaque année sans trop d’embûches ? Comment sélectionnez-vous chacun de vos groupes ?
Je dois t’avouer que cela n'a pas été facile tous les jours, j'ai d’ailleurs failli abandonner à plusieurs reprises. Je dirais que plusieurs paramètres font du label ce qu’il est devenu aujourd’hui. Une équipe de bénévoles dévoués et soudés, un gros travail sur la promotion avec un accompagnement individualisé de chaque sortie et une sélection sévère des groupes que nous signons. Il faut savoir que chacune de nos sorties est un véritable coup de cœur pour lequel toute l'équipe déploie son énergie.
Nous désirons faire les choses du mieux possible alors nous essayons de ne pas trop nous disperser. Le choix des groupes avec lesquels nous travaillons est parfois cornélien car nous n'avons pas beaucoup de place. Ce qui est sûr, c'est que pour obtenir une signature sur le label, le groupe en question doit avant tout plaire à l’équipe. Nous avons des goûts variés et chacun à son mot à dire. Comme tu peux le voir sur nos dernières sorties, nos groupes, bien qu’évoluant pour la plupart dans l’univers du black metal, ont tous une identité propre et une approche différente du style.
Mais clairement, la qualité doit avant tout être au rendez-vous, tout comme une certaine originalité, quitte à ce que nous nous éloignions du style traditionnel qu'est le black metal, quitte aussi à ce que nous dérangions… Enfin, bien que la qualité de chaque sortie soit indispensable, le suivi promotionnel est tout aussi important. C'est une tâche assez rébarbative dont nous ne pouvons pas nous passer. Si nous ne martelons pas les esprits, difficile de sortir du flux continu de sorties...
A ce sujet, le label est aujourd’hui reconnu pour la qualité de son catalogue et de cette "patte" post-black qui colle à la peau d’une partie de vos artistes. Est-ce que l’on verra le label s’aventurer sur d’autres terrains de jeu musicaux, du death ou de l’industriel par exemple ?
Pour ce qui est du style, il n’y a vraiment pas de règle. Je nous verrais bien signer un groupe de post-rock par exemple, du moment que c’est un coup de cœur unanime pour l’équipe. Nos goûts tendent surtout vers le black et le doom, c'est pourquoi la plupart des groupes signés évoluent dans ces deux styles. A quelques rares exceptions près, telle la sortie de l’album de SPECTRALE, il n'y aura pas trop de surprises !
Quel est le groupe que tu as eu le plus de difficultés à signer ? Pour quelles raisons ?
Généralement, les choses se font assez naturellement et nous rencontrons assez peu de difficultés. Nous ne visons pas des groupes hors de portée, que le groupe soit venu vers nous ou l'inverse, s’il y a eu rapprochement, c'est parce que les deux parties sont intéressées. Il reste juste à se mettre d'accord sur les détails du deal ou le planning. Toutefois, je reconnais que j'ai couru un petit moment après WILDERNESSKING avant que nous puissions bosser ensemble. Je pense aussi à MARE COGNITUM pour lequel nous avons sortir une boxtape, mais nous adorerions produire un album. Pour l'un comme pour l'autre, c'est surtout une question de planning et d’engagement auprès d'autres labels.
Si tu ne devais retenir qu’un seul événement depuis la création du label, lequel te viendrait immédiatement à l’esprit ?
Je pense à plusieurs choses en fait. Pendant très longtemps, la sortie en 2010 de l'album de PENSÉES NOCTURNES était un véritable événement, je considère toujours celui-ci comme un chef-d'œuvre. Il amène quelque chose de nouveau au black metal. Puis il y a eu le premier concert du même groupe auquel j'ai pu assister en 2017. Je pense aussi aux deux soirées découverte du label que nous avons organisées au Ferrailleur à Nantes où de nombreux fans ont répondu présent. Les éditions du Hellfest avec nos groupes qui y étaient programmés aussi, tout cela tient également une place à part pour moi…
"Nous organisons un festival pour célébrer les dix ans du label les 6 et 7 octobre prochains à Nantes"
Revenons sur le “Ladlo Tour 2017" qui a rassemblé AU DESSUS, PENSÉES NOCTURNES et HEIR. Deux générations de musiciens ont cohabité pendant plusieurs jours sur les routes de France et de Navarre. Comment cette tournée s’est-elle déroulée ? Le public a-t-il répondu présent ?
Je n'ai pas participé à la tournée alors je ne peux que te donner un avis extérieur. Mais a priori, elle s'est bien passée. Le public a été, sur chaque date, au rendez-vous. En revanche, je peux te partager le feedback des musiciens d’HEIR : « Il s’agissait là de notre première tournée, avec en plus des groupes que nous aimons, ce qui motive d’autant plus. La tournée en elle-même s'est bien déroulée, aucun problème technique à signaler ! Nous avons pu parler avec tout le monde, l'ambiance était très bonne. A chaque fois, les salles étaient bien remplies et le public était actif. Cela reste donc un excellent souvenir pour nous tous, nous étions d’ailleurs un peu tristes de ne pas continuer à la fin du dernier concert, nous commencions à trouver notre rythme ! »
Sur le plan de la promotion, vous faites partie des rares labels à encore adresser aux chroniqueurs le "vrai" disque, souvent au format digipack, quelle en est la raison ? C’est un choix d’autant plus périlleux que vous n’avez pas l’assise de gros labels comme Nuclear Blast ou Century Media qui, eux, ont abandonné ce système il y a bien longtemps…
Il est vrai que cela représente un coût lorsque l’on sait que nous envoyons plus d’une centaine de disques aux quatre coins du globe à chaque sortie ! Mais nous avons opté pour cette méthode afin de nous démarquer, peut-être pour attirer l'attention et aussi car nous trouvons que c'est plus motivant pour le chroniqueur d’avoir un support physique à sa disposition. Pour nous, c'est une rétribution logique. Il faut aussi savoir que nous essayons d'envoyer dans la mesure du possible les disques aux médias qui se sont montrés intéressés afin de limiter les envois infructueux.
Qu’est-ce que vous nous réservez pour 2018 ?
Déjà, nous organisons un festival pour célébrer les dix ans du label les 6 et 7 octobre prochains à Nantes. A cette occasion, nous allons réunir seize groupes qui sont ou ont été sur le label depuis sa création. Le visuel est en cours de réalisation ainsi que la validation définitive du line-up. Nous avons déjà eu l'occasion d'organiser des concerts pour nos groupes. Là, ça serait un peu pareil mais en mettant les petits plats dans les grands. Nous aimons créer ce climat de proximité avec eux... que nous les rencontrions de temps en temps et qu'eux aussi se fréquentent entre eux, comme une petite famille en somme. C'est aussi une nouvelle occasion de rassembler les gens qui suivent le label et nous soutiennent !
Encore merci pour ta disponibilité Gérald, une dernière question avant de rendre l’antenne. Que peut-on te souhaiter pour les dix prochaines années ?
Nous espérons que nous pourrons continuer à nous épanouir au travers de notre passion commune qu'est le label. L'année 2018 s'annonce d’ailleurs très chargée avec un paquet de sorties déjà programmées : MONOLITHE, AORLHAC, HYRGAL, MOONREICH, MAIEUTISTE, PENSÉES NOCTURNES, PÉNITENCE ONIRIQUE, CLOUDS OF DEMENTIA mais également des rééditions : MAIEUTISTE, PENSÉES NOCTURNES, THE GREAT OLD ONES, AU DESSUS. Et comme d'habitude, nous écumerons les festivals estivaux avec notre stand et nos compilations. Souhaitons que cette nouvelle année se déroule comme nous l'espérons pour nous permettre de poursuivre notre ascension… nous verrons bien jusqu'où !
