10 juillet 2018, 19:15

MINISTRY

• Interview Al Jourgensen

Le système américain, la société contemporaine, l'élection de Trump sont autant de sujets inspirants pour Al Jourgensen et son légendaire franc-parler. Autant dire que le nouvel album « AmeriKKKant » ne fait pas dans le tact et la demi-mesure tant au niveau des paroles que de la musique.
C'est avec un réel enthousiasme entaché de colère et de résistance que le charismatique leader de MINISTRY revient sur ce qui l'a poussé à écrire ce nouvel album, ses collaborations et sa façon de voir le monde. Un entretien d'un grand intérêt musical, artistique et idéologique.

 

Dans une vidéo à propos de l'écriture du nouvel album de MINISTRY, « AmeriKKKant », tu parles des conditions qui t'ont poussé à prendre une plume engagée. Peux-tu nous dire qu'est-ce qui t'a tant inspiré ?
L'élection de Trump a été le déclencheur mais il n'est qu'un prétexte car si tu regardes autour de toi, vous avez vos propres Trump en Europe : Marine Le Pen chez vous, mais aussi la Hongrie, la Pologne, l'Italie... Il y a vraiment une montée du nationalisme partout. Le monde entier retombe dans les années 30, ce qui est très perturbant. Trump n'est qu'un symptôme d'une société qui garde secrètement une aspiration pour le nationalisme, le fascisme et les mouvements d'extrême droite. C'est un système qui ne fonctionne pas et se termine toujours mal mais les gens ne font qu'y revenir. Et qu'est-ce qui pousse les gens à revenir à de telles idées ? C'est le système entier, incluant l'éducation et le marché financier. Tout notre système est corrompu. Et tout cela compte plus que Trump. Trump est juste son incarnation.

Tu penses que les Etats-Unis et l'Europe sont voués à l'échec ou penses-tu que l'on peut encore échapper à cette montée des extrémismes ?
Je pense que pour chaque action, chaque état d'esprit, il y a des mouvements de rébellion qui peuvent s'élever, une sorte de résistance. Cependant, on reste toujours dans le même paradigme. On résiste en disant que l'on n'aime pas mais on ne fait rien pour inverser la tendance. J'ai pu constater dans le passé, dans les années 60 en particulier, que la résistance fonctionne et qu'elle peut engendrer des changements minimes. Il y a eu beaucoup d'avancées dans les droits civiques pendant les années 60. Le système financier est devenu plus équitable mais il y a encore des changements fondamentaux à faire. Ce que l'on retient des années 60 est qu'elles nous ont apporté des robots et le LSD ! (rires). On regarde cela aujourd'hui comme si c'était un mouvement de mode de l'époque. Depuis, rien n'a vraiment changé. On a fait quelques évolutions minimes mais le principal reste à faire. Il y a aujourd'hui une forme de résistance qui s'élève mais j'espère qu'elle ne sera pas juste un phénomène de mode.

Tu ne penses pas que des gens comme toi, avec la musique, les artistes en général peuvent permettre une prise de conscience d'une partie de la société ? 
Oui, je pense qu'on est une partie de l'équation ou de la solution. Je l'espère en tous cas. Je ne fais qu'élever la conscience, c'est tout ce que je peux faire. Je n'ai pas de solution. Je serais un réel fasciste si je te disais que je détiens toutes les réponses. Le système aime faire peur aux gens, jouer sur les différences, diviser les peuples, faire en sorte que les gens ne soient pas éduqués, leur faire croire aux réseaux sociaux et faire en sorte que la vérité soit dissimulée. La désinformation est devenue la règle, par le biais d'Internet notamment. C'est un peu comme la propagande dans les années 30 et tu ne peux presque rien y faire à part faire prendre conscience aux gens de l'enjeu des réseaux sociaux. Et cela va plus loin que dire que Trump est nul, qu'on a besoin de le faire partir. Il faut réfléchir un peu plus et se demander ce que l'on veut ensuite. On ne fait pas d'omelette sans casser d’œufs donc il faut prendre des décisions radicales, le système confortable dans lequel nous vivons doit être cassé avant que nous puissions avancer. Tout ce que je fais, c'est tirer la sonnette d'alarme. D'autres le font aussi bien que moi par la musique, le cinéma, la littérature. Il y a de la résistance mais je voudrais qu'elle aille un peu plus loin.

Il y a neuf titres sur l'album mais ils semblent tous être liés les uns aux autres, comme si tu avais tout écrit d'une coup. Comment s'est déroulé le processus d'écriture ?
C'était une période très intéressante car pour la première fois en 25 ans, j'ai enregistré l'album avec un vrai groupe au lieu de m'asseoir avec un ingénieur et un ordinateur. En une semaine, nous avions tous les riffs des chansons et tous les soli. Donc, pendant les mois suivants, on a pu vraiment se concentrer sur ce que j'avais à dire et vraiment sculpter les chansons. La musique a été enregistrée live et rapidement donc on a passé plus de temps sur le contenu. C'est ce qui rend cet album si différent des précédents de MINISTRY. J'ai vraiment eu le temps de penser et mettre en place les différentes parties des morceaux. J'ai vraiment apprécié d'écrire cet album.

Il y a un certain nombre d'invités sur « AmeriKKKant ». Sont-ils engagés dans les mêmes causes que toi ?
Oui, tout à fait. Toutes les personnes présentes sur cet album sont de très bons amis. Arabian Prince de NWA qui ne vit pas loin de chez moi, DJ Swamp, qui a toute sa place dans le monde de MINISTRY, et Burton C. Bell (NDJ : chanteur de FEAR FACTORY) qui est mon meilleur ami depuis de nombreuses années. Ils ont les mêmes reproches que moi à faire au système. Et bien sûr, tout le groupe est impliqué. Ils m'ont permis de rester concentré sur mon travail et m'ont encouragé à la production de l'album. Tout le monde a contribué à l'album de façon très organique. Ils ont été très réactifs lorsque je leur ai dit que je voulais sortir un album.

Les paroles sont-elles plus importantes à tes yeux que la musique ?
En règle générale, je dirais non. Mais cette fois, on a énormément discuté des paroles avec Burton C. Bell, bien plus que je ne l'avais fait par le passé. Les paroles sont une partie que je rédige après que toute la musique a été enregistrée. Mais cette fois, on a eu tellement de temps pour y réfléchir que tout est venu naturellement, Et c'est vraiment les paroles qui sont le plus important sur cet album.

Tu ne sembles pas très optimisme quant à l'avenir de notre société. Est-ce que cela te donne l'énergie de créer et composer ?
Je suis très cynique. Mais si je ne l'étais pas, cela voudrait dire que je me moque de ce qui se passe. Et puisque cela m'intéresse, cela veut dire que je suis optimiste ! Je pense vraiment que les choses peuvent s'arranger mais il faut d'abord qu'elles avant de pouvoir remonter. Je vois plutôt le verre à moitié plein mais je sais aussi que pour le remplir à moitié, il faut d'abord qu'il soit vide. Cela me donne de la motivation.

Tu fais appel aux politiciens pour qu'ils viennent voir tes concerts. Se sont-ils déjà présentés ?
Oui, il y a eu un ministre qui faisait partie de l'administration d'Obama. Et puis j'ai eu l'occasion de parler avec un membre du Congrès dans un aéroport lorsque je prenais l'avion pour revenir d'un de nos concerts. Il voulait venir à un de nos concerts quelques mois plus tôt mais il n'a pas pu car il avait un rendez-vous à Washington. C'est intéressant car tu t'aperçois que les politiciens sont des êtres humains comme nous et certains aiment le metal !

T'ont-ils fait des commentaires à propos de tes concerts ou de ta musique ?
Non, le gars d'Obama ne m'a rien dit et avec le deuxième, j'ai discuté pendant les deux heures de vol mais de choses et d'autres, pas de MINISTRY.
 


A propos de la pochette de l'album : elle représente la Statue de la Liberté privée de sa flamme et entourée d'une scène de guerre. Est-ce que la flamme guidant le peuple s'est éteinte ?
Oui, cette pochette a été dessinée par un autre très bon ami à moi, un Anglais, Sam Shearon. Alors qu'il était de passage à Los Angeles, on était en train d'enregistrer l'album et il est venu nous rendre visite. Je lui ai alors demandé s'il voulait faire la pochette de l'album. Il m'a répondu qu'elle était déjà faite ! Il faut croire qu'il a été très inspiré !

Deux vidéos sont sorties : "Wargasm" et "Twilight Zone". Est-ce que mettre des images sur les mots te permet de faire passer ton message encore plus clairement ?
Je pense que c'est un mal nécessaire. C'est quelque chose que j'aime faire. Dans une vidéo comme celle de "Twilight Zone", il y a des images qui parlent aux gens. Elle met l'accent sur notre mauvaise interprétation de la spiritualité. Les vidéos permettent de faire passer des messages de façon simple et ludique. Les gens n'ont plus d'attention soutenue, il ne savent plus se concentrer. On essaye par ce biais de faire réfléchir les foules un peu plus que ce qu'elles feraient en temps normal.

Quel est ton point de vue sur la spiritualité et sur la religion ?
Je pense que toutes les religions du livre sont responsables de 99 % de tout ce qui arrive dans le monde, les guerres, etc., alors je ne suis vraiment pas fan de ces religions organisées. Je suis plus sensible à la spiritualité qui est plus individuelle. Je pense qu'il est important pour l'homme de réfléchir à toutes ces questions spirituelles, à sa place dans le cosmos et à toutes les énergies qui nous entourent. Cependant, chacun doit vivre ces questionnements sans en faire une vérité générale. C'est la plus grosses plaie de notre société.

Il y a quelques dates de concerts prévues en Europe, dont le Motocultor en France cet été. Tu as d'autres projets ?
Oui, on sera en Europe pour six semaines. On commence en Espagne et on termine en France, fin août. On passe nos vacances d'été en Europe ! J'ai toujours aimé l'Europe. J'ai vécu à Bruxelles et aussi à Londres pendant trois ans. Bon, on ne peut plus vraiment considérer que Londres est l'Europe mais... bref, on a vraiment hâte de jouer sur le vieux continent. On fera toutes les chansons de l'album, excepté la dernière. On est très content !

Merci pour cette vision éclairée du monde. Je te laisse terminer cette interview avec quelques mots pour nos lecteurs…
Je ne sais jamais trop quoi dire dans ces cas-là. Merci d'être là, venez nous voir en concert, achetez des T-shirts ! Profitez de la musique, voyez si vous l'aimez ou non mais amusez-vous !


Retrouvez MINISTRY le 12 juillet à Bordeaux (Le Rocher de Palmer) et le 13 à Paris (L'Elysée Montmartre). A cette occasion Garmonbozia Inc. et HARD FORCE vous invitent au concert parisien (le concours pour Bordeaux étant terminé), pour cela envoyez "Ministry Paris" avec vos nom & prénom à concours@hardforce.fr - tirage au sort le 11 juillet sur notre page Facebook.


Blogger : Aude Paquot
Au sujet de l'auteur
Aude Paquot
Aude Paquot est une fervente adepte du metal depuis le début des années 90, lorsqu'elle était encore... très jeune. Tout a commencé avec BON JOVI, SKID ROW, PEARL JAM ou encore DEF LEPPARD, groupes largement plébiscités par ses amis de l'époque. La découverte s'est rapidement faite passion et ses goûts se sont diversifiés grâce à la presse écrite et déjà HARD FORCE, magazine auquel elle s'abonne afin de ne manquer aucune nouvelle fraîche. SLAYER, METALLICA, GUNS 'N' ROSES, SEPULTURA deviendront alors sa bande son quotidienne, à demeure dans le walkman et imprimés sur le sac d'école. Les concerts s'enchaînent puis les festivals, ses goûts évoluent et c'est sur le metal plus extrême, que se porte son dévolu vers les années 2000 pendant lesquelles elle décide de publier son propre fanzine devenu ensuite The Summoning Webzine. Intégrée à l'équipe d'HARD FORCE en 2017, elle continue donc de soutenir avec plaisir, force et fierté la scène metal en tout genre.
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