La musique, c’est comme la vie. On y fait parfois de belles rencontres, au détour d’un sentier, en prenant un itinéraire différent de celui que l’on prend d’habitude. Et en laissant trainer ses oreilles un peu au hasard, on reçoit parfois de belles surprises. WALKWAYS est la dernière rencontre qui a provoquée en moi un ouragan d’émotions, au moment où je m’y attendais le moins. Comme ça, juste au détour.
Originaires de Tel-Aviv en Israël, le groupe, qui a vu le jour en 2006, est composé de cinq musiciens tous extrêmement talentueux et franchement pas manchots : Bar Caspi (guitare), Yoni Menner (guitare), Avihai Levi (basse), Priel Horesh (batterie) et l’exceptionnel Ran Yerushalmi au micro (qui est également professeur de chant et on comprend aisément pourquoi).
Après un premier album « Safe In Sound » en 2013, plus atmosphérique mais qui pose déjà les bases du style du groupe, il aura fallu attendre près de 6 ans pour voir son successeur « Bleed Out, Heal Out » débarquer sur nos platines. Evoluant dans un registre que l’on qualifierait de metal alternatif, WALKWAYS s’inspire d’un panel d’influences extrêmement variées (et parfaitement digérées) pour délivrer une musique aux multiples ambiances, allant du prog' au nu-metal (KORN, SLIPKNOT), avec des pointes jazzy et bluesy parfois, du death mélodique (IN FLAMES) au gros rock groovy (ALTER BRIDGE) et l’étendue des capacités vocales de Ran Yerushalmi n’y est pas pour rien.
Pendant ces 6 années, WALKWAYS a peaufiné son style et le son de l’album avec une production "home-made" en béton armé. Choix judicieux de la part du quintette car le résultat dépasse de très loin la production du précédent album, pourtant assurée par Jens Bogren (OPETH, KATATONIA, SOILWORK…). Ne dit-on pas que l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même ? D’ailleurs, Nuclear Blast Records ne s’y est pas trompé, signant le groupe pour ce deuxième album en leur donnant, par la même occasion, une visibilité internationale plus que méritée.
Ce « Bleed Out, Heal Out » prend aux tripes de la première à la dernière note. Divisé en six étapes tels les chapitres d’un livre, l’histoire se déroule en toute fluidité. En premier lieu la rupture (Let Down), l’acceptation (Let Out), l’oubli (Let Go), la réouverture au monde (Let In), la main tournée vers l’autre (Reach Out) et enfin, la mort et le recommencement (Die Out, Repeat). A l’intérieur de ces chapitres se trouvent quatorze chansons, dans un cheminement logique suivant la reconstruction émotionnelle due à une perte.
Dès "Till The End" commence un voyage jusque dans les tréfonds de l’âme humaine. Après une intro faussement calme, on entre de plain-pied dans la richesse de l’univers du groupe, entre violence, déchirement et désespoir. L’excellente "Hell Born Shove (Impossible)" et son break surprenant est la retranscription d’un état d’esprit bousculé, perdu. Ran Yerushalmi, capable de passer des notes les plus claires aux growls les plus profonds, est émouvant de justesse. "Despair (For Heaven’s Sake)" avec un refrain fédérateur et une mélodie entêtante est taillée pour les prestations live. Toute la rage contenue ressurgit ensuite sur "Half The Man I Am" ainsi que "Trumpet Call", afin de laisser sortir le poison. Ce qui amène à "Levitate", un morceau atmosphérique entre voix parlée, chantée, soupirée, à l’ambiance extraordinairement puissante et prenante. "Bleed Out, Heal Out" avec un rythme syncopé et un refrain mélodique repart de plus belle dans l’énergie pure et n’est pas sans rappeler un certain Corey Taylor très énervé.
La lumière revient éclairer l’âme en peine sur "You Found Me", composition au rythme mid-tempo, genre de power-ballad, bien plus sincère que certaines, où l’on sent renaitre l’espoir, cependant ténu, comme un fil. La mélancolique "Unbearable Days", intensément émouvante, portée par le chanteur en état de grâce, est d’une beauté à la pureté infinie et fait monter les larmes aux yeux. Rupture brutale et malaise assuré avec "Enough" qui sert d’introduction à la chanson suivante. En effet, le texte récité/pleuré s’insurge contre la violence et le sang versé à tort, sur fond de sampler enregistré dans un abattoir. Oui, il s’agit bien de cris de cochons que l’on égorge. Monstrueux, révoltant et pourtant véridique. L’homme est le plus violent des animaux. La géniale "Humane Beings", aux allures de KORN, se rebelle précisément contre ces êtres humains capables du pire, capables de massacrer tout ce qui les entoure, de s’entre-tuer, de s’auto-détruire.
« Our tongues are sharper, sharper than knives
Our guns are harmless compared to our lies
The sounds of Earth got louder with signs »
Vient le temps de la prise de conscience, parce qu’il le faut. Parce qu’il faut évoluer. Parce qu’il faut avancer et continuer de croire. Avec une touche electro, voire indus puis son break jazzy, "Care (In This Together)", porteuse d’envie d’espoir, suit cette progression, sans pour autant tomber dans la naïveté. Car la violence est présente en chacun de nous. "Thank You" défonce tout sur son passage dans un cri de rage et de révolte. Ne pas reproduire les mêmes erreurs. Ne pas ressembler à l’autre, celui qui fait du mal consciemment. Avancer, accepter, oublier. "Bone Deep", titre planant au début et qui se termine dans un cri suivi de quelques notes acoustiques, est la conclusion parfaite de cette histoire torturée. Toutes les petites morts qui jalonnent la vie d’un homme sont des bases sur lesquelles se reconstruire. Pour renaitre, enfin.
Somptueux de bout en bout, « Bleed Out, Heal Out » est l’œuvre d’un groupe puissant et mature, porté à bout de bras par un chanteur au talent incroyable et des musiciens au service de leur art. WALKWAYS possède le potentiel pour devenir un acteur majeur de la scène metal alternative. Soyez assurés que nous serons aux premières loges s’ils viennent jouer en France. Et mon petit doigt me dit que vous seriez bien avisés d’en faire de même.
