
PARADISE LOST, WATAIN, ULVER, ALCEST, BLUT AUS NORD, ORPHANED LAND, ANTAEUS ou encore AMORPHIS, voilà quelques-uns des groupes pour lesquels Jean "VALNOIR" Simoulin a réalisé quelques artworks du meilleur effet. Cet artiste prolifique et engagé n’a pas hésité non plus par le passé à s’emparer de sa basse au sein de THE CNK ou d’utiliser ses cordes vocales passées au papier émeri chez SOMBRE CHEMIN : un parcours complet constitué depuis de nombreuses années qui lui permet de cultiver un profil atypique. D'abord influencé par le collectif slovène NSK dans ses premières années, VALNOIR s’est essayé aux courants noise, industriel et surtout aux sombres sirènes du black metal. En 2006, il a rédigé un manifeste stipulant que le client devait faire confiance à la position artistique du concepteur de A à Z, d’accepter ou refuser le projet dans son intégralité et ce, sans aucun compromis. Une posture directe que l’on retrouve dans ses créations : son travail oscille entre des décors religieux, des concepts narratifs violents et des expériences impliquant le corps humain, telles que l'impression d'affiches à l'encre à base de sang, la couture de patchs sur la peau ou la fabrication d'encre sur des os. En 2016, l’éditeur Timeless a publié « Fire Work With Me », une monographie de 300 pages rassemblant les quinze premières années de son célèbre studio, Metastazis. C’est aujourd’hui pour la parution de son nouvel ouvrage, « Analogue Black Terror », qui revient sur les racines et l’évolution du black metal à travers ses artworks les plus symboliques que HARD FORCE s’est entretenu avec lui…
Bonjour, la sortie de ce nouveau livre "Analogue Black Terror" est imminente (sortie prévue le 1er décembre), peux-tu nous dire quelle en est la genèse ? Comment cette idée a-t-elle cheminé et depuis combien de temps y réfléchis-tu ?
Bonjour. En fait, tout s’est passé assez rapidement puisqu’une année s’est écoulée entre le soir ou l’idée a germé et aujourd’hui ou je t’écris en attendant l’arrivée de mes premières copies. Un ami venait d’exhumer quelques boites à chaussures gondolées d’une cave et certaines d’entre elles nous ont brutalement replongé dans un passé si intense qu’il m’a semblé judicieux de transmettre cette émotion dans un livre. Visiblement, l’enthousiasme a lui aussi été au rendez-vous puisque quelques mois après, alors que tout commençait à prendre forme, j’ai écrit au label Nuclear War Now pour lui proposer d’éditer ce projet. Résultat : l’affaire a réglée en trois mails ! J’ai été assisté par mes proches pour les questions de relecture, et ayant moi-même un peu d’expérience dans l’édition et les outils nécessaires j’ai avancé plus rapidement que prévu sur ce projet.
Le menu de cet ouvrage est copieux : 260 pages, 300 groupes pour plus de 450 démos, c'est une véritable anthologie du black metal que tu proposes ici…
J’ai procédé à une sélection rigoureuse, puisqu’au final j’ai accumulé pas loin de 700 documents, pour n’en garder que 450. Les critères que j’ai appliqué ont été l’importance historique des groupes, leur longévité post-démo, la réputation de ses membres. Je n’ai pas non plus oublié les démos qui faisaient montre d’une beauté graphique exceptionnelle, celles qui projetaient des messages à l’intensité haineuse hors du commun et celles qui m’ont aussi marqué personnellement. J’ai également incorporé des groupes qui n’étaient pas stricto sensu black metal mais qui avaient soit eu une influence considérable sur la scène, soit dont le message et l’esprit étaient indiscutablement liés à la scène.
Bien sûr, il m’en manque, je ne suis d’ailleurs pas parvenu à trouver certains documents (IMMORTAL, DEICIDE, SLAYER, VENOM…) mais je ferai en sorte de régler cela si par chance il y a une seconde édition !
Comment t'y es-tu pris pour réunir et classer ces 450 références, j'imagine que tu ne possèdes pas toutes ces démos…
L’embryon de départ a été constitué par ma collection personnelle, ainsi que celle d’un ami proche, ce qui m’a permis de donner corps à l’amorce du projet. Suite à ça, j’ai contacté des gens de mon réseau, je me suis déplacé en France, en Lituanie, en Russie… Le mot s’est répandu et j’ai terminé avec des contributeurs du monde entier qui ont eu l’amabilité de prendre sur leur temps et apporter leur pierre à l’édifice.
Ensuite il a fallu donner une structure à l’ensemble, c’est toujours un moment délicat lorsque l’on compose un livre. La temporalité est une chose capitale dans le style, surtout celui des premières heures, les plus importantes (comme dans beaucoup de mouvements de contre-cultures). On rattache telle ou telle sortie à son année de parution, on la mesure ensuite d’une année par rapport à une autre, on se situe soi-même dans cette temporalité en fonction de l’année de son premier concert, de ses premiers achats. J’ai donc choisi de structurer le livre par année ou groupe d’années. À l’intérieur de ces chapitres, j’ai cette fois travaillé de façon plus informelle les blocs de groupes par zones géographiques, par alliances, « syndicats », allégeances idéologiques, adversités etc… afin de créer une micro-narration et donner un sens au séquençage des images.
Aucun commentaire ne figure dans ce recueil, est-ce volontaire ?
Oui, j’ai pris le parti de proposer simplement trois textes introductifs au début du livre. Un de l’éditeur, un autre d’un docteur en histoire de l’art et un dont je suis moi-même l’auteur. Ces trois textes donnent des éléments de réponse importants quand à bon nombre de questions. Pour le reste, il y a de très rares informations contextuelles, notamment pour une master tape de BURZUM, mais l’idée était moins de faire un travail de journalisme qu’un travail d’archiviste. Le résultat est froid et factuel et laisse à chacun la latitude d’en tirer ce qui lui semblera bon d’en tirer. D’ailleurs un travail d’investigation poussé permet au lecteur, grâce à une étude des thankslists, des hatelists, des crédits divers, de reconstituer les alliances, les guerres et les histoires internes qui musclaient considérablement la vie de cette scène.
Lors de la consultation de l'ouvrage, je me disais que son pendant sonore avec des groupes de l'époque et quelques morceaux mis à l'honneur aurait pu constituer un complément intéressant à la partie visuelle très documentée, est-ce quelque chose que tu avais envisagé ?
En fait, je n’ai aucune recommandation à faire pour une bonne et simple raison : notre expérience du black metal est une chose très personnelle et chaque individu réagit différemment à chaque groupe. Le morceau qui me semblera le mieux coller à tel chapitre sera nécessairement émotionnellement connecté à tel ou tel souvenir, il correspondra à ce que je recherchais à cette époque. Si je recommande du IN THE WOODS à un fan de GOATPENIS qui, lui, recherche dans ce style la sauvagerie ultime et l’extermination totale, cela risque de tomber à plat. C’est comme si tu me demandais de t’aider pour tes masturbations en te racontant mes propres fantasmes ! Quant à ceux qui n’ont aucune connaissance ni expérience dans cet univers, qu’ils se démerdent, je ne ferai pas le travail à leur place !
Cette collection reflète fidèlement l'histoire du style depuis le milieu des années 80, quelles seraient pour toi les démos sur lesquels l’on ne peut faire l’impasse ?
Je ne suis pas un donneur de leçon, je citerais donc celles qui ont eu de l’importance pour moi (de plus je n’ai jamais considéré le black metal comme un genre d’expression pour gens bien constitués) et elles sont peu nombreuses. J’ai surtout écouté les albums de ces groupes à leur sortie, je ne m’intéressais pas encore vraiment aux démos, ces joyaux bruts à l’amertume encore trop prononcée pour mes jeunes oreilles. Je les considérais souvent comme des ébauches à moitié ratées et préférais directement aller au produit fini. Celles qui m’ont marquées l’ont moins été par leur qualité musicale que par l’espace qu’elles ont occupé dans ma vie, parce que des proches étaient impliqués dans ces projets ou qu’ils avaient des connexions avec notre réseau. Je dirais que les démos d’EPIC, MALDOROR, REFLETS D’UNE AME, BLOOD VICTORY et TRYSKELLION furent de celles-ci.
En parlant de démo, et donc du support cassette, que penses-tu de cette vague qui déferle depuis quelques années maintenant avec des labels spécialisés uniquement dans ce format ?
Je n’en pense pas grand-chose, je ne suis ni hostile ni réellement sensible à cette tendance, même si cela me fait plaisir de voir un label comme Tour de Garde sortir en cassette certains projets aussi obscurs qu’intègres que bons musicalement. Et pour lesquels la cassette est dans une démarche cohérente et qu’elle ajoute un élément formel à une expérience immersive. J’ai une connexion émotionnelle importante avec ce format, liée à la nostalgie de mon adolescence et post-adolescence dans les années 90. J’aime écouter de vieilles démos lorsque j’accueille quelques amis qui ont partagé cette époque avec moi et que nous sommes ivres. Nous allumons des bougies, je branche un vieux walkman sur ma chaîne et nous regardons les ombres jouer sur les murs et ma collection de crânes humains.
Passons au côté « graphique » du livre, au vu de ton parcours professionnel très riche en la matière, quels sont les artworks qui t'ont le plus impressionné dans ce recueil ?
Directement : aucun, du moins pendant longtemps. J’ai toujours considéré, je pense à juste titre, l’imagerie dans le metal pauvre, mal maitrisée et redondante. Du moins dans la majorité des cas. Je me suis surtout construit en regardant ailleurs, en allant puiser à des sources étrangères au metal, afin de le revitaliser avec un peu de sang neuf. Ce n’est que récemment (et c’est aussi l’une des raisons d’être du livre) que j’ai réalisé que l’univers des démos black metal était secoués d’instants de grâce qui s’ignoraient pour la plupart, une forme d’art populaire sous perfusion de haine et de romantisme noir. Si je devais en citer, cela serait sans hésiter les abominations visuelles des Légions Noires qui m’ont de loin le plus marqué.
Tu as participé au premier EP de GLACIATION, "1994", qui rendait hommage à l'année du même nom en matière de black-metal. La couverture que tu as réalisé avait fait couler beaucoup d'encre à l'époque, peux-tu nous en dire un peu plus sur cette idée de patches cousus à même la peau ? Etait-ce une manière de montrer une adhésion totale, aussi bien pour le corps comme pour l'esprit, aux préceptes du black metal ?
C’est une erreur souvent commise. Le nom de l’album de GLACIATION ne rend pas hommage aux groupes de cette année-là. 1994 est l’année à laquelle j’ai plongé et les textes de cet album racontent mon expérience, ainsi que les désillusions dont j’ai été victime bien des années après en me rendant compte que le black metal n’était pas nécessairement LA réponse à tout, comme je l’ai longtemps cru. Du reste et je tiens à le préciser, je n’ai pas « participé » à cet enregistrement, j’en suis le géniteur, l’âme et lui et moi sommes très intimement liés.
De la même manière, mon être était très intimement lié au black metal, spirituellement et charnellement. Cette pochette est la projection littérale de cette idée. Le black metal n’a jamais, à son origine, été conçu comme un vêtement, une couche superficielle qu’on l’on mettait ou retirait à l’envie, comme pouvait l’être le death metal avec lequel on essayait de se faire peur et puis c’était tout. Le black metal était quelque chose de différent, qui est venu se greffer à nos êtres de force, parfois dans la peine…
En 2016, tu as publié chez Timeless un autre recueil de près de 300 pages consacré aux quinze années de travail pour ton studio Metastazis, quel accueil a été réservé à cet ouvrage ? Quels sont les éléments fondateurs que tu retiendrais aujourd'hui quand tu évoques ce parcours ?
Il a été bien reçu et c’est un ouvrage dont je suis fier, de par son contenu mais également sa fabrication qui a coûté un bras à Timeless. C’est un éditeur fantastique et profondément habité par ce qu’il fait : le profit est pour lui secondaire, ce qui lui importe est de sortir les ouvrages les plus beaux et les plus substantiels possibles. Ma découverte de LAIBACH et surtout de NSK au tout début des années 2000 à vraiment mis le feu aux poudres, en terme de création visuelle. Mes rapports directs ou indirects avec ce groupe d’individus, en bien des points exceptionnels, ont été plus que déterminants dans ma vie. Cela a mené entre autre au projet le plus spectaculaire que j’ai pu initier : le concert de LAIBACH qui s’est tenu en Corée du Nord, en 2015.
J’imagine ! Pour finir en musique, peux-tu nous dire quels groupes tu suis aujourd'hui ? Comment perçois-tu, en tant que connaisseurs de ses prémices et son explosion dans les années 80/90, l'évolution de la scène black metal ?
A force de travailler dans la musique et d’évoluer dans un univers qui en est saturé, j’ai étrangement un peu perdu mon enthousiasme en général. Je fuis de plus en plus les concerts à la suite de nombreuses déceptions et de soirées gâchées par des groupes sans intérêt au son pourri, le tout arrosé de mauvaise bière servie dans des gobelets en plastique. Quant à la scène black, je perçois à présent deux courants, aux contours flous bien entendu. L’un est un simple courant musical dépossédé de sa substance spirituelle, dont les acteurs sont des gens normaux, menant des vies normales habitées de rêves normaux. Ils sont dénués de colères sincères, se méfient de la folie, glorifient la tolérance face au dégout et à la haine. Ils jouent en plein après-midi dans des festivals de metal mainstream, remercient le public et trouvent cela cohérent, normal. Ils pleurent même quand Notre Dame est en flammes.
Et puis il y’a les groupes et les individus qui voient encore de la valeur dans les idéaux du black metal et entendent vivre au travers de ces idéaux du matin au soir, même si cela est difficile, même si cela coûte. Une partie, voir la totalité de leur vie est en marge et leur musique est pétrie de rage. Un groupe de cette branche dont j’apprécie profondément l’énergie est ULTRA SILVAM…
Pour ceux d’entre vous qui souhaitent prolonger la découverte de l’univers proposé par VALNOIR, il est possible de commander l’ouvrage dont il est question ici et bien d’autres choses sur son site : Metastazis.bigcartel.
