28 janvier 2020, 19:00

SVART CROWN

• Interview JB Le Bail

Le groupe français de death metal SVART CROWN risque de frapper un grand coup avec un cinquième album très prometteur qui propose un univers riche et varié témoin de la maturité acquise. C’est à Paris que le chanteur/guitariste, JB Le Bail, nous a reçus afin de parler du groupe version 2020, de l’album « Wolves Among The Ashes », de ses choix et de la notoriété montante du death metal.
 

SVART CROWN est de retour avec un nouvel album, « Wolves Among The Ashes », qui sort le 7 février prochain, quasiment trois ans après « Abreaction » et avec pas mal de changements. Ou devrais-je dire de retours en termes de line-up !
Oui, il s’est passé pas mal de choses, des départs qui se sont enchaînés, espacés un peu dans le temps durant la promotion de « Abreaction » et qui ont eu un impact important, et ensuite des retours qui n’étaient pas forcément prévus. Pendant la conception de « Abreaction », l’ambiance était moyenne, il y avait pas mal de tensions et s’en est suivi des départs logiques finalement. Les caractères, les connexions entre chacun de nous ne marchaient plus vraiment en ce qui concernait la vision artistique du groupe, la façon de travailler, la place que certains avaient envie d’avoir dans le groupe mais qu’ils n’ont pas forcément eue. En revanche, durant les tournées, on s’est toujours bien entendus. Mais bon voilà, avec Kevin Paradis, qui était batteur sur « Abreaction », il a fallu qu’on règle certaines choses. Et puis il y a eu des retours, Nicolas "Ranko" qui était présent sur « Profane » et Clément qui était là pour « Witnessing The Fall ».

Justement, le retour de Nicolas et Clément a été un élément fort pour toi, plutôt que devoir refaire un line-up neuf ? Ça t’a rassuré de les voir revenir ?
Oui, parce que déjà, ils n’ont jamais été vraiment très loin, ils ont toujours été là, ce sont des personnes importantes pour moi et qui ont toujours été proches avant leur entrée dans SVART CROWN et encore après. Donc, on n'a jamais perdu le contact, ils ont toujours été à mes côtés même après leur départ du groupe, ce qui, à l’époque, m’avait fait beaucoup de peine car on était très connectés. Mais c’était des départ nécessaires à ce moment-là. Donc oui, leur retour a une certaine symbolique mais j’ai aussi l’impression que chacun a réglé ses problèmes et on revient avec un nouvel élan, ce sont des personnes qui connaissent la maison et c’est important, ils savent comment ça se passe. Mais ils ont aussi mis un peu d’ordre dans leur vie, on a pu régler certains soucis donc tout va bien.

Etait-ce un problème d’ego finalement ?
Il y a toujours un problème d’ego mais l’eau a coulé sous les ponts, l’ego s’est calmé mais ça n’a pas vraiment été le souci principal, c’était plutôt comment impliquer un groupe comme le nôtre dans ta vie personnelle, ta vie professionnelle, ta vie amoureuse. Avoir un groupe comme ça, c’est un choix de vie donc ça a des conséquences sur tout. Soit c’est très positif et ça se transforme en une belle évasion, soit ça devient un gros caillou dans ta chaussure.

Décris-nous l'esprit de « Wolves Among The Ashes », comment a germé l’idée de ce nouvel album ?
Déjà, ça a été une envie et un besoin d’écrire quelque chose de nouveau et de s’exprimer artistiquement comme ça a toujours été le cas. SVART CROWN, c’est mon vecteur d’expression artistique, c’est ce qui me permet de cristalliser mes idées, de m’exprimer, c’est quelque chose qui est viscéral et indissociable de ma personnalité. J’ai besoin de ça. Il y a eu des influences qui sont arrivées de part et d’autre, des flashs, des couleurs qui me viennent en tête, des visions de coulées de lave, des trucs comme ça et qui, par la suite, ont pris corps dans mon esprit. Et quand j’ai retranscrit toutes ses idées en sons, ça a commencé à prendre forme. J’avais aussi envie de faire quelque chose de plus direct, d’épurer un peu le propos, de raccourcir, d’aller à l’essentiel. Au lieu d’avoir quatre bonnes idées, n'en sélectionner que deux mais très bonnes, faire le tri et aller au plus juste. Et même si, parfois, la très bonne idée ne va pas avec le reste, il faut savoir la sacrifier et ça, c’est un travail de maturité, pour le bien du morceau. C’est très compliqué de faire ça, c’est un truc lorsque tu es plus jeune qui est très difficile à faire. Après, il faut accepter toutes les influences, les digérer et ne pas avoir peur d’aller au bout d’une idée et ça donne des choses complètement nouvelles sur le disque.
 

"La confiance en soi, c’est primordial et c’est quelque chose que j’avais perdu avec le line-up précédent, j’avais l’impression de ne plus avoir les cartes en main, d’être constamment jugé, seul."


Cet album est le plus varié et le plus riche de votre discographie. Cette diversité était nécessaire pour te réinventer, pour évoluer ?
Oui et non. Pour moi, tout ce qui était fait est fait. Artistiquement, chaque album est une copie de ce que j’ai dans les tripes et c’est donc impossible pour moi de faire une chose avec laquelle je ne suis pas en accord à 200%. Et c’est tellement en corrélation avec ce que je peux ressentir, avec mes émotions, que je ne peux pas me forcer. Si je ne suis pas dans un état d’esprit de colère ou de violence, je ne pourrai pas le faire et donc je ne peux pas me replonger dans la personne que j’étais il y a dix ou vingt ans. Alors j’avance et les influences viennent et partent, à moi de savoir les prendre et les accueillir à bras ouverts.

Laisse-tu libre cours à l'influence des autres musiciens dans le processus de composition ?
En un sens oui, même si l’album était déjà dessiné dans ma tête depuis quelque temps, il m’a quand même fallu une certaine dose de confiance et d’approbation de la part des autres pour arriver à tout finaliser, sachant que ça pouvait aller dans différentes directions. La confiance en soi, c’est primordial et c’est quelque chose que j’avais perdu avec le line-up précédent, j’avais l’impression de ne plus avoir les cartes en main, d’être constamment jugé, seul. Et là, avec le line-up actuel, il y a quelque chose qui s’est créé. Ça m’a permis de m’ouvrir un peu plus et d’apporter mes idées, tout en acceptant leur touche personnelle, ce qui a donné lieu à des échanges et beaucoup en ce qui concerne le chant où l'on s’est dit qu’il fallait faire quelque chose à la hauteur des compositions et donc, peut-être, ne pas avoir qu’un seul chanteur avec une seule tessiture mais exploiter tous les talents du groupe. J’ai la chance d’être accompagné par d’excellents musiciens aux tessitures de voix complètement différentes et de très bons chanteurs qui m’ont amené aussi à accepter de les laisser faire ce que moi, je n’arrivais pas à faire. Ils ont vraiment beaucoup apporté à ce niveau-là.

Comment as-tu préparé ta voix pour les lignes de chant qui ont fini par t’emmener sur des territoires presque inconnus ? As-tu eu peur, à certains moments, de la direction que tu prenais ?
Je suis tellement critique envers moi-même qu’il faut déjà que j’arrive à passer le cap de mon propre jugement et donc, si je ne suis pas convaincu par ce que je fais, ça ne passera pas. J’avais des morceaux où j’avais des idées de chant en tête, je sentais que je n’étais pas loin d’y arriver mais je n’avais pas encore la technique ou le feeling pour le faire et là, j’ai dû prendre la décision de laisser la place aux autres.

Parle-nous de "Down To Nowhere", peut-être le titre le plus progressif de l’album en termes de structure et d’évolution d’ambiance...
Déjà, ce sont des sons qui me sont venus en tête, les mélodies de guitare se sont faites à partir de ça, en les transposant. Ça s’est fait très rapidement en fait, une fois la retranscription effctuée, tout a coulé de source par la suite, les paroles, les enchaînements, tout le reste et finalement c’est un morceau qui a pris très peu de temps à se mettre en place dans sa conception. Pour ce qui est de la production, là, ça nous a pris beaucoup plus de temps

Tout le monde chante sur ce morceau ?
Pour l’intro, c’est moi qui chante, pour le premier refrain, on est à deux avec Ranko, le deuxième refrain c’est Ranko et Clément et à la fin, c’est tout le monde. On s’est demandé ce qui collait le mieux pour ce morceau, on avait des idées pour chaque partie. J’ai essayé de faire le titre entièrement tout seul et ça donnait une certaine teinte mais on a tous senti, et moi le premier, que ça n'’était pas la plus aboutie des versions, donc on a testé d’autres choses et grâce à ce panel artistique dont je te parlais juste avant, Ranko et Clément étaient bien plus à même de faire les parties de chant en question.

Dirais-tu que cet album était le plus intense à réaliser, le plus complexe, celui qui t’a demandé d’avoir le plus de recul ?
Chaque album est dur à faire, chaque album a son lot d’embûches, il y a toujours quelque chose qui coince. Celui-là a été assez fastidieux car il y a eu des moments de doute mais je l’avais bien en tête, je connaissais le cheminement à suivre, la trame principale, c’est juste la réalisation qui a été plus dure avec des changements en cours de route. Mais je savais vraiment où je voulais aller pour ce disque.
 

"Cet album est véritablement une quête intérieure personnelle, c’est moi qui discute avec moi-même et qui décris ce que je ressens."



Francis Caste a eu un rôle important dans la direction artistique ?
Oui, complètement, il a sublimé le tout. On a énormément communiqué ensemble, je lui ai beaucoup parlé de mes intentions, on a fait beaucoup de débriefs ensemble, on s’appelait régulièrement et lorsque je lui ai évoqué le nouvel album et ce que j’avais en tête, il m’a dit : « OK, tu veux faire ça, attention à ceci, à cela, fais gaffe à ça, il va falloir travailler le son de cette manière, il va falloir être plus méticuleux, plus précis, enlever ce superflu ici, travailler différemment… » et on l’a écouté. On l’a laissé faire au niveau des prises. Par rapport à ce qu’on voulait faire, à chaque fois il nous proposait une option et on le suivait. Généralement, quand on arrive en studio, l’album est déjà bien bouclé, assez cloisonné afin d’éviter de perdre trop de temps mais on a gardé cette petite part d’inconnu pour laisser apparaître la magie des idées qui surviennent durant l’enregistrement en studio. Et à ce niveau-là, Francis a toujours de bonnes idées et pour le coup, il nous a incités à vraiment simplifier car comme d’autres, on a tendance à en faire trop. Il intervenait pour dire : « Non, là on simplifie, ici il faut aller droit au but, là la batterie en fait trop, il faut épurer… » et c’est ce qui ressort sur l’album et pour la mise en place du son, c’était beaucoup plus facile pour lui à réaliser.

L’album se termine avec "Living With The Enemy" dans lequel tu traites de quête de sens intérieur. Qu'y a-t-il de plus dur à affronter envers soi-même selon toi ?
La dualité, personnellement, c’est un travail quotidien et fastidieux. Après, ça dépend des périodes aussi, c’est un peu comme des montagnes russes, il y a des moments où ça va et d’autres ou ça va moins bien, il faut arriver à un point d’équilibre, voir les choses de manière la plus positive possible mais c’est compliqué. Il faut vivre avec son temps, combattre ses démons intérieurs et sans vouloir trop intellectualiser, essayer de comprendre les mécanismes de son propre esprit, son fonctionnement car il arrive trop souvent qu’on fasse des choses que l’on regrette après et qu’en y repensant, on ne comprenne pas pourquoi on les a faites à l’origine. On a tous une part d’autodestruction en nous qui, à certains moments, peut nous faire du bien mais qui, après, peut avoir de lourdes conséquences. Cet album est véritablement une quête intérieure personnelle, c’est moi qui discute avec moi-même et qui décris ce que je ressens. "Living With The Enemy", c’est une sorte de méditation transcendentale avec toi-même, les éléments et tu apprends que tu es ton propre ennemi. C’est pas le gars en face de toi, c’est pas l’autre là-bas, c’est moi-même. Si je ne règle pas mes problèmes avec moi, je n’arriverai à rien et je ne pourrai pas régler les problèmes avec les autres, c’est impossible.

Quels sont les lieux les plus mystiques que tu aies visités et qui ont eu une influence dans ton univers musical ?
Il y a chez moi un endroit où j’aime aller me ressourcer qui s’appelle le Rocher de Roquebrune (Roquebrune-sur-Argens - Var ndlr) et qui est constitué de roches volcaniques. Je trouve qu’il s’en dégage une certaine énergie, on ressent le poids des éléments, c’est un sentiment très fort personnellement. Il y a beaucoup de sites spirituels qui ont été construits autour de ce lieu, des temples, des chamanes y venaient, des prêtres, il y a des églises, des chapelles abandonnées, c’est un endroit très fort spirituellement, en émotions, et c’est un endroit où j’aime aller me ressourcer seul. Je vois le Rocher depuis la route que je prends pour aller répéter et après chaque répétition, je passais me ressourcer là-bas. C’est un lieu très important pour moi, il était présent à la création de l’album, avant d’aller enregistrer, les photos ont été faites là-bas. J’ai d’autres trucs qui m’ont inspiré, notamment certaines visites comme le musée du Quai d’Orsay et particulièrement "La Porte de l’Enfer" de Rodin dont on retrouve l’influence sur la pochette avec cet amas de corps au niveau de la porte.
 

"J’aimerais aussi faire des dates en Amérique du Sud où il y a encore de la ferveur..."




© Michael Khettabi | Century Media Records


Le death metal se démocratise, devient plus "populaire" depuis dix ans avec des groupes comme GOJIRA, BEHEMOTH. As-tu constaté une évolution dans le monde de la scène death ?
Les choses sont différentes aujourd’hui. Je regrette l’importance qu’on donnait à certaines choses liées à cette scène-là. Je trouve qu’il y a une désacralisation du style qui ne me plaît pas forcément. Pour moi, c’est une musique importante et viscérale. Ce n’est pas une musique anodine, elle doit être respectée. C’est une musique faite avec passion. On peut parler aussi du metal en général mais pour moi, cette musique-là, c’est un besoin, c’est très profond et la banaliser comme ça, ce n’est pas la respecter. Chacun voit midi à sa porte mais personnellement, c’est un état d’esprit, que ce soit du death, du hardcore, du grind, du punk, du crust, il faut que ce soit fait avec ses tripes et passion, c’est tout. Ne pas tricher, être vrai avec soi-même. La démocratisation du style va forcément engendrer des dérives, des sous-produits mais c’est comme ça car le death metal devient populaire.
Je trouve qu’avant, il y avait une certaine ferveur qu’on a perdue au niveau du public, même dans les concerts underground en France. Je me souviens de concerts où l’atmosphère était palpable, tendue, comme un sentiment de danger que j’aimais bien. Tu avais ce sentiment d’incertitude quant à la tournure de la soirée, j’aimais cette perte de contrôle que les gens avaient, maintenant, je trouve que tout est cadré, tout est lissé. Quand je vais à un concert de musique extrême, j’ai pas envie qu’un gars à côté de moi me demande de me taire, les gens ne veulent pas être emmerdés et je trouve ça dommage car avant, un concert de death metal, c’était des fous, des bêtes sauvages en cage et on exprimait ce côté-là. On revenait à la vie normale après mais durant le concert, on était comme dans une arène, mais là c’est plus le cas, je le vois durant les concerts, ça s’est vachement assagi.

Quel est ton souvenir le plus marquant au sein de SVART CROWN ?
Le plus flippant peut-être, c’est il y a longtemps lors d’un concert en Belgique pendant un festival près de Charleroi. Aux trois quarts d’un morceau, des gars sont arrivés armés et ont voulu rentrer en force dans la salle, ils ont braqué la personne à l’entrée. Et pendant qu’on jouait, l’organisateur nous faisait des signes depuis la console et moi, je pensais qu’on avait dépassé notre temps de jeu mais en fait pas du tout. On nous a demandé de sortir de scène en nous expliquant qu’un gars armé était à l’entrée et qu'il exigeait que le concert s’arrête. Du coup, le concert a été annulé immédiatement, la police est venue et on est reparti directement.

2020 s’annonce riche en dates pour soutenir « Wolves Among The Ashes ». Que peut-on vous souhaiter de plus ?
J’espère plein de bonnes choses. Les dates se préparent, pas mal de choses vont arriver, j’espère que l’album parlera à certaines personnes qui ont envie de s’ouvrir à notre style. J’aimerais aussi faire des dates en Amérique du Sud où il y a encore de la ferveur, et un autre événement que j’adorerais faire qui est en Tasmanie et qui s’appelle le Dark Mofo. C’est un événement artistique assez compliqué à expliquer. Je t’invite à regarder sur le Net, ça se passe sur une île gérée par un gars complètement taré et blindé de thunes qui fait venir des groupes de tous styles, TRIBULATION a joué là-bas, DEAD CONGREGATION aussi. Chaque année, la programmation est complètement folle, ça va de la pop au metal extrême, il y a tout une esthétique très sacrée et en même temps barrée et c’est vraiment cool. J’aimerais beaucoup y participer.


Blogger : Benjamin Delacoux
Au sujet de l'auteur
Benjamin Delacoux
Guitariste/chanteur depuis 1991, passionné de musique, entré dans les médias à partir de 2013, grand amateur de metal en tous genres, Benjamin Delacoux a rejoint l'équipe de HARD FORCE après avoir été l'invité du programme "meet & greet" avec UGLY KID JOE dans MetalXS. Depuis, il est sur tous les fronts, dans les pits photo avec ses boîtiers, en face à face en interview avec les musiciens, et à l'antenne de Heavy1, dont l'émission MYBAND consacrée aux groupes indépendants et autoproduits.
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