25 février 2020, 23:48

LEPROUS + KLONE +MARATON

@ Savigny-le-Temple (L'Empreinte)

« Music harmonizes soul with everything » disait Oscar Wylde (« la musique met l’âme en harmonie avec tout ce qui existe »). Ce pourrait être une parfaite introduction à cette soirée du 25 février, à L’Empreinte de Savigny-le-Temple. Soirée archi-complète pour le retour des Norvégiens LEPROUS en cette deuxième partie de tournée européenne, accompagnés de KLONE et de leurs compatriotes norvégiens, MARATON. Affiche parfaitement cohérente, qui nous plonge dans une bulle d’émotions hors du temps, hors du monde. Une parenthèse suspendue telle un arrêt sur image, une photographie qui aurait su capter l’essence même de l’âme. Le public, venu en masse, ne s’y est pas trompé. Il fallait être là ce soir. Il fallait vivre pleinement la magie de l’instant.

Les portes de la salle ouvrent comme prévu vers 19h30, permettant aux fans, déjà regroupés devant malgré le froid qui tombe sur la ville, de se réchauffer un peu et surtout de s’installer au mieux, au plus près des barrières. Une demi-heure plus tard, MARATON investit la scène simplement décorée d’un backdrop sur l’écran géant aux couleurs du groupe, qui a sorti son premier album, « Meta », en avril 2019. Proposant un savant mélange de pop et de rock progressif, le quintet norvégien n’hésite pas à repousser les barrières des genres, avec des titres enjoués, débordants d’une énergie positive et solaire. L’attitude des cinq musiciens (Franck Nordeng Røe à la batterie, Fredrick Bergersen Klemp au chant, Ruben Aksnes à la basse, Simen Hundere Ruud, à la guitare et Magnus Johansen aux claviers) est raccord avec leurs compos, distribuant chacun moult sourires et distillant leur joie de vivre sans compter. Le chanteur, Fredrick, éminemment sympathique, évoluant sans chaussures, avec juste une paire de chaussettes aux pieds, n’hésite pas à sauter dans la fosse pendant l’une des chansons, pour communiquer sa vitalité au public. Sa voix rappelle immanquablement celle de Morten Harket de A-HA (ceux qui ont une culture pop-rock et pas seulement metal, comprendront aisément le parallèle), avec toutefois plus de modernité et de punch. Les chansons sont savamment troussées, avec une structure progressive, des changements de rythmes et d’ambiance, une voix claire assez haut-perchée et un groove fort bienvenu ("Altered State", "Seismic", "Prime" en sont de parfaits exemples). Mention spéciale au dernier titre interprété, "Spectral Friends", et son final qui invite à un furieux headbanging, copieusement acclamé par un public tombé sous le charme. Voilà un groupe prometteur que nous n’hésiterons pas à aller revoir lors d’un futur passage en région parisienne.

Changement de décor pour KLONE, avec la projection sur l’écran géant de la magnifique pochette du dernier et magistral album, « Le Grand Voyage ». Les musiciens délivrent un set impeccable, servi par un son parfait (au passage, félicitations au magicien des manettes, Chris Edrich, qui assure également à LEPROUS un son d’une pureté incroyable !), plongés tous les cinq dans une dynamique émotionnelle, atmosphérique et prenante. Leur concert débute avec la superbe "Yonder", le tempo se fait planant, mettant en valeur le travail d’orfèvre des deux guitaristes, Guillaume Bernard et Aldrick Guadagnino, la puissance de la section rythmique composée du bassiste Enzo Alfano, qui ne tient pas en place et saute comme un cabri, et de Martin Weill maltraitant joyeusement sa batterie, ainsi que la superbe voix de Yann Ligner, tour à tour aérienne et rageuse. Le rythme s’accélère ensuite avec "Rocket Smoke", plus agressive et mordante. "Breach" avec son très beau refrain (« Come now, They don’t care about you and I, Come now, It doesn’t matter what they think about »), nous renvoie en apesanteur, laissant notre esprit flotter au-delà du chaos. La voix de Yann, caressante, nous prend par la main, nous cajole, nous réconforte, chassant les angoisses enfouies au plus profond de nous. Premières vagues d’émotion, et ce n’est que le début. "Sealed" continue dans le même esprit, la bulle dans laquelle nous allons flotter pour le reste de la soirée se referme doucement sur le public conquis et consentant. "Grim Dance" se fait poignante, teintée d’un spleen mélancolique, certes, mais si beau.

Les musiciens sont en osmose, tous les cinq dans un même élan passionnel et passionné. A part quelques mots échangés en tout début de set, le frontman communique peu avec son public, préférant se concentrer sur le langage de la musique, universel. "Immersion" porte bien son nom, plongés que nous sommes dans un cocon soyeux fait de notes toujours justes, dans une atmosphère planante. "Nebulous" et "Silver Gate" vont clore ce set avec une montée progressive en puissance, parfaitement maîtrisée. Seul regret : ne pas avoir entendu la magnifique "Hidden Passenger", qui aurait trouvé sa place tout naturellement au sein de ce concert hautement qualitatif. KLONE a définitivement atteint un palier supérieur avec « Le Grand Voyage », que bien peu peuvent se targuer de n’avoir approché, ne serait-ce que de loin. Un groupe devenu incontournable dans le paysage metal et rock progressif français. A voir, à revoir, encore et encore, sans aucune lassitude. Profitez sans la moindre hésitation, de la tournée qui les mène aux quatre coins de France, et plus encore.
 


Nouveau changement de décor, qui dévoile cette fois la batterie monumentale et somptueuse du génial Baard Kolstad, batteur surdoué, qui évolue au sein de LEPROUS depuis 2014. Placée en hauteur, l’objet fait bien des envieux dans le public, qui compte de nombreux batteurs en herbe. L’écran géant se pare des couleurs de « Pitfalls », aux multiples nuances de gris avec son Bouddha et son joueur de flûte, septième et dernier chef-d’œuvre en date des Norvégiens, si l'on compte « Aeolia », paru en 2006, qui ont commencé à jouer ensemble voilà 19 ans. Une carrière extrêmement riche et prolifique depuis la démo « Silent Waters » en 2004. Un groupe capable de créer une musique originale, unique, mêlant metal, prog, black metal, groove, pop, touches jazzy, electro, et j’en passe. Aucun album identique à l’autre, LEPROUS se renouvelle constamment. C’est ce qui fait la richesse du groupe. C’est aussi ce qui peut déstabiliser certains auditeurs. Car nous ne sommes jamais en terrain familier. Les Norvégiens se plaisent à nous emmener sur des territoires inconnus. Mais l’art et la maîtrise sont tels, que nous ne pouvons que les suivre les yeux fermés, en toute confiance.

22h00 tapantes, le groupe arrive sur scène et commence le concert avec "Below", la chanson qui a dévoilé la nouvelle orientation musicale de LEPROUS, guidée par la dépression que son chanteur-compositeur-claviériste, Einar Solberg, a dû traverser. Une mise à nu de l’âme et des souffrances de son auteur (« Every single fear I’m hiding, Every little childhood memory I bury ») plongeant dans les aspects les plus sombres de la mémoire. Doté d’une mise en lumière parfaitement adaptée et d’un son époustouflant, le concert débute avec une intensité rare et une émotion à fleur de peau, qui ne nous quittera plus. Cette fois, la bulle s’élève au-dessus des nuages, portée par la précision et le feeling unique des musiciens, les guitaristes Tor Oddmund Suhrke et Robin Ognedal, le bassiste Simen Børven, le violoncelliste canadien Raphael Weinroth-Browne, l’inimitable Baard derrière les fûts, et la voix angélique, cristalline, puissante et terriblement émouvante d’Einar. "I Lose Hope" prend le relais avec son rythme electro-groovy qui invite à danser, malgré des paroles on ne peut plus sombres. Issue du précédent disque, « Malina », la très belle "Stuck" voit les guitares faire un retour plus marqué. La cohésion entre les six musiciens est exceptionnelle, chacun trouvant sa place naturellement, au service de la musique, sans tomber dans les démonstrations techniques souvent redondantes dans le prog. S’en suit la première prise de parole du frontman, détendu et souriant, allant jusqu’à plaisanter sur le nom de la ville qui nous accueille. (Il est vrai que « Hello Savigny-le-Temple », ça fait tout de même moins rock 'n' roll que « Hello Paris ! », « Hello London : » ou « Hello Barcelona ! »…). Le groupe pioche ensuite dans son ancien répertoire avec la magnifique "The Valley", extraite de l’album « Coal », une longue et émouvante complainte à la structure progressive, dotée d’une belle montée en puissance.

Quand il a une idée en tête ou quelque chose qui le turlupine, Einar Solberg n’est pas du genre à laisser tomber. Ainsi, il nous avoue que la requête du jeune homme présent au premier rang, et qui lui tend depuis le milieu de l’après-midi (15h00 précisément, planté devant les portes vitrées de l’Empreinte) une feuille ou est écrit « Play SMS », ne cesse de lui tourner en boucle dans la tête. Ne cédant d’ordinaire jamais aux demandes répétées des fans de jouer l’un de leur vieux titres, époque « Aeolia » et « Tall Poppy Syndrome », car ne se reconnaissant plus du tout dedans, Einar va cependant surprendre l’assistance en acceptant de jouer au clavier les premières notes de ce fameux "SMS", qui n’est autre que l’une des toutes premières chansons écrites par le groupe, en 2004. Sans être calculé du tout, ce geste lui assure, si ce n’était déjà le cas, la ferveur et l’immense sympathie de tous les fans ici présents, qui lui réservent une ovation digne de ce nom. Le groupe enchaîne ensuite sur l’une de ses plus belles compositions, "The Flood", fortement inspirée par l’œuvre de MASSIVE ATTACK, dont le chanteur est grand fan. Impossible de s’échapper de la bulle que le groupe a soigneusement dessiné autour de nous, nous guidant, tel un chef d’orchestre, là où bon lui semble. "From The Flames" arrive et c’est au tour de tout un chacun de s’époumoner sur ce morceau hautement addictif. Il est à noter le travail remarquable de Tor Oddmund, Robin et Simen aux chœurs, tout au long du set. Ainsi que les interventions particulièrement inspirées de Raphael au violoncelle, qui subliment les chansons.
 


Einar reprend la parole pour demander au public comment il va, et dans un joyeux bordel typiquement français, chacun y va de son commentaire (« Good », « Fine », « Super », « Ça roule, ma poule », « Qu’est-ce qu’il dit ? J’ai rien compris. »), forçant le vocaliste, hilare, à nous poser la question différemment (« Are you doing fine ? »), et cette fois, dans un bel ensemble, tout le monde lui hurle un énorme « Yes ! » Le concert se poursuit avec la délicate "Observe The Train" et la très pop mais attachante "Alleviate" ou tous essaient d’atteindre les dernières notes de tête de la chanson, même si c’est peine perdue, car seul Einar Solberg est capable de délivrer de telles notes à la perfection, tout comme sur la version studio. Seul derrière son clavier, il nous gratifie d’une introduction vocale somptueuse durant laquelle sa voix s’élève dans les airs, forte et fragile, pure et poignante, avant d’égrener les notes de "Mb. Indifferentia" au piano. L’émotion est tellement palpable que les larmes coulent d’elles-mêmes. Impossible de les retenir. Quand un artiste est touché par la grâce, on ne peut que retenir son souffle pour ne pas briser la magie de l’instant. Les musiciens, comme tout au long de la soirée, vont échanger leurs instruments une nouvelle fois pour le chef d’œuvre qu’est "Distant Bells" et sa superbe envolée lyrique.

Après une courte pause, le groupe revient sur scène pour nous asséner les trois derniers titres du set. "The Price" et son rythme saccadé, toujours chanté de bon cœur par les fans, est suivi de l’incontournable "Slave", épique morceau profondément émouvant, d’autant plus lorsque l’on sait qu’il parle de la maltraitance animale dans les abattoirs, du point de vue de l’animal. L’une des rares chansons contenant un final growlé, encore interprétée par le groupe, donnant lieu à un headbanging général, à s’en exploser les cervicales. Et histoire de nous achever définitivement, les artistes se lancent dans la malsaine et puissante "The Sky Is Red", échangeant leurs places une dernière fois : Raphael derrière les claviers, Robin avec un tom basse pour compléter la frappe de Baard, permettant ainsi à Einar Solberg de donner toutes ses dernières forces dans le combat, laissant sa rage s’exprimer, tournant comme un lion en cage possédé par une présence destructrice qu’il se doit absolument de libérer. Un final apocalyptique, qui se termine sur les dernières notes lancinantes du violoncelle de Raphaël, alors que les autres, juchés sur les podiums en devant de scène reprennent leur souffle. Tout comme le public qui se trouve hébété à la fin de cette prestation, retenant sa respiration, avant de laisser exploser de longs  applaudissements largement mérités.
 


La bulle suspendue depuis le début du concert vole soudainement en éclats après un tel déferlement de rage. La musique du groupe a la capacité de faire remonter à la surface toutes les noirceurs du monde, les secrets enfouis, les ombres et les fantômes qui hantent la mémoire, les larmes contenues depuis trop d’années, pour mieux les libérer au grand jour, les expulser hors de soi, et s’en débarrasser définitivement. Un effet thérapeutique indéniable pour qui accepte de perdre le contrôle de ses émotions et les laisser voguer au rythme de ces compositions magistrales. « La musique est la langue des émotions » d’après le philosophe, Emmanuel Kant, et nos six musiciens l’ont bien compris.

LEPROUS est un groupe pétri d’un talent hors-norme, qui a réussi avec sa musique inclassable, et en quelques années à peine, à s’imposer comme l’un des incontournables leaders de la scène musicale. Tous genres confondus. Messieurs les artistes, pour avoir eu la chance d’assister à ce spectacle, seuls deux mots conviennent. En Norvégien : tusen takk ! (Merci beaucoup)

Blogger : Sly Escapist
Au sujet de l'auteur
Sly Escapist
Sly Escapist est comme les chats : elle a neuf vies. Malgré le fait d’avoir été élevée dans un milieu très éloigné du monde artistique, elle a réussi à se forger sa propre culture, entre pop, metal et théâtre. Effectivement, ses études littéraires l’ont poussée à s’investir pendant 13 ans dans l’apprentissage du métier de comédienne, alors qu’en parallèle, elle développait ses connaissances musicales avec des groupes tels que METALLICA, ALICE IN CHAINS, SCORPIONS, SOUNDGARDEN, PEARL JAM, FAITH NO MORE, SUICIDAL TENDENCIES, GUNS N’ROSES, CRADLE OF FILTH, et plus récemment, NIGHTWISH, TREMONTI, STONE SOUR, TRIVIUM, KILLSWITCH ENGAGE, ALTER BRIDGE, PARKWAY DRIVE, LEPROUS, SOEN, et tant d’autres. Forcée d’abandonner son métier de comédienne pour des activités plus «rentables», elle devient tour à tour vendeuse, pâtissière, responsable d’accueil, vendeuse-livreuse puis assistante commerciale. Début 2016, elle a l’opportunité de rejoindre l’équipe de HARD FORCE, lui permettant enfin de relier ses deux passions : l’amour des notes et celui des mots. Insatiable curieuse, elle ne cesse d’élargir ses connaissances musicales, s’intéressant à toutes sortes de styles différents, du metalcore au metal moderne, en passant par le metal symphonique, le rock, le disco-rock, le thrash et le prog. Le seul maître-mot qui compte pour elle étant l’émotion, elle considère que la musique n’a pas de barrière.
Ses autres publications
Cookies et autres traceurs

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de Cookies ou autres traceurs pour mémoriser vos recherches ou pour réaliser des statistiques de visites.
En savoir plus sur les cookies : mentions légales

OK