
"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années", voilà une citation de Corneille qui va comme un gant au duo Suisse AARA. Jugez plutôt : formation du groupe en 2018, premier album sorti dans la foulée l’année suivante chez Naturmacht Productions puis signature expresse au sein de cette vénérable institution francilienne qu’est Debemur Morti. Ni une ni deux, un premier EP, « Anthropozän », paru en fin d’année dernière pour se faire la main et c’est aujourd’hui avec son deuxième grand format, « En Ergô Einai » que le groupe passe sous les feux de la rampe !
Un passage qui en impose à en juger par les trente-quatre minutes distillées tout du long qui imposent un black metal racé et envoûtant. Du black metal lardé de guitares acérées et de tempos bouillonnants, toujours habité par ce sens pointu de la mélodie. Le duo, formé autour de Berg et Flüss, a plus d'un tour dans son sac et manie aussi bien les riffs hypnotiques ("Stein un Stein", "Entelechie") que les moments plus posés, empreints d’une profonde mélancolie ("Aargesang (Aare II)") qui souligne une identité musicale à part, à cheval sur le passé, le présent et le futur, qui ne peut laisser indifférent. Notre Vindsval national (maître à penser de BLUT AUS NORD) ne s’y est pas trompé puisqu’il signe l’introduction du premier morceau, "Arkanum", de cet album... qui a déjà tout d’un grand !
A l’occasion de la sortie de « En Ergô Einai » , Berg (guitares, basse et claviers) a accepté de lever le voile sur l'histoire du groupe...
« Le nom du groupe, AARA, est en fait un jeu de mots entre le nom du fleuve suisse"Aare" avec l’expression latine "Ara". L’on trouve également ce même mot sur de vieilles cartes d’orientation pour désigner le fleuve. Finalement, ce terme "AARA" définit la nature comme manifestation d'un lieu spirituel. Et nous vivons également à proximité de ce fleuve... ». Un long fleuve qui n’a rien de tranquille pour les Suisses qui en à peine deux ans, se sont fendus de deux albums, d’un EP et d’une signature sur deux labels diférents ! « En effet, tout s’est passé très vite, notre démarche de composition est très spontanée, nous aimons aller vite, droit au but. Nous souhaitons à tout prix conserver le côté impulsif et immédiat de notre musique avant que celle-ci ne commence à tourner en rond. Ce qui nous prend le plus de temps est l’enregistrement du disque en définitive. »
Un côté brut et impulsif qui se ressent dans la musique mais qui ne doit pas occulter un concept mûrement réfléchi, où le duo arbore des masques et des costumes qui semblent tout droits sortis de la Renaissance, une image forte et symbolique qui constitue l’une des marques de fabrique d’AARA. « Pour nous, ces masques sont un moyen de rester anonymes et en même temps d’incarner une esthétique forte, un concept global qui flotte autour d’AARA. Les paroles possèdent à ce titre de nombreuses références historiques, tout comme les masques vénitiens que nous arborons, symbole d’un temps passé nourri de traditions et d’histoires fascinantes. Ne perdons pas de vue que la vie n’est qu’un théâtre où chacun d’entre nous joue un rôle tant que son visage reste visible. Le message derrière tout cela serait plus « Donne un masque à chaque homme et il révélèra son vrai visage » qu’une référence directe aux textes présents dans l'album. »

Au-delà du concept, la musique du groupe est d’une richesse impressionnante, mariant avec classe parties atmosphériques et riffs épiques semblant tout droits sortis d’une autre époque. Un patchwork d’influences dont Berg se fait le chantre. « Comme je le disais précédemment, nous ne suivons pas de schémas de composition établis à l’avance, c’est un processus spontané. Evidemment, nous avons tous les deux une culture metal qui prend sa source au sein du black metal mais ce n’est qu’une partie d’un tout où ambient, musique électronique et d’autres styles viennent apporter leur richesse. La musique classique – depuis la Renaissance jusqu’aux courants plus modernes – tient aussi une place importante dans nos influences, plus particulièrement les travaux de Bach, Haydn, Boccherini, Telemann ou Corelli. »
Des influences que l’on pouvait déjà percevoir sur « So Fallen Alle Tempel » leur précédent album. « Il faut considérer « So Fallen Alle Tempel » plus ou moins comme une expérimentation. Nous avons testé sur celui-ci certaines idées, certaines directions sans véritable ligne directrice alors que « En Ergô Einai » est bien plus homogène et beaucoup mieux produit. ». Un constat partagé, d'autant qu’il bénéficie également d’un artwork fabuleux signé de l’artiste Michael Handt, dont Berg évoque les contours de leur collaboration. « Michael est un jeune artiste allemand qui est vraiment talentueux ! Il a trouvé le moyen de représenter une ambiance très étrange, pleine de chaleur et de beauté. En même temps et ce n’est pas contradictoire, son œuvre évoque la distance, le froid et la solitude. Il y a quelque chose de mystérieux, preque disparu de la conscience collective que l’on retrouve ici. Nous comptons à nouveau le solliciter pour notre troisième album ».
Voilà qui s’appelle avoir de la suite dans les idées ! Et ce n’est pas Berg qui nous contredira puisqu’il avoue que le groupe travaille déjà sur ce fameux troisième album. « Oui, nous travaillons sur le prochain album d’autant que J. a définitivement rejoint les rangs du groupe en tant que batteur. Celui-ci fera partie intégrante d’un groupe qui travaille sur un concept plus large sans pourtant trop nous projeter. Il est essentiel de garder l’inspiration du moment, de conserver la spontanéité de notre musique... »
Une spontanéité que vous pouvez d’ores et déjà apprécier en avant-première avec HARD FORCE, sur le lecteur ci-dessous !

