« Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années », voilà une citation de Corneille qui va comme un gant au duo Suisse AARA. Jugez plutôt : formation du groupe en 2018, premier album sorti dans la foulée l’année suivante chez Naturmacht Productions puis signature expresse au sein de cette vénérable institution qu’est Debemur Morti. Ni une ni deux, un premier EP, « Anthropozän », paru en fin d’année dernière pour se faire la main et c’est aujourd’hui avec son deuxième grand format, « En Ergô Einai » que le groupe passe sous les feux de la rampe.
Un passage qui en impose à en juger par les trente-quatre minutes distillées tout du long qui imposent un black metal racé et envoûtant. Du black metal lardé de guitares acérées et de tempos bouillonnants, toujours habité par ce sens pointu de la mélodie. Le duo, formé autour de Berg et Flüss, a plus d'un tour dans son sac et manie aussi bien les riffs hypnotiques ("Stein auf Stein", "Entelechie") que les moments plus posés, empreints d’une profonde mélancolie ("Aargesang (Aare II)") qui souligne une identité musicale à part, à cheval sur le passé, le présent et le futur, qui ne peut laisser indifférent. Notre Vindsval national (maître à penser de BLUT AUS NORD) ne s’y est pas trompé puisqu’il signe l’introduction de toute beauté du premier morceau, "Arkanum", qui laisse place à une deuxième partie plus classique où le groupe se déchaîne joyeusement. Les émotions pointent à fleur de peau, animées par une force brute et nostalgique qui plongent tête la première vingt-cinq ans plus tôt à l'âge d'or du grand DISSECTION : le tremolo picking croise ici le fer avec des tempos de velours appuyés par une batterie d'orfèvre. A peine le temps de souffler que le scandinave et épique "Stein auf Stein" prend le relais, toujours habité par ce sens de la mélodie pointu. Somptueux. On en viendrait presque à rêvasser, là, béatement, à savourer ces envolées épiques, ces embardées mélancoliques de toute beauté. Sauf que le groupe a plus d'un tour dans son sac en lâchant l’artillerie lourde avec « Têlos ». Hypnotique, cet uppercut final de sept minutes trente frappe en plein dans le mille !
AARA incarne le black metal dans ce qu'il a de plus furieux et rageur, doté d'un sens de la mélodie ultime et imparable. Il se révèle aussi jouissif dans les moments fougueux que dans les parties plus nuancées où la section rythmique se joue des codes avec un certain doigté : AARA Lovely...tout simplement !