
Non, ce n’est pas de la nostalgie. Lorsque l’on est saisi aux tripes par une création musicale, on a envie de partager ce que l’on ressent avec le plus grand nombre. Mise en lumière d’un artiste pourtant habitué à la noirceur du black metal, Ihsahn, et retour sur un album qui a marqué la carrière du maestro en 2016, « Arktis ». Comme un irrépressible besoin d’exprimer la palette d’émotions ressenties à l’écoute de ce chef-d’œuvre, et tenter de mettre en mots la couleur des sentiments.
Pour pouvoir évoquer cet album, il faut d’abord se remémorer la carrière de l’artiste. Ihsahn, de son vrai nom Vegard Sverre Tveitan, est le fondateur, chanteur, guitariste et claviériste du groupe norvégien de black metal EMPEROR, encore et toujours vénéré par les fans. Mais suite à une première séparation du groupe en 2001, Ihsahn va entamer une carrière solo dès 2006, après avoir travaillé sur PECCATUM, un projet black metal avant-gardiste, avec son épouse, Heidi Solberg Tveitan, connue sous le nom d’Ihriel. L’homme est un compositeur hyperactif qui ne s’arrête jamais et « Arktis » est son sixième album, après « The Adversary » (2006), « AngL » (2008), « After » (2010), « Eremita » (2012) et « Das Seelenbrechen » (2013). S’en suivront également « Ámr » en 2018 et l’EP « Telemark » en 2020.
Ihsahn, est un explorateur des sons, et la photo qui orne la couverture de cet album a été particulièrement bien choisie, puisqu’il s’agit d’un cliché de Fridtjof Nansen, un explorateur norvégien et prix Nobel de la paix, qui a traversé le Groenland à ski, lors d’une expédition en 1888. « Arktis » est une ode au Nord, aux terres qui ont vues naître l’artiste norvégien, et à ses racines profondément ancrées qui ont forgées son caractère, dont le titre "My Heart Is Of The North" en est l’une des preuves flagrantes. Cet album est l’un des plus accessible d'Ihsahn, quoiqu’il faille relativiser le terme "accessible", concernant le compositeur. En effet, on ne renie pas son passé et les cavalcades rythmiques, les guitares dissonantes et le chant hurlé sont profondément reliés au black metal (l’ultra puissant "Pressure"). Mais la créativité débridée de l’artiste ne s’arrête pas sur ces terres prédéfinies. Il mélange judicieusement à cette base des consonances heavy metal teintées 80’s, ("Until I Too Dissolve"), des refrains mélodiques ("Mass Darkness", "Disassembled", "In The Vaults") où il fait preuve d’un talent tout aussi remarquable pour sa très belle voix claire, tout en finesse, que pour ses growls sortis des entrailles de la Terre, et des sons electro, apportés par des orgues et des claviers analogiques, dont le synthé Moog qui remplace la basse sur tout l’album (les excellents et dansants "South Winds" et "Frail"). Sans oublier la touche de saxophone étonnante et captivante sur "Crooked Red Line", apportée par le très talentueux Jørgen Munkeby (du SHINING norvégien). Le tout avec une structure de chanson traditionnelle couplet-refrain-solo-pont-refrain, qui permet d’aborder cet album avec une grande fluidité.
Hormis la présence de Jørgen Munkeby, Ihsahn a su s’entourer d’autres musiciens réputés, tels Matt Heafy (TRIVIUM), qui fait les chœurs sur "Mass Darkness", Tobias Ørnes Andersen (SHINING, ex-LEPROUS) qui maltraite sa batterie pour un résultat particulièrement jouissif, Robin Ognedal (LEPROUS) comme deuxième guitariste et Nicolay Tangen Svennæs (RENDEZVOUS POINT) aux claviers sur "My Heart Is Of The North", et le beau-frère d'Ihsahn, Einar Solberg (LEPROUS), qui apporte une dimension extrêmement mélodique et prenante sur "Disassembled" et sur la pièce maîtresse qu’est "Celestial Violence", où la douceur de sa voix contraste à merveille avec les cris d’écorché vif d’Ihsahn. Ce morceau est sans aucun doute l’une des plus belles réussites de cet album parfait, tant la montée en puissance, la mélodie et l’alliance des deux voix sont exceptionnelles. On se prendrait presque à rêver d’un album entier où les deux hommes seraient en duo... Sur l’édition limitée, on trouve également "Til Tor Ulven (Søppelsolen)", des textes du poète Tor Ulven récités par l’écrivain Hans Herbjørnsrud sur fond de guitare et piano, bien dark.
« Arktis » est une merveille d’album addictif, que l’on ne se lasse pas de réécouter, pour y découvrir toutes les subtilités d’un artiste et créateur accompli, qui a depuis longtemps fait tomber les barrières des genres, afin de proposer une musique profondément personnelle, recherchée, progressive et inventive. Ihsahn est un maître absolu qui se renouvelle sans cesse et saura toujours surprendre par son approche résolument unique de la musique. Et si nous avons mis l’accent sur cet album pour une première découverte, surtout, ne vous arrêtez pas en si bon chemin et jetez une oreille attentive aux autres productions du musicien, notamment les excellents « After », « Eremita » et « Ámr ». Telle une drogue, vous risquez fort de ne plus pouvoir vous en passer, mais cette addiction ne mettra jamais votre santé en danger.