1 octobre 2020, 19:30

ALL THEM WITCHES

• "Nothing As The Ideal"

Album : Nothing As The Ideal

Cerner un groupe comme ALL THEM WITCHES n’est pas une chose si aisée. D’aucuns auraient pu, moi le premier, le cantonner à la va-vite dans une case stoner aux contours bien flous, et ce jusqu’aux abords de son troisième album. Et encore. 

Déjà, Charles Michael Parks Jr., son chanteur aussi discret que tourmenté et talentueux, échappe à bon nombre de poncifs : le jeune homme est nomade et s’apparente davantage à Christopher McCandless, le protagoniste du livre et film Into The Wild, plutôt qu’à l’idée que l’on pourrait se faire d’une wanna-be rock star – on ne peut pas faire plus éloigné que David Lee Roth dans le genre. En effet, le garçon peut autant vivre en mode survivaliste au fond des bois qu’à travers le désert, prônant le dénuement extrême, sans aucun artifice consumériste ou matériel. Originaire de Louisiane, ayant vécu son enfance dans un univers ultra mystique et quasi sectaire comme les bonnes vieilles congrégations proto-chrétiennes peuvent les (dé)générer, Charles Michael Parks Jr. ne se nourrit que de la terre, de littérature et de taoisme – ce qui ne l’empêche pas d’avoir le blues.

Et ce à l’instar d’un de ses compatriotes du bayou, passé de l’art de hurler des choses atroces dans le groupe de sludge ACID BATH dans les années 90 à une carrière solo de crooner dark : oui, il y a un parallèle entre la trajectoire très singulière du phénoménal (et très confidentiel) Dax Riggs et ce garçon qui nous épate davantage à chaque album.  

Déjà « ATW » nous avait-il bluffé en 2018 : cette fois, le trio basé à Nashville (désormais Mecque de l’industrie du disque passée du mode country-ploucs à vivier de hipsters post-Jack White) a bénéficié de moyens structurels hors du commun pour un "simple" groupe de rock de 2020 : pouvoir enregistrer son album dans l’antre feutrée, haute de plafond et bien vintage du studio n°2 de Abbey Road, London, gentlemen. 

Et je ne vais pas vous raconter des conneries – mais ça s’entend. Non, aucune ombre des Beatles ici, mais bien celle de PINK FLOYD, le groupe de David Gilmour ayant enregistré ses meilleurs albums du début des années 70 dans cette même pièce, conservée en l’état depuis, comme un sanctuaire traversé de spectres, mais qui bénéficie toujours des technologies les plus pointues, avec le respect des vibrations, et des matériaux originels, du plancher à l’isolation. PINK FLOYD donc : « Nothing As The Ideal » est strié de guitares planantes langoureuses et toutes gilmouriennes, notamment sur "The Children Of Coyote Woman", entre folk sombre et deep south à la Johnny Cash et du CLUTCH acoustique, sous fond de pluie fine d’été que vous percevez ruisseler entre elles pics de votre chair de poule. 

L’esquisse d’un éventuel stoner est balayée une fois le morceau "Enemy Of My Enemy" achevé, peut-être le plus "convenu" du lot, et à même de happer l’intérêt des amateurs déjà rassasiés de rétro-rock, poursuivi toutefois par le plus reptilien "Lights Out" ou la tourmente claire-obscure "41". Ailleurs, tout n’est que blues. Du pur blues, en mode chill – ou trip, selon les drogues que vous venez d’ingérer, ou de l’humeur qui vous habite. Bien sûr plane-t-il l’ombre des DOORS et de Jim Morrison et, ambiance orgue-encens-réverb-slide-analogique oblige, bien ardue serait la tâche de discerner à l’aveugle si ce disque a été mis en boite en 1968 ou en 2020. Et de son dénuement comme mode de vie, Charles Michael Parks Jr. épure son propos à l’essentiel, chaque note étant cruciale, chaque mesure étant habitée du mojo, le truc vous savez... Tel un mantra, les ambiances s’étirent sur près de dix minutes sur des morceaux cruciaux comme "See You Next Fall" qui clôt symboliquement la face A, ou "Rats In Ruin", final apaisé et tempétueux, vous pardonnerez l’oxymore. Reste cette guitare, stellaire et vivante, fondamentalement imbibée d’âme et qui s’élève sous les mêmes plafonds que ceux qui avaient jadis inspiré "Shine On You Crazy Diamonds".

Bougies, carpette, pénombre, un truc à ruminer, et hop : trip or chill donc, « Nothing As The Ideal » n’est pas un disque à écouter dans ta caisse, sur des enceintes bluetooth de merde ou dans le métro avec des écouteurs médiocres. S’il vous plait, accordez à la grâce un petit peu de bon sens et d’application, de dévotion même : oui il y a quelque chose de purement religieux dans le blues rock psychédélique de ALL THEM WITCHES – et d’enivrant, de doucement dionysiaque. Le mojo ou le démon, à vous de juger, selon le voyage.

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
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